Accusations en cascade, zones d'ombre, règlements politiques... Retour sur les polémiques qui ont suivi l'attentat de Nice
Francetv info fait le point sur toutes les polémiques qui ont transformé l'enquête sur l'attentat meurtrier de Nice en bras de fer politique.
Douze jours après l'attentat meurtrier de Nice, l'exécutif fait toujours l'objet de violentes critiques. Christian Estrosi, l'ancien maire de Nice devenu président de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca) et adjoint à la sécurité de la ville, ne cesse d'accuser le ministère de l'Intérieur de ne pas avoir su assurer la sécurité sur la promenade des Anglais le soir du 14-Juillet.
D'abord pointée du doigt pour ne pas avoir mobilisé assez de policiers, la place Beauvau est désormais accusée d'avoir exercé des pressions sur une responsable de la police municipale en charge de la vidéosurveillance. Francetv info fait le point sur toutes les polémiques qui ont transformé l'enquête sur cet attentat meurtrier en bras de fer politique.
Le dispositif policier était-il assez important pour sécuriser la promenade des Anglais ?
Dès le lendemain de l'attentat, Christian Estrosi a émis des doutes sur le dispositif de sécurité mis en place le soir du 14-Juillet sur la promenade des Anglais. Sur France 2, il s'interroge : "Comment est-il possible qu'un jour de 14-Juillet, alors qu'il y a des milliers de personnes sur la promenade des Anglais, un camion puisse pénétrer dans ces conditions ?"
Selon Manuel Valls. Hué sur le lieu du drame lors de la minute de silence observée le lundi suivant, le Premier ministre tente de désamorcer la polémique. Dans un entretien accordé à Nice-Matin, il décrit avec précision le dispositif mis en place ce soir-là. "185 fonctionnaires de la police nationale étaient mobilisés le 14 juillet au soir à Nice, dont 64 sur la seule promenade des Anglais", énumère-t-il. Ces chiffres sont les mêmes que ceux communiqués par la préfecture des Alpes-Maritimes. Le Premier ministre assure qu'il dispose d'une liste précise des agents présents sur place et qu'il est prêt à la communiquer à la justice. Au passage, il appelle le président de la région Paca à "se reprendre".
Selon Christian Estrosi. Mercredi 20 juillet, l'ancien maire de Nice contredit ces chiffres. "J’affirme que les policiers étaient moins nombreux, alors que nous étions pourtant en état d’urgence", accuse-t-il dans un entretien à Nice-Matin au cours duquel il qualifie les chiffres avancés par le Premier ministre de "mensongers". "Je n’ai pas le décompte [de policiers], mais j’ai des témoignages, ajoute-t-il. La police municipale, comme nous en avons la preuve sur de nombreuses photos, était la seule présente jeudi soir à des carrefours stratégiques."
Quelle est la polémique autour de la présence de la police municipale et de la police nationale ?
Rapidement, les questions se sont concentrées sur la présence de la police nationale à l'entrée de la promenade des Anglais. "S’il y avait eu plus d’effectifs nationaux sur le parcours du camion, le chauffeur aurait été abattu dès les premières dix ou quinze secondes", affirme Christian Estrosi dans les pages du Monde.
Les policiers municipaux et nationaux ne sont pas équipés de la même manière. Les premiers disposent d'armes de catégorie D, c'est-à-dire en vente libre et uniquement soumises à enregistrement. Selon L'Obs, ils disposent de revolvers chambrés pour le calibre 38S, de pistolets de calibre 7,65 mm, et de tasers, contrairement aux policiers nationaux qui sont principalement armés de pistolets-mitrailleurs Beretta de calibre 9 mm - des armes de catégorie B. Mais, outre les propos de Christian Estrosi, ce sont les accusations du journal Libération qui font enfler la polémique.
>> Lisez notre article sur les accusations de Libération à l'encontre du ministère de l'Intérieur.
Selon Libération. Dans son édition de jeudi 21 juillet, le quotidien affirme qu'au moment de l'attaque, seuls deux policiers municipaux étaient présents à l'entrée de la Prom', contrairement à ce qu'affirmait un communiqué de la préfecture, en date du 16 juillet. Le document affirmait en effet que "la mission périmétrique était confiée pour les points les plus sensibles à des équipages de la police nationale, renforcés d’équipages de la police municipale". En s'appuyant sur des témoignages et des photos, le quotidien affirme de son côté que la police nationale n'était pas sur place à 22h32, au moment où Mohamed Lahouaiej Bouhlel a commencé sa course criminelle.
Selon Bernard Cazeneuve. Le soir même, le ministre de l'Intérieur fustige "des contre-vérités". Dans un long communiqué, Bernard Cazeneuve s'interroge sur "la déontologie" des journalistes du quotidien et les accuse "d'emprunter aux ressorts du complotisme". Pourtant, sur le fond, le ministre ne contredit pas réellement les faits avancés par le journal. Au contraire, il confirme qu'au niveau du premier barrage, situé au début de la promenade des Anglais, à l'angle avec le boulevard Gambetta, la police nationale a, "comme prévu" et comme l'affirme Libération, été relevée par la police municipale "à 21 heures". Dès lors, les six agents nationaux et leurs deux voitures, sont stationnés plus loin sur la Prom', en plein cœur de la zone piétonne. Ce sont eux qui ont tiré sur le camion, permettant d'interrompre sa course meurtrière.
[Communiqué] Sur les graves contre-vérités publiées par Libération le 21 juillet au sujet de #Nice @libe pic.twitter.com/0eY13poaeh
— Bernard Cazeneuve (@BCazeneuve) 20 juillet 2016
Comment le camion a-t-il pu arriver jusqu'à ce barrage, alors que la circulation était interdite aux poids lourds le 14 juillet ?
C'est une autre polémique, soulevée par une enquête de France Bleu Azur. La radio révèle qu'un arrêté préfectoral interdit au camion de plus de 7,5 tonnes de circuler les veilles de jours fériés à partir de 22h jusqu’à 22h le lendemain. Le camion de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, qui faisait 19 tonnes, était donc concerné par cette restriction.
Selon France Bleu Azur. En plus de l'arrêté préfectoral, un arrêté municipal interdit au véhicule - dont le poids total est, cette fois, supérieur à 3,5 tonnes - de circuler sur certaines artères de la ville, comme la promenade des Anglais. Pourtant, Mohamed Lahouaiej Bouhlel a circulé à plusieurs reprises sur l'axe niçois afin de faire des repérages, comme l'a expliqué le procureur de Paris, François Molins.
Selon la mairie de Nice. Le camion était-il en totale illégalité ? La mairie de Nice s'est défendue dans un communiqué, publié mardi dernier : "Il existe bien un arrêté préfectoral et un arrêté municipal régissant la circulation des poids lourds (...) Il existe des exceptions-dérogations à cet arrêté municipal permettant à certains camions de 19 tonnes de circuler en ville et sur la promenade des Anglais. Exemple : livraison, déménagement..."
Le terroriste avait-il prétexté une livraison de glaces pour accéder à la Prom'?
Cette hypothèse a été massivement évoquée mais elle n'a été avancée par aucune source officielle. Elle vient en réalité de M6, dans un article publié mardi 15 juillet.
Selon M6. La chaîne ne donne pas beaucoup d'éléments. "Selon nos informations, alors que la promenade des Anglais était censée être fermée aux véhicules, Mohamed Lahouaiej Bouhlel a réussi à y accéder en racontant devoir livrer des glaces", écrit seulement le site internet de la chaîne.
Selon la mairie de Nice. "Ce sont des rumeurs. Aucun policier, municipal ou national, n'a évoqué une discussion préalable avec le tueur", indique la mairie de Nice, interrogée par L'Express. De son côté, France Bleu Azur affirme que le 19 tonnes loué par Mohamed Lahouaiej Bouhlel, n'était pas un camion frigorifique, comme l'ont affirmé de nombreux médias ainsi que le procureur de la République de Paris.
Mais alors, comment le camion a-t-il pu passer le premier barrage ?
Là encore, deux versions s'opposent et c'est encore et toujours la présence policière sur place qui est au cœur des interrogations. D'un côté, une note de la direction générale de la sécurité publique affirme que le chauffeur du camion est monté sur le trottoir pour contourner le dispositif policier. De l'autre, un rapport de la police municipale explique qu'aucun policier ne se trouvait sur place.
Selon le rapport de la police municipale. Ce document de trois pages, rédigé le soir du 14 juillet par Sandra Bertin, chef du Centre de supervision urbain (CSU) de la police municipale de Nice, fait le point sur les images de vidéosurveillance. Il affirme que lorsque le poids lourd arrive sur la promenade des Anglais, "le plan étant large, il est difficile de réellement distinguer la montée du camion sur la chaussée", mais "précise que lors de la montée sur le trottoir, celle-ci s'effectue en dehors du périmètre fermé des festivités et qu'il n'y a alors aucune présence policière".
Selon la note de la direction générale de la sécurité publique. Le document, daté du 15 juillet et que francetv info a pu consulter, explique de son côté qu'un "barrage, isolant le périmètre piéton était mis en place par des effectifs de la police nationale", à l'angle avec le boulevard Gambetta. "A l'approche, le camion ne s'est pas arrêté et a contourné le barrage en roulant sur le trottoir". Le document, qui repose en partie sur "l'exploitation des images de vidéoprotection, de la ville" de Nice, précise que "l'angle unique de la caméra orientée sur le barrage en question ne permet pas de voir la réaction de l'équipage PN (police nationale) présent" mais que d'autres caméras permettent "d'apercevoir le gyrophare du véhicule de l'équipage qui tient le point". Cette version - qui affirme que la police nationale était mobilisée - a été, depuis, mise à mal par le communiqué de Bernard Cazeneuve, reconnaissant que les six agents de la police nationale ont été relevés une heure et demi plus tôt.
Le cabinet du ministre a-t-il fait pression sur la police municipale ?
C'est ce qu'affirme Sandra Bertin, la responsable de la vidéosurveillance à Nice. Dans les pages du Journal du dimanche du 24 juillet, elle accuse la place Beauvau d'avoir fait pression sur elle pour modifier son rapport sur le dispositif de sécurité qui était mis en place le soir de l'attentat.
>> Lisez notre article sur la polémique entre une policière municipale et le ministère de l'Intérieur
Selon Sandra Bertin. Face aux journalistes de France 2, elle explique qu'un membre du cabinet du ministre l'a contactée par téléphone. La demande portait, selon elle, sur l'emplacement des policiers municipaux et nationaux sur la promenade des Anglais. Sandra Bertin assure que la personne qu'elle a eue au téléphone lui a demandé une "version modifiable" de son rapport, ce à quoi elle s'est opposée. Un commandant de police reçoit alors l'ordre de lui faire modifier "certains éléments", "certains paragraphes" et "de faire apparaître à certains endroits" des positions de la police nationale, affirme-t-elle.
Selon Bernard Cazeneuve. "Aucun membre de mon cabinet n'a été en contact avec madame Bertin", s'est défendu le ministre, le soir même, au 20h de France 2. "Je n'ai demandé aucun rapport, je ne suis pas au courant de cette affaire", assure-t-il. Le ministre a par ailleurs porté plainte pour diffamation après ces accusations. Sa version a été appuyée par le directeur de la police nationale.
Et pourquoi les images de vidéosurveillance ont été effacées ?
Avec près de 1 300 caméras de surveillance, Nice est l'une des villes les plus surveillées de France. Le soir du 14 juillet, la course meurtrière de Mohamed Lahouaiej Bouhlel a été filmée par six caméras de surveillance. La sous-direction anti-terroriste (SDAT) a demandé le 20 juillet à la municipalité de supprimer les bandes, après qu'elles ont été transmises aux enquêteurs, a révélé Le Figaro.
Selon la ville de Nice. L'avocat de la municipalité, Me Philippe Blanchetier a annoncé à Nice-Matin qu'il avait écrit à la SDAT pour lui faire savoir que la ville n'entendait pas, en l'état, satisfaire cette réquisition. Dans ce courrier, dont Reuters a eu copie, il indique que les données seront, en principe, automatiquement effacées à compter de dimanche soir, comme le prévoit la loi. L'avocat précise toutefois à Reuters qu'il compte saisir le procureur de Nice et le président de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) d'une demande de conservation de ces données au-delà de la durée légale.
Selon les enquêteurs. "Cette réquisition de la SDAT, avec l'accord du parquet, correspond à la nécessité impérieuse d'éviter la diffusion non contrôlée et non maîtrisée de ces images, profondément choquantes pour la dignité et l'intégrité des victimes, a expliqué le parquet de Paris. Ces images sont placées sous scellés judiciaires pour les besoins de l'enquête." Après le 13 novembre, le tabloïd britannique Daily Mail avait créé la polémique en diffusant des images de vidéosurveillance du restaurant Casa Nostra, montrant l'attaque des terroristes.
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