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Vrai ou faux "Marches des libertés" : des manifestants ont-ils été "nassés" illégalement par les forces de l'ordre à Nantes ?

Des manifestants ont bien été brièvement encerclés par les forces de l'ordre samedi lors de la manifestation nantaises. Mais si le Conseil d'Etat a censuré le passage du schéma national du maintien de l'ordre qui encadre cette technique de la "nasse", celle-ci n'est pas pour autant interdite.

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des membres des forces de l'ordre lors de la "marche des libertés" à Nantes (Loire-Atlantique), le 12 juin 2021. (ESTELLE RUIZ / HANS LUCAS / AFP)

La pratique est régulièrement dénoncée par des manifestants. Plusieurs personnes présentes à la "Marche pour les libertés", samedi 12 juin à Nantes, ont affirmé que les forces de l'ordre avaient "nassé" des participants. Selon elles, ces manifestants qui marchaient pour dénoncer l'extrême droite et défendre les libertés publiques ont été encerclés afin d'être isolés du reste du cortège et d'être empêchés d'avancer.

Deux jours plus tôt, pourtant, une décision de justice semblait avoir remis en question l'utilisation des "nasses". Ainsi, le Conseil d'Etat a annulé jeudi quatre points du schéma national du maintien de l'ordre, qui encadre l'action des policiers et des gendarmes sur le terrain. Parmi les passages visés, celui sur la technique de l'encerclement (le nom officiel des "nasses"). La haute juridiction estime que le texte n'encadre pas assez précisément "les cas dans lesquels elle peut être mise en œuvre". 

C'est au regard de cette décision que l'encerclement des manifestants à Nantes a été dénoncé notamment par la branche locale d'un syndicat d'avocats ainsi que par le porte-parole du parti Génération.s, Thomas Portes. Franceinfo s'est penché sur ces réactions qui posent deux questions : les forces de l'ordre ont-elles encerclé des manifestants ? Avaient-elles le droit de le faire ?

Des images confirment un bref encerclement

"A mi-parcours environ, les policiers ont séparé le cortège en deux, juste derrière moi", raconte à franceinfo Nicolas*, un des manifestants qui a critiqué cette manœuvre sur Twitter. "C'était clairement une nasse", juge-t-il. Nicolas explique avoir interpellé les forces de l'ordre, avec d'autres militants situés en dehors du groupe encerclé, pour leur "rappeler la décision du conseil d'Etat". Cette dernière a été "évoquée à de nombreuses reprises [par les manifestants] durant la nasse", abonde à franceinfo Théo Péron, un reporter d'images indépendant qui se trouvait pour sa part parmi les participants entourés par la police.

Les images du journaliste, dans leur version longue publiée sur YouTube (à partir de la 4e minute), attestent que les forces de l'ordre n'ont pas simplement scindé les manifestants, mais bien encerclé un petit groupe d'entre eux. Le vidéaste situe la manœuvre à 12h07, et affirme qu'elle s'est terminée trois minutes plus tard. Dans un tweet partagé près de 800 fois, un internaute a présenté à tort d'autres images du journaliste indépendant, tournées un peu plus tôt, comme montrant des manifestants "nassés", ce que leur auteur a démenti.

Le Conseil d'Etat ne s'oppose pas à toutes les "nasses"

La manœuvre opérée par les forces de l'ordre samedi à Nantes "est une nasse", confirme à franceinfo Serge Slama, professeur de droit à l'université Grenoble-Alpes, après avoir visionné les images. Mais il n'est "pas du tout évident" que celle-ci soit frappée d'illégalité à la suite de la décision du Conseil d'Etat, qui "ne remet pas en cause le principe de l'encerclement, mais estime que son cadre n'est pas assez précis", relève l'universitaire.

Le Conseil d'Etat estime en effet dans sa décision que la technique d'encerclement "peut s'avérer nécessaire dans certaines circonstances pour répondre à des troubles caractérisés à l'ordre public". En revanche, il souhaite que soient précisés les cas dans lesquels les forces de l'ordre peuvent l'utiliser, afin de "garantir que [son] usage (...) soit adapté, nécessaire et proportionné aux circonstances".

Dans les heures suivant cette décision, le ministère de l'Intérieur a d'ailleurs assuré à l'AFP que le gouvernement allait élaborer une nouvelle version de son schéma national du maintien de l'ordre, permettant "d'atteindre les objectifs voulus par le texte tout en respectant les orientations de la décision du Conseil d'Etat", notamment en rétablissant la possibilité de recourir à l'encerclement.

Mais "les forces de l'ordre n'ont pas besoin de ce cadre pour pouvoir utiliser des nasses", analyse Serge Slama. "Ce qu'elles doivent respecter, c'est le cadre que pose le Conseil d'Etat : que leur usage soit 'adapté, nécessaire et proportionné'". L'avocat Patrice Spinosi, spécialiste des libertés publiques, estimait sur franceinfo jeudi que l'effet de la décision du Conseil d'Etat serait "immédiat" et que la technique de l'encerclement "ne sera[it] plus susceptible d'être utilisée de façon aussi généralisée et habituelle". Mais il reconnaissait qu'elle pourrait encore l'être s'il y avait "une justification particulière".

Une manœuvre au motif flou

L'annulation du passage du schéma national du maintien de l'ordre sur la technique de l'encerclement a en effet été largement interprétée par ses opposants comme une interdiction de celle-ci, au moins jusqu'à la publication d'un nouveau document. Mais si ce n'est pas totalement le cas, reste à savoir si la technique employée à Nantes respectait les critères évoqués par le Conseil d'Etat, et ceux fixés par la version désormais caduque du schéma.

Ce dernier prévoyait notamment qu'"un point de sortie contrôlé" soit laissé aux personnes encerclées. Les images, prises au début de l'encerclement, ne permettent pas d'en juger. Théo Péron explique à franceinfo que "des agents redirigeaient les personnes présentes vers des points de sortie, mais une fois qu'elles y étaient, les agents leur expliquaient qu'il fallait partir dans une autre direction".

Par ailleurs, le schéma réserve l'emploi des "nasses" à des "fins de contrôle, d'interpellation ou de prévention d'une poursuite des troubles". Théo Péron et Nicolas affirment n'avoir vu aucune interpellation lors des quelques minutes d'encerclement, et la préfecture de Loire-Atlantique n'a pas annoncé publiquement d'éventuelles arrestations après la manifestation. "Je n'ai pas assisté à des jets de pierre ou autres avant l'intervention", ajoute Nicolas. "Je n'ai pas vu de projectiles ou de dégradations", confirme Théo Péron. Les images disponibles ne montrent pas non plus d'actes violents en direction des forces de l'ordre.

Théo Péron explique que le groupe de manifestants encerclé avait été, quelques minutes plus tôt, bloqué par les forces de l'ordre, alors qu'il tentait de défiler dans des rues adjacentes à l'axe où se trouvaient la plupart des manifestants. Mais "le fait de sortir du parcours déclaré ne justifie pas d'être nassé", rappelle Serge Slama. Contactée au sujet des raisons de l'emploi de cette technique d'encerclement, et du cadre juridique le permettant ou non, la préfecture de Loire-Atlantique n'a pas répondu à nos questions.

* Le prénom a été modifié.

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