Au procès de l'assassinat de Samuel Paty, le prédicateur Abdelhakim Sefrioui maintient qu'il n'a "rien à voir" avec l'attentat

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Le prédicateur Abdelhakim Sefrioui, lors de son interrogatoire face à la cour d'assises spéciale de Paris, le 3 décembre 2024. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)
Lors d'un interrogatoire de plusieurs heures, l'accusé a cherché à diluer sa responsabilité dans des grands discours. Il s'est évertué à démontrer qu'il ne se situait qu'à "la marge" des événements qui ont conduit à faire du professeur une cible.

"Si ma vidéo n'existait pas, ça aurait changé quelque chose ? Non." Abdelhakim Sefrioui le clame haut et fort mardi 3 décembre : il n'a pas contribué à désigner Samuel Paty comme une cible. Cheveux blancs clairsemés et barbe en collier, vêtu d'une chemise bleu pâle, le prédicateur musulman est pourtant jugé depuis près d'un mois devant la cour d'assises spéciale de Paris parce qu'il a, entre autres, suscité à travers une vidéo "un sentiment de haine" à l'égard de l'enseignant, décapité à la sortie du collège du Bois-d'Aulne, le 16 octobre 2020, par Abdoullakh Anzorov.

Le montage de dix minutes, mis en ligne sur YouTube cinq jours avant l'attentat, est intitulé "L'islam et le prophète insultés dans un collège public". A 65 ans, Abdelhakim Sefrioui est le plus âgé des accusés, mais aussi celui qui est le plus en verve. Il soutient que cette vidéo n'a "rien changé", d'autant plus que l'enquête n'a pas prouvé que l'assassin l'a visionnée avant son passage à l'acte. Il maintient être "en marge" et qu'il n'a "rien à voir avec la chaîne" de causes à effet qui a contribué à faire de Samuel Paty une cible.

Un accusé qui répond avec aplomb

Originaire du Maroc, arrivé en France en 1982, Abdelhakim Sefrioui se pose d'emblée en pourfendeur de l'injustice. Cet ancien enseignant revendique être intervenu dans des établissements scolaires afin de soutenir des élèves pour "le problème des robes longues" à partir des années 2010, "au nom du droit". Une "légitimité autoproclamée", lui fait remarquer le président de la cour d'assises spéciale. Abdelhakim Sefrioui a également créé le collectif propalestinien Cheikh Yassine en 2004. L'association, qui reprend le nom du fondateur du Hamas, a été dissoute après l'assassinat de Samuel Paty.

Le sexagénaire, qui ne manque pas d'aplomb, rétorque que son collectif ne faisait que soutenir la "résistance" palestinienne et ose une comparaison historique : "Jean Moulin n'était pas terroriste pour les Français, il était terroriste pour les Allemands." Il appuie ses deux mains sur le rebord du box, quand il n'agite pas ses bras au cours de ses explications, dans lesquelles il se perd parfois. Il se revendique "pratiquant" mais refuse la qualification d'"islamiste radical".

Pourtant, la vidéo publiée le 11 octobre 2020 débute par la mention "messager d'Allah" projetée sur un chant religieux. Puis apparaissent des images du collège de Conflans-Saint-Honorine filmées par Abdelhakim Sefrioui, dont la voix en commentaire le désigne comme un établissement scolaire "où l'abject a encore eu lieu". Une manière de dénoncer "l'islamophobie", se défend aujourd'hui le prédicateur.

Il reconnaît un terme "malencontreux"

Dans cette vidéo, la collégienne à l'origine de la rumeur sur Samuel Paty, filmée de dos, déroule ensuite son "mensonge" : selon elle, après avoir montré des caricatures de Mahomet nu, l'enseignant aurait demandé aux élèves musulmans de sortir de classe s'ils étaient choqués. Or, elle était en réalité absente du cours. La vidéo de son père, Brahim Chnina, lui aussi renvoyé devant la cour d'assises spéciale, est ensuite insérée. "Lui il fait sa vidéo, moi je fais ma vidéo. Aucun lien entre les deux", assure-t-il pourtant, se défendant d'avoir participé à une association de malfaiteurs terroriste comme le lui reproche la justice.

Dans la seconde partie de sa vidéo, qui totalise 13 000 vues le 16 octobre 2020 en fin d'après-midi, Abdelhakim Sefrioui se lance dans un monologue face caméra et qualifie Samuel Paty de "voyou". "C'est malencontreux d'utiliser ce terme dans l'absolu, mais un père qui joue avec son enfant de 3 ou 5 ans peut dire : 'Viens petit voyou'", minimise-t-il à l'audience. A l'époque des faits, il assure avoir voulu dénoncer "exclusivement la discrimination" supposée de la part de Samuel Paty. Bien qu'il soit "offusqué" par les caricatures, "ce n'est pas du tout" ce qu'il lui reproche, assure-t-il devant la cour.

Des regrets mais pas d'excuses

Cependant, comme il ne manque pas de le rappeler avec suffisance, Abdelhakim Sefrioui ne livre jamais "le nom du prof" dans sa vidéo, "sortie quatre jours après que le projet macabre de Anzorov soit ficelé". L'accusé explicite ses propos en s'appuyant sur le dossier judiciaire qu'il connaît sur le bout des doigts : "La victime là-dedans, c'est Monsieur Paty, mais d'après tout ce qui sort, le tueur était à la recherche d'une cible depuis le mois de septembre." Abdelhakim Sefrioui n'a pourtant aucun mot d'excuse, ni pour l'enseignant, ni pour sa famille, contrairement à la plupart de ses coaccusés. 

"Ce vendredi 16 octobre, j'aurais aimé être là-bas pour empêcher ce crime, même au prix de ma vie, empêcher ce crime odieux : je l'aurais fait sans hésiter", lâche-t-il seulement en guise de regrets, surtout préoccupé par son propre sort. "Le fait de se retrouver mêlé à ça est une tache", dont l'accusé dit douter de pouvoir "se laver entièrement". Face aux questions de l'accusation posées en fin d'après-midi, alors que son interrogatoire s'étire en longueur, Abdelhakim Sefrioui, qui encourt 30 ans de réclusion criminelle, martèle : "Je suis étranger à ce crime."

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