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Saint-Etienne-du-Rouvray : comment la France gère les jihadistes revenus de Syrie, ou qui ont tenté d'y partir

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des policiers devant l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), le 27 juillet 2016. (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)

A l'image d'Adel Kermiche pendant 10 mois, la grande majorité de ces suspects sont placés en détention provisoire avant d'être jugés.

La France a découvert le passé de l'un des deux auteurs de l'assassinat, revendiqué par l'Etat islamique, d'un prêtre dans une église de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), mardi 26 juillet. Adel Kermiche, 19 ans, avait tenté à deux reprises de se rendre en Syrie. Mis en examen, il avait été placé en détention provisoire pendant 10 mois. Il en était sorti en mars dernier, avait été placé sous contrôle judiciaire et portait un bracelet électronique depuis.

Qu'il ait pu commettre un attentat dans ces conditions a suscité de nombreuses réactions sur la façon dont la France gère les aspirants jihadistes qui reviennent de Syrie ou qui ont été interceptés avant leur départ. Francetv info explique comment ils sont pris en charge.

Une détention provisoire très courante

Lors de sa première tentative de quitter la France, en mars 2015, Adel Kermiche était mineur. Après son arrestation à Munich, il est placé sous contrôle judiciaire pour empêcher un nouveau départ. Il retentera tout de même sa chance en mai 2015, après avoir fêté ses 18 ans. Cette fois, c'est la police turque qui l'intercepte à la descente d'un avion arrivé de Suisse. A son retour en France, il est mis en examen pour "association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste" et est placé en détention provisoire.

Aujourd'hui, c'est la décision prise dans la majorité des cas par le juge des libertés et de la détention, auquel sont présentées les personnes de retour de Syrie ou interceptées avant leur départ. Selon le parquet de Paris, 268 personnes sont actuellement mises en examen pour être parties ou avoir voulu partir en Syrie ou en Irak (s'y ajoutent 49 prévenus en attente de jugement). Sur ces 268 personnes, 169 sont en détention provisoire, contre 99 placées sous contrôle judiciaire. La détention provisoire concerne donc 63% de ces mis en examen, contre seulement 20% des mis en examen dans des affaires de droit commun.

La loi précise pourtant bien que placer un mis en examen en détention provisoire en attente de son jugement doit être l'exception. "De fait, en matière de terrorisme, c'est presque devenu la règle", estime Clarisse Taron, la présidente du syndicat, jointe par francetv info, pour qui on ne peut pas accuser les magistrats de laxisme en la matière. Une "règle" à laquelle n'a pas échappé Adel Kermiche, incarcéré dix mois avant que la justice ne le place sous contrôle judiciaire.

Jusqu'à dix ans encourus, mais pas pour un simple départ

En France, l'association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste est passible de dix ans de prison. A titre d'exemple, deux Avignonnais ont été condamnés respectivement à des peines de 5 et 6 ans en février. Un chef d'accusation qui ne permettait pas de juger les personnes parties seules pour rallier la Syrie jusqu'à une loi de 2014, qui a instauré le délit d'entreprise terroriste individuelle. Mais, si la loi peut punir l'intention de perpétrer un attentat, on ne peut pas être condamné pour le simple fait de se rendre en Syrie, même si l'idée a déjà été mise sur la table par la classe politique.

"La détention provisoire est une mesure de sûreté avant le jugement, pas une peine", rappelle Clarisse Taron. "Dix mois de détention provisoire, ce n'est pas rien." Le contrôle judiciaire et l'assignation à résidence auxquels Adel Kermiche restait soumis après sa sortie de prison avaient pour seul but d'empêcher qu'il tente à nouveau de se rendre en Syrie avant son jugement, et non pas de prévenir un risque d'attentat. S'il a été libéré sous condition, là où la quasi-totalité des jihadistes restent en détention provisoire, c'est parce que la justice ne l'a pas jugé dangereux, malgré sa radicalisation. "Il n'y avait sans doute pas de raison de penser qu'il commettrait un meurtre aussi barbare", estime Clarisse Taron. 

Un jugement délicat mais basé sur des enquêtes de personnalité

Adel Kermiche n'a pas été libéré sur un coup de tête. Entre octobre 2015 et février 2016, alors qu'il était détenu à Fleury-Mérogis, il a fait l'objet d'une enquête de personnalité, raconte Le Monde. Celle-ci a notamment noté ses antécédents psychiatriques, le fait que le jeune homme niait être extrémiste, qu'il affirmait ne faire que deux prières par jour et qu'il avait un projet professionnel : devenir aide médico-psychologique. "En matière criminelle, ce type d'investigations psychologiques et psychiatriques sont obligatoires", assure Clarisse Taron. A cela s'ajoutent les éléments concrets recueillis par l'enquête, cherchant à déterminer si le suspect préparait une action terroriste, seule raison pour laquelle il pourrait être condamné.

L'enquête de personnalité peut aussi permettre au juge en charge du dossier de lever la détention provisoire, comme ce fut le cas en mars pour Adel Kermiche. Quel que soit le suspect, le travail du juge implique une estimation de la dangerosité, nourrie par des éléments concrets. Mais ce qui n'est pas une science exacte. "La grande difficulté de la justice est qu'elle ne peut pas prédire l'avenir, rappelle Clarisse Taron. Un collègue juge antiterroriste comparait ce choix au fait d'évaluer le potentiel de récidive d'un violeur."

"Si quelqu’un avait imaginé qu’il allait faire ça, personne ne l’aurait laissé sortir, acquiesce Virginie Duval. Mais, dans l'esprit du juge, le bracelet empêche qu'il parte à nouveau. Si quelqu'un explique qu'il a compris ses erreurs, faut-il le laisser en détention où il risque de se radicaliser encore plus ? C'est ce type de questions que le magistrat met en balance. A priori, dans le cas d'Adel Kermiche, les indicateurs étaient au vert, même si on sait maintenant que c'était à tort."

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