Attentat déjoué à Paris : pourquoi la loi sur le renseignement n'aurait sans doute rien changé
Après l'interpellation de Sid Ahmed Ghlam, le Premier ministre, Manuel Valls, a assuré que la loi sur le renseignement aurait permis de mieux détecter ses projets. Les choses ne sont peut-être pas si simples.
L'attentat de Paris déjoué par les forces de l'ordre a donné un argument supplémentaire à Manuel Valls pour défendre le projet de loi sur le renseignement. Au micro de France Inter, jeudi 23 avril, le Premier ministre a assuré que "la loi sur le renseignement aurait donné plus de moyens aux services de renseignement pour effectuer un certain nombre de surveillances" supplémentaires, autour du principal suspect arrêté. Les choses ne sont peut-être pas aussi simples.
Parce que le suspect était déjà surveillé
Suspecté d'avoir assassiné une jeune femme à Villejuif (Val-de-Marne), et d'avoir projeté de perpétrer un attentat contre deux églises de cette ville, Sid Ahmed Ghlam était déjà surveillé depuis 2014. C'est à cette période qu'il apparaît pour la première fois sur les radars des services de renseignement. Il est "signalé aux services de police comme ayant des velléités de départ en Syrie", a expliqué le 22 avril le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve. Convoqué par la DGSI en 2015, il ressort sans qu'aucune charge ne soit retenue contre lui.
Le projet de loi sur le renseignement n'aurait a priori rien changé à cette réalité. De fait, les services n'auraient sans doute pas demandé que des moyens techniques supplémentaires soient mis en oeuvre, alors que les vérifications n'ont pas révélé, comme l'a annoncé Bernard Cazeneuve, "d'éléments susceptibles de justifier l'ouverture d'une enquête judiciaire".
De plus, même si les "boîtes noires" étaient en place, surveillant l'ensemble de l'internet français à la recherche de "comportements suspects", elles n'auraient probablement rien révélé de plus. "Cette loi sur le renseignement prévoit de placer des boîtes noires chez les fournisseurs d'accès pour trouver des profils suspects. D'accord, mais là, on avait déjà un profil suspect !", résume François-Bernard Huyghe, chercheur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste des questions de terrorisme, interrogé par Atlantico.
Parce qu'il n'y avait pas de faits probants
Comme l'a annoncé le procureur de la République de Paris, François Molins, "les vérifications qui avaient été alors faites par les services de renseignement [la DGSI] n'ont pas permis de révéler des éléments qui auraient pu conduire à l'ouverture d'une enquête judiciaire. Il n'y avait donc, au vu des renseignements obtenus, aucun élément permettant d'objectiver le moindre début d'une association de malfaiteurs".
Le projet de loi sur le renseignement, qui devrait permettre aux services de renseignement d'utiliser de nouveaux moyens pour obtenir des informations, n'aurait sans doute pas été plus efficace dans ce cas-là.
Par exemple, un Imsi-catcher (une valise espionne permettant d'intercepter toutes les communications dans un rayon entre 500 et 1000 mètres) n'aurait probablement pas été utilisée pour une personne interrogée physiquement. S'il communiquait par internet avec un commanditaire présumé en Syrie, un langage sybillin aurait également pu protéger Sid Ahmed Ghlam d'un keylogger, un logiciel qui permet de savoir tout ce que tape une personne sur le clavier d'un ordinateur.
Parce qu'il manquait des moyens humains
La principale raison de la faible efficacité du projet de loi sur le renseignement dans le cas de Sid Ahmed Ghlam repose par ailleurs sur le manque de moyens humains des services de renseignements. Car même en admettant que des données aient été recueillies sur le suspect à l'aide des nouveaux moyens offerts par la loi, encore aurait-il fallu assigner des agents pour les traiter, et pour surveiller physiquement le suspect.
L'annonce de 1 100 nouveaux emplois aux services de renseignement intérieur chargés de lutter contre le terrorisme, elle, n'est pas liée au projet de loi, mais aux attentats de Charlie Hebdo, comme le rappelle le Huffington Post. Or, sur France 2, Alain Rodier, ancien officier supérieur pour les services de renseignements français, souligne qu'il faut "au minimum" 20 fonctionnaires de police pour surveiller une personne suspectée de terrorisme.
D'autant que le plus important reste de connaître et de comprendre dans quel environnement évolue un terroriste potentiel. "Si on veut lutter contre un réseau terroriste, il faut l'infiltrer. Il faut donc des indicateurs. Et dans le contexte actuel, avec des groupes de type djihadiste, c'est particulièrement difficile vu les profils concernés, précise François-Bernard Huyghe à Atlantico. On est face, en effet, à des gens qui préparent des actions avec des membres de leur famille, leur conjoint, ou des copains de leur quartier avec qui ils ont passé leur enfance." Autant de paramètres que la loi sur le renseignement n'aurait pas permis de contourner.
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