: Vrai ou faux Un refus d'obtempérer est-il vraiment recensé toutes les "20 à 30 minutes" lors des contrôles de police en France ?
Ce chiffre est régulièrement mis en avant par les syndicats de police et les autorités. S'il se révèle exact d'un point de vue statistique, il traduit aussi l'augmentation des contrôles ces dernières années et n'éclaire pas la problématique de la légitime défense.
Quatre morts en moins de quatre mois. Plusieurs refus d'obtempérer lors d'un contrôle routier ont récemment connu des issues dramatiques, comme la mort d'une jeune femme de 21 ans tuée par balle, samedi 4 juin, lors d'un contrôle dans le 18e arrondissement à Paris. Les trois policiers qui ont fait feu sur le véhicule alors qu'il fonçait sur eux, selon leur version rapportée à franceinfo par une source policière, sont sortis de garde à vue sans faire l'objet de poursuites judiciaires pour l'instant.
A chaque affaire, une statistique est mise en avant par les syndicats de police : les forces de l'ordre sont, d'après eux, exposées à un refus d'obtempérer "toutes les 20 minutes" en France. Ce chiffre avait été énoncé lui-même par le ministre de l'Intérieur devant le Sénat il y a plus d'un an, en janvier 2021. Gérald Darmanin avait alors souligné qu'un refus d'obtempérer était recensé "toutes les 20 minutes en zone gendarmerie" et "toutes les 30 minutes en zone police". Le locataire de la Place Beauvau dit-il vrai ou fake ?
Certains délits plus dangereux que d'autres
Les rapports de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière (Onsir) ne font, a priori, pas mentir cette statistique. En 2021, 27 756 refus d'obtempérer (14 256 pour la police, 13 500 pour la gendarmerie) ont été recensés, selon des chiffres cités par l'AFP. Soit un fait toutes les 18 minutes. En 2020, les confinements liés à la pandémie de Covid-19 n'ont pas freiné ce type d'infractions, au nombre de 33 101, contre 29 098 en 2019.
Mais que traduisent ces chiffres exactement ? Le décompte de l'Onsir est réalisé chaque année à partir des données du ministère de l'Intérieur, police et gendarmerie confondues, et du ministère de la Justice. Différents types de délits sont répertoriés dans la catégorie "refus et entraves". Parmi eux, le "refus, par le conducteur, d'obtempérer à une sommation de s'arrêter" est le plus fréquent, avec 26 589 cas constatés par les forces de l'ordre en 2020 et 22 817 en 2019. On reste dans la fourchette des 20 à 30 minutes.
Mais le "refus, par le conducteur, d'obtempérer à une sommation de s'arrêter dans des circonstances exposant à un risque de mort ou de blessures" est lui beaucoup moins observé. Depuis la loi sur la sécurité publique du 28 février 2017, il peut justifier l'usage de la force armée. Quelque 3 000 à 4 000 cas sont recensés ces six dernières années, avec un pic en 2020 à 4 543. Soit un toutes les deux heures environ.
Par ailleurs, une proportion importante de ces refus d'obtempérer fait l'objet d'un classement sans suite par le parquet. Depuis 2016, seul un tiers des procédures s'est soldé par une condamnation définitive, inscrite au casier judiciaire. Les sanctions prévues ont pourtant été alourdies en 2017. La personne encourt une perte de six points sur son permis, une amende de 7 500 euros et jusqu'à un an d'emprisonnement.
La mise en place du permis à points en cause ?
Si ces refus d'obtempérer représentent environ 5% des délits routiers – contre 26% pour les délits de fuite, les contentieux les plus nombreux – ils restent en constante augmentation. Selon les chiffres compilés par l'Onsir, la hausse est de 46,6% entre 2010 et 2019. Pour l'avocat Arié Alimi, coutumier de ce type de dossiers, la mise en place du permis à points, dans les années 1990, n'y est pas étrangère.
"Ces gens qui n'ont plus leur permis et qui doivent continuer à rouler, ne serait-ce que pour travailler, j'en ai vu un certain nombre en tant qu'avocat."
Arié Alimi, avocatà franceinfo
Un an après la mise en place du permis à points, en 1993, le nombre de refus d'obtempérer s'élevait à 1 099. Vingt ans plus tard, ce chiffre a été quasiment multiplié par trente. Certes, la population française a gagné 8 millions d'habitants entre-temps. Le nombre de conducteurs sur les routes est donc logiquement plus élevé. En 2020, les défauts de permis de conduire représentaient 20,1% des délits, soit le deuxième motif.
A cela s'ajoute une autre variable : la hausse globale du nombre de contrôles. Dans le détail, ceux pour dépistage de stupéfiants ont explosé. Ils sont passés de 67 625 en 2010 à 453 751 en 2021. Le déploiement du test salivaire, qui a facilité le contrôle de l'usage de cannabis au volant, peut expliquer cette hausse.
Autre facteur qui peut pousser certains automobilistes à ne pas se soumettre à un contrôle de police : le défaut d'assurance. Même si ce délit est plutôt en baisse dans les infractions constatées (-17% depuis 2010), près de 30 000 personnes ont été victimes en 2020 d'un accident de la route causé par un conducteur en défaut d'assurance, selon le Fonds de garantie des victimes (FGAO).
Reste la question de la légitime défense
Les syndicats de police, eux, interprètent surtout l'augmentation des refus d'obtempérer comme une évolution des rapports entre les forces de l'ordre et la population. Thierry Clair, secrétaire général adjoint du syndicat Unsa-police, dénonce ainsi "l'absence de respect vis-à-vis de l'institution et des policiers" et des "suites judiciaires qui ne sont pas dissuasives".
"Le problème, c'est le rapport que les gens ont à l'autorité. Aujourd'hui, on s'affranchit de beaucoup de règles, on ne respecte plus grand chose."
Loïc Lecouplier, représentant du syndicat de police Allianceà franceinfo
Reste la question de la réaction policière. Pour les représentants de la profession, la hausse des refus d'obtempérer engendre proportionnellement plus de risques d'"issues dramatiques" si "l'individu est menaçant" et qu'il "utilise sa voiture comme une arme". Un scénario qui entre alors dans le cadre de la légitime défense.
L'argument est balayé par le sociologue Fabien Jobard, directeur de recherche au CNRS, invité sur franceinfo mardi. Il rappelle que, depuis l'application de la loi de 2017, les tirs des forces de l'ordre ont augmenté de 50%, selon une note interne de l'IGPN, la police des polices. Historiquement, l'usage de l'arme devait être "absolument nécessaire, strictement nécessaire et absolument proportionnel aux dangers encourus", explique-t-il.
Pour Sebastian Roché, sociologue spécialiste des questions de criminologie et de sécurité, "les syndicats essaient d'orienter le débat vers les refus d'obtempérer" mais "le vrai débat, c'est la nécessité de la force et des contrôles. Le droit à la vie est le premier des droits, tels que codifiés par l'ONU". Une façon de rappeler que derrière la statistique exacte avancée par Gérald Darmanin, l'enjeu sur l'usage des armes par les forces de l'ordre est plus complexe.
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