Maintien de l'ordre : les Brav-M sont-elles "totalement indispensables", comme l'affirme Laurent Nuñez ?
"La Brav-M a démontré toute son efficacité depuis qu'elle a été créée." Le préfet de police de Paris Laurent Nuñez a vigoureusement défendu l'action de la Brigade de répression de l'action violente motorisée, lundi 3 avril, sur le plateau de "TPMP" sur C8. Ces unités de policiers "font un travail remarquable, sans lequel on aurait bien plus d'incidents", avait-il affirmé dimanche sur BFMTV, estimant qu'elles étaient "totalement indispensables" et excluant leur dissolution, réclamée par une pétition ayant franchi les 260 000 signatures mercredi.
Ces brigades parisiennes, composées de binômes circulant à moto, sont sous le feu des critiques. Des manifestants contre la réforme des retraites leur reprochent des violences, dont certaines documentées dans des vidéos relayées sur les réseaux sociaux ainsi que dans un enregistrement sonore. Un journaliste a aussi déposé plainte auprès de l'IGPN pour "violences en réunion", après avoir été aspergé de gaz lacrymogène puis repoussé brusquement par ces policiers, avant de tomber à terre.
Franceinfo a essayé de comprendre pourquoi cette brigade occupe désormais une place centrale dans le schéma du maintien de l'ordre de la préfecture de police de Paris.
"Il fallait une unité plus flexible"
Au printemps 2019, en plein mouvement des "gilets jaunes", après le saccage d'une partie des Champs-Elysées et l'incendie de la brasserie Le Fouquet's, la création des Brav-M a pour but de combler une lacune récurrente dans le maintien de l'ordre. "Les CRS et gendarmes mobiles, habituellement mobilisés pour encadrer les manifestants et éventuellement intervenir en cas de débordements, n'étaient pas assez rapides pour procéder aux interpellations", résume Christian Mouhanna, sociologue au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip). "Ils ont des kilos d'équipement sur le dos, notamment les CRS, qui sont munis d'énormes boucliers, et se font facilement larguer face à des manifestants en baskets", poursuit-il.
Les "gilets jaunes" posaient un autre problème de taille aux forces de l'ordre : ils manifestaient en groupes épars et très mobiles, dans une ville dense et congestionnée. "Il fallait une unité plus flexible, plus facile à déployer. La moto apparaît donc comme une meilleure manière d'intervenir", commente Mathieu Zagrodzki, chercheur associé au Cesdip et spécialiste des questions de sécurité.
Au départ, il s'agit d'unités ad hoc, constituées selon les besoins, avec des agents de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) et de la brigade anti-criminalité (BAC). Le préfet de police de l'époque, Didier Lallement, décide ensuite de les pérenniser et d'en faire une section à part entière des compagnies d'intervention. Les effectifs de cette brigade s'élèvent selon L'Express (article payant) à 216 agents au total, qui circulent en binôme : un conducteur issu des rangs d'une unité motocycliste et un policier passager.
"La Brav-M tourne au quotidien dans Paris"
"Si une manifestation se déroule normalement, la Brav-M reste en renfort. Elle intervient uniquement en cas de débordements et si des exactions sont commises par des petits groupes d'individus, souvent extrêmement violents", précise Marc Hocquard, secrétaire national de l'Unsa police. Il tient à distinguer ces équipages à moto des "voltigeurs", auxquels ils sont souvent comparés, en rappelant que ces pelotons, créés dans la foulée de Mai-68 et dissous en 1986 après la mort de Malik Oussekine, intervenaient en assénant des coups aux manifestants récalcitrants "depuis leurs motos". Les Brav-M "s'en servent uniquement comme moyen de déplacement, ils interviennent toujours pied à terre, en unités constituées", insiste le syndicaliste.
Leur rôle ultra-répressif est toutefois décrié dans une partie des rangs de la police. "Ils mettent le bordel plus qu'autre chose. Ils matraquent dans tous les sens", estime un CRS rodé aux manifestations, sur Mediapart (article réservé aux abonnés). Leur manque de formation spécifique est particulièrement pointé du doigt car le maintien de l'ordre n'est pas leur cœur de métier, contrairement aux gendarmes mobiles et au CRS. "La Brav-M tourne au quotidien dans Paris et en petite couronne : ils font des patrouilles, des opérations anti-drogue dans des zones sensibles", décrit Mathieu Zagrodzki. Les CRS, eux, ont "25 jours de formation annuelle", souligne Alain Vastel, secrétaire national CRS du syndicat SGP Police FO, tandis que les gendarmes s'entraînent régulièrement au centre national de Saint-Astier, en Dordogne.
Des unités habituées à "déployer de la violence"
La police de l'ordre est par ailleurs soumise à une chaîne hiérarchique très encadrante, tandis que les Brav-M "fonctionnent beaucoup sur initiative du fonctionnaire", observe le sociologue Olivier Fillieule, professeur de sociologie politique à la faculté des sciences sociales et politiques de Lausanne (Suisse) et directeur de recherche au CNRS. "Ce sont des unités formées au 'saute-dessus', qui ont pour habitude de déployer de la violence. Leur existence est utile dans leurs tâches habituelles. Mais les mobiliser en maintien de l'ordre pose question", pointe le sociologue.
La chaîne de commandement de ces unités interroge aussi. "On ne sait pas tellement qui les pilote", note Alain Vastel. "On se demande comment les instructions cheminent, par quel canal, et si les consignes évoluent entre le moment où l'instruction est donnée et le moment où ils interviennent", questionne le syndicaliste. Claire Hédon, la Défenseure des droits, a estimé mardi sur franceinfo qu'il allait falloir "s'intéresser effectivement à la question de la formation et de l'encadrement" des Brav-M.
Un "sentiment de toute-puissance"
Ces différences de traitement peuvent susciter une forme de méfiance chez leurs collègues CRS et gendarmes. "Les unités qui servent sur un dispositif de manifestation ne sont pas forcément avisées de l'intervention de la Brav-M et ça peut déséquilibrer le maintien de l'ordre comme conçu initialement", analyse Alain Vastel.
Mathieu Zagrodzki a pu constater la défiance des gendarmes, lors d'un entretien collectif réalisé avec une trentaine de membres d'escadrons de gendarmerie mobile, concernant notamment leur retour d'expérience post-'gilets jaunes'. Plusieurs d'entre eux ont confié avoir été "mis en difficulté à de multiples moments" par leurs collègues de la Brav-M, qui procédaient notamment à des tirs de LBD "injustifiés" selon eux. Pour autant, le chercheur estime que ces effectifs motorisés sont très protégés par leur hiérarchie et "systématiquement défendus publiquement", ce qui a tendance à leur octroyer un "sentiment de toute-puissance".
"Les Brav-M sont perçus comme une unité d'élite, presque un joyau au sein de la DOPC. Ils sont ceux qui vont au-devant des interventions difficiles, montées dans l'urgence."
Mathieu Zagrodzki, chercheur associé au Cesdipà franceinfo
Petit à petit, "ils ont intériorisé le fait qu'ils sont une force de dernier recours : ils ont l'impression d'avoir une latitude assez vaste sur le terrain", considère Mathieu Zagrodzki. Son collègue Christian Mouhanna observe un effet collatéral : "la nécessité de se rendre indispensables lorsqu'une mission leur incombe". De ce fait, les membres des Brav-M auraient "tendance à interpeller large et à intervenir de manière récurrente, pour justifier de leur propre existence auprès des autorités", avance le chercheur, rappelant que de nombreuses gardes à vue de manifestants ont été signalées comme étant abusives.
Le risque "d'une haine durable contre la police"
Pour pallier ces dérives, certains estiment qu'il faudrait en priorité améliorer les recrutements, "après des décennies de diète budgétaire au sein de la police du maintien de l'ordre", souligne Olivier Fillieule. "Nicolas Sarkozy avait réduit les fonctionnaires puis François Hollande les a augmentés à nouveau. D'un coup, il a fallu recruter massivement, dont des profils problématiques, accros à la violence, comme ceux qu'on trouve chez les Brav-M", relève le sociologue.
Les chercheurs interrogés par franceinfo estiment aussi que la formation de la police doit être renforcée. Après le mouvement des "gilets jaunes", plusieurs syndicats de policiers auditionnés à l'Assemblée nationale en 2020, à l'initiative du député LFI François Ruffin, avaient admis que la formation initiale et continue en école de police était insuffisante.
Quant à la stratégie sur le terrain, autour des manifestations, elle pourrait également être repensée, en tolérant quelques débordements. Contrairement à nos voisins européens, qui prônent la désescalade, "la France réprime la foule de façon indistincte, ce qui pousse des manifestants initialement pacifiques à basculer du côté violence". "Il y a vingt ou trente ans, si une poubelle brûlait, on s'en fichait. Aujourd'hui, l'image est diffusée en boucle sur les chaînes d'info", observe Mathieu Zagrodzki, estimant que cela peut véhiculer l'idée que "l'Etat perd le contrôle et qu'il faut tuer ces incidents dans l'œuf". Pour Olivier Fillieule, le maintien de l'ordre français aurait tout à gagner à ne plus considérer les manifestants comme une "masse hostile", au risque de "forger une haine durable de la population contre sa police".
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