Enseignants agressés ou menacés : depuis l'assassinat de Samuel Paty, une envolée des demandes de protection fonctionnelle
Quatre ans après l'assassinat de Samuel Paty et un an après celui de Dominique Bernard, les collèges et lycées sont appelés à observer une minute de silence, lundi 14 octobre, pour rendre hommage à ces enseignants tués dans le cadre de leur travail. Depuis ces drames, les demandes de protection fonctionnelle adressées par les enseignants et chefs d'établissement à leur hiérarchie se sont envolées, selon les données du ministère de l'Education nationale.
Ce dispositif permet à tout agent de la fonction publique agressé ou menacé d'obtenir des mesures de soutien de la part de son administration, comme une prise en charge médicale, une assistance juridique ou le remboursement de ses frais d'avocat. Pour les syndicats de l'éducation, même si ces requêtes sont importantes, elles ne doivent pas faire oublier que de nombreux enseignants n'y ont pas recours alors qu'ils pourraient en bénéficier.
Un droit ancien de plus en plus utilisé
Depuis la loi Le Pors de 1983, les fonctionnaires peuvent bénéficier d'une protection fonctionnelle par la collectivité qui les emploie. Dans le cas des enseignants, ce dispositif peut être déclenché lorsqu'il existe un risque manifeste d'atteinte grave à leur intégrité physique (comme des menaces ou des actes d'intimidation), lorsqu'ils sont victimes d'attaques (injures, diffamations, violences, harcèlement...) ou en cas de poursuites pénales, lorsqu'ils sont entendus en qualité de témoin assisté, explique le ministère de l'Education nationale (en PDF). L'enseignant doit formuler une demande écrite auprès de son employeur et apporter la preuve qu'il a subi des attaques en raison de sa profession.
En novembre 2020, la publication d'une circulaire appelant à une meilleure prise en compte et un "suivi systématique" des menaces ou agressions a contribué à l'essor du dispositif tout comme la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Mais avant l'assassinat de Samuel Paty, "c'était un dispositif assez peu connu. Bien souvent nos collègues le découvraient quand ils faisaient face à une agression", témoigne Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, premier syndicat des collèges et lycées. "Il n'était pas souvent utilisé", confirme Guislaine David, secrétaire générale du Snuipp-FSU, premier syndicat du primaire.
"Maintenant dès qu'un enseignant rencontre un problème, on lui dit d'en faire la demande."
Guislaine David, secrétaire générale du Snuipp-FSUà franceinfo
Le doute doit toujours profiter à l'enseignant. Ce dernier peut formuler une demande même si les faits se sont produits en dehors de son établissement ou de ses heures de service, rappelle un rapport sénatorial (en PDF) publié en mars sur les menaces contre les enseignants. Le refus d'octroyer cette protection peut être prononcé si la situation est imputable à l'enseignant ou si elle va à l'encontre de l'intérêt général, défini comme "des motifs susceptibles de discréditer l'administration" ou "en cas d'action en justice qui serait manifestement dépourvue de toute chance de succès", précise le ministère.
Une explosion récente des demandes
Après l'assassinat de Samuel Paty, tué après avoir alerté sa hiérarchie des menaces le visant, le ministère de l'Education nationale a mis en place une enquête annuelle sur le bilan de la protection fonctionnelle. En quatre ans, les requêtes pour obtenir ce disposif ont plus que doublé. Elles sont passées de 2 218 demandes en 2020 à 4 948 en 2023, soit une hausse de 123%.
Entre 2020 et 2021, le nombre des demandes émanant des académies est ainsi passé de 2 218 à 3 211 (+45%), d'après les chiffres du ministère de l'Education nationale. Elles concernent à parts quasiment égales les enseignants du premier degré comme ceux du second degré. Le motif principal de ces demandes (85,7%) était les atteintes volontaires à l'intégrité. Ces requêtes ont été accordées à 82,6%, tous périmètres confondus.
L'année suivante, le nombre de demandes a atteint 3 733, soit une nouvelle augmentation de 16%, développe le rapport de 2022. Les atteintes volontaires à l'intégrité de l'agent sont restées le motif principal d'octroi (86,3%). La principale action mise en œuvre a été l'assistance juridique à 41%.
En 2023, les demandes ont encore connu une augmentation, avec 4 948 requêtes (+33% en un an), d'après le rapport de cette année-là. "Le nombre des protections accordées continue à progresser en valeur nette", note l'administration. En revanche, le montant alloué à ces protections baisse, passant de 922 187 euros au total, contre 1 095 535 euros en 2022.
Un dispositif avec des limites
Derrière cette hausse des demandes au fil des ans, se cachent toutefois des disparités de traitement, selon les syndicats. "L'accompagnement est plus ou moins bien fait en fonction des endroits, estime Guislaine David. Les collègues ont aussi besoin d'être accompagnés et soutenus. Tout cela dépend des volontés individuelles." "Il y a eu quelques améliorations mais on est très loin du compte", ajoute Sophie Vénétitay.
"On n'a pas l'impression que l'institution ait envie que cette protection fonctionnelle se déploie largement, notamment car elle est aussi le thermomètre de quelque chose qui ne va pas."
Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSUà franceinfo
"Les cellules d'écoute et d'accompagnement des rectorats sont plus ou moins équipées et plus ou moins disposées à faire ce travail", observe Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du SNPDEN-Unsa, premier syndicat des chefs d'établissements, interrogé par l'AFP. Selon le rapport du Sénat, le nombre élevé de demandes de protection "ne doit pas conduire à oublier la part d'enseignants qui ne font pas de demande alors même qu'ils pourraient en bénéficier". Ces derniers renoncent "par découragement ou conviction que leur demande sera rejetée" ou bien "que l'octroi se traduira par des mesures dérisoires, inadaptées ou insuffisantes".
L'étude parlementaire rappelle aussi que les délais moyens d'octroi de la protection fonctionnelle, 29 jours en 2022, sont peu compatibles avec "le besoin souvent urgent d'une protection effective". Afin d'améliorer cette situation, la nouvelle ministre Anne Genetet entend élargir le périmètre d'action de l'Etat. Dimanche 13 octobre, dans La Tribune Dimanche, elle s'est dite favorable à modifier la loi pour que son ministère puisse déposer plainte pour un agent menacé. Interrogé sur franceinfo, le secrétaire national du Syndicat national des lycées et collèges, Sébastien Vieille, a salué la proposition : "Tout ce qui sera fait pour protéger les collègues sera de bon aloi."
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