Au procès de l'assassinat de Samuel Paty, Brahim Chnina regrette "infiniment" d'avoir "cru sa fille à 100%"

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Brahim Chnina dans le box des accusés, lors de son interrogatoire le 2 décembre 2024, avec ses avocats, dont Franck Berton à gauche. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)
Accusé d'association de malfaiteurs terroriste, le père de la collégienne à l'origine de la rumeur s'est excusé d'avoir qualifié le professeur d'histoire-géographie de "voyou" dans une vidéo.

"Ce que j'ai fait, c'est irréparable." Dans le box des accusés, Brahim Chnina, les cheveux grisonnants, le front dégarni, se lève et incline sa tête vers le micro, pour dire qu'il "regrette infiniment" ses actes, plus de quatre ans après l'assassinat de Samuel Paty. Le père de la collégienne qui avait lancé la rumeur fatale au professeur d'histoire-géographie a renouvelé ces regrets, lundi 2 décembre, tout au long de son interrogatoire.

Mais cet homme de 52 ans, affaibli par un diabète, n'endosse aucune responsabilité et dément faire "partie d'une association de malfaiteurs criminelle terroriste". C'est pourtant ce qui vaut à cet aide à domicile d'être jugé depuis près d'un mois devant la cour d'assises spéciale de Paris. Brahim Chnina est poursuivi pour avoir participé "à l'élaboration et la diffusion de vidéos présentant des informations fausses ou déformées destinées à susciter un sentiment de haine" à l'encontre de Samuel Paty, décapité par Abdoullakh Anzorov, un jeune islamiste radical tchétchène, le 16 octobre 2020.

"J'ai cru qu'il n'aimait pas les musulmans"

Neuf jours avant l'attentat, la fille de l'accusé avait raconté à son père que Samuel Paty avait montré des caricatures de Mahomet nu publiées dans Charlie Hebdo. Selon elle, l'enseignant aurait demandé aux élèves musulmans de sortir de classe s'ils étaient choqués. Or, la collégienne était en réalité absente du cours. Tout ce qu'elle a raconté à l'époque n'était qu'un "mensonge", a d'ailleurs reconnu la jeune fille face à la cour. Elle a été condamnée l'an dernier à dix-huit mois de prison avec sursis pour dénonciation calomnieuse.

Aujourd'hui, Brahim Chnina regrette d'avoir "cru sa fille à 100%". Elle "a fait une faute et moi j'en ai fait autant", assume le père de famille, qui reconnaît qu'il ne peut pas "tout mettre" sur le dos de sa fille. "A un moment j'ai cru que Monsieur Paty n'aimait pas les musulmans", concède Brahim Chnina, qui est également cofondateur d'une association d'aide aux personnes à mobilité réduite pour se rendre notamment en pèlerinage à La Mecque.

"Ce qui m'a fait le plus mal, c'est l'exclusion, la discrimination, ensuite les caricatures : je les mets bien dans cet ordre-là", expose-t-il, en débitant son récit par saccades, d'une voix un peu cassée. Alors Brahim Chnina envoie des messages sur Whatsapp, à des groupes qui comptent "environ 250 personnes" pour raconter la fable de sa fille. La rumeur est lancée, Samuel Paty nommément désigné.

"J'ai fait l'erreur impardonnable de donner les coordonnées du professeur et de l'école."

Brahim Chnina

devant la cour d'assises spéciale de Paris

Le lendemain, Brahim Chnina se rend au collège en compagnie du militant islamiste Abdelhakim Sefrioui, dont il a fait la connaissance le mois précédent et qui se trouve lui aussi dans le box des accusés. Il y a un peu plus de quatre ans, les deux hommes avaient insisté pour rencontrer la principale du collège de Conflans-Saint-Honorine où exerçait Samuel Paty. "Il avait l'habitude de gérer ce genre de situation dans les écoles, j'ai accepté son aide", justifie-t-il. Mais le ton monte et chacun campe sur ses positions. Le soir même, Brahim Chnina se filme avec son portable, un masque chirurgical sur le visage. "Ma fille, elle a été choquée suite au comportement de son prof, c'était un voyou", déclare-t-il dans sa vidéo, postée sur Facebook et qui devient vite virale. "Ce voyou ne doit plus rester dans l'Education nationale."

"Je n'avais aucune intention de lui faire du mal"

Un "engrenage" que l'accusé regrette aujourd'hui, autant que l'emploi du mot "voyou". "Il n'est pas dans mon vocabulaire, il ne fait pas partie de mon langage", assure Brahim Chnina, qui présente à plusieurs reprises ses excuses à la famille de Samuel Paty pour ce terme. Il explique l'avoir utilisé car Abdelhakim Sefrioui l'a employé, tout en réfutant faire peser la responsabilité sur son coaccusé. "C'est nous deux", avance-t-il. Car Brahim Chnina a donné son accord pour que sa fille soit filmée de dos par Abdelhakim Sefrioui le 8 octobre 2020, après le rendez-vous avec la principale. Des images utilisées dans une seconde vidéo de dix minutes, intitulée "L'islam et le prophète insultés dans un collège public", mise en ligne sur YouTube trois jours plus tard, et qui totalise 13 000 vues le 16 octobre à 19h05.

L'assassin a-t-il vu cette vidéo ? L'enquête ne l'a pas prouvé. En revanche, les investigations révèlent "neuf contacts sur la période du 9 au 13 octobre 2020 entre Brahim Chnina et Abdoullakh Anzorov". Pourtant, l'accusé ne se souvient pas particulièrement d'avoir échangé avec lui. "Il a dû soit me proposer une aide financière, soit me dire qu'il allait être présent à la manifestation" qu'il préparait avec Abdelhakim Sefrioui, suggère Brahim Chnina, qui récite en boucle ses arguments sous l'œil attentif de ses avocats.

Une attitude qui incite l'avocate des parents et de l'une des sœurs de Samuel Paty à le pousser dans ses retranchements. "Pourquoi vous vous êtes acharné ?" insiste Virginie Le Roy. "J'ai essayé de créer un lien avec Monsieur Paty, ça n'a pas marché, je suis sûr que si je l'avais rencontré il n'y aurait pas eu tout ça", répond l'accusé.

"Vous dites que vous êtes responsable, mais responsable de quoi ?"

Virginie Le Roy, avocate de la famille de Samuel Paty

devant la cour d'assises spéciale de Paris

"De la vidéo et des messages que j'ai faits. Je n'avais aucune intention de faire du mal à Monsieur Paty et ça je veux que [s]a famille le sache du fond du cœur", rétorque Brahim Chnina. L'accusé, qui encourt trente ans de réclusion criminelle, se dit conscient que "les juges vont trancher sur ce côté-là". Le verdict est attendu le 20 décembre.

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