Pas-de-Calais : ce que l'on sait du naufrage de migrants qui a fait six morts dans la Manche
"Un drame humain terrible", a déploré le secrétaire d'Etat chargé de la Mer, Hervé Berville, depuis le port de Calais. Samedi 12 août, six exilés afghans sont morts dans le naufrage d'une embarcation de "probablement 65 à 66 personnes", selon la préfecture maritime de la Manche et la mer du Nord (Premar). Cette traversée s'inscrit dans un contexte de multiplication des départs illégaux depuis quelques jours, encouragés par des conditions météorologiques favorables. Franceinfo revient sur ce que l'on sait de ce drame.
Six personnes sont mortes
Six personnes ont péri dans ce naufrage. Mercredi, leurs corps étaient encore en cours d'identification à l'Institut médico-légal de Lille. A ce jour, la trentaine de personnes rescapées dans les eaux françaises ont toutes été entendues par la justice, a précisé le parquet de Paris, qui collabore avec la justice britannique et attend le retour des auditions d'une autre trentaine de personnes, secourues elles côté anglais. Une incertitude persiste concernant la subsistance d'un ou des disparus en mer, a précisé le parquet de Paris.
La soixantaine de migrants présents à bord de l'embarcation étaient exclusivement des hommes. Selon le parquet de Boulogne-sur-Mer, qui s'est dessaisi de l'affaire au profit du parquet de Paris dimanche 13 août, une grande partie des passagers étaient des Afghans, et les autres des Soudanais. "Quelques mineurs" étaient à bord, a précisé le parquet. L'embarcation a été signalée en difficulté vers 4h20 par un navire de commerce au large de Sangatte, dans le Pas-de-Calais. Selon le procureur adjoint de Boulogne-sur-Mer, Philippe Sabatier, le bateau était "vraisemblablement un canot gonflable inadapté" au nombre de passagers et sera expertisé, explique Le Monde.
Une opération de localisation et de secours a par la suite été déployée. Vers 6 heures, les premiers naufragés ont été secourus avant d'être conduits dans une salle préfectorale d'accueil d'urgence. Une des victimes a été évacuée par hélicoptère à l'hôpital de Calais, les cinq autres par le canot Notre-Dame du Risban de la Société nationale de sauvetage en mer.
Quatre personnes sont mises en examen
Quatre personnes ont été mises en examen, notamment pour "homicide involontaire", "participation à une association de malfaiteurs", et "blessures involontaires" mercredi, a appris franceinfo de sources judiciaires, confirmant une information du Monde.
Deux d'entre eux sont de nationalité irakienne, nées en 1980, et soupçonnées "d’avoir organisé le transfert de migrants sur une embarcation de fortune contre rémunération", a précisé le parquet de Paris. Les deux autres personnes sont de nationalité soudanaise, nées en 1994 et 2006 et soupçonnées "d’avoir participé activement au transport des passagers dans des conditions dangereuses en contrepartie d’un tarif privilégié sur leur propre passage". Le parquet a requis leur placement en détention provisoire.
L'information judiciaire, sous la direction de la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco), a notamment été ouverte pour homicides et blessures involontaires et mise en danger, des infractions toutes deux aggravées par la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence. Ces investigations ont aussi été lancées pour aide au séjour irrégulier en bande organisée et association de malfaiteurs en vue de commettre ce délit.
Un record de traversées vers l'Angleterre
Depuis mercredi soir, les tentatives de traversée de migrants à bord de "small boats" (petits bateaux) depuis le littoral nord de la France se sont multipliées, encouragées par des conditions climatiques clémentes. Jeudi 10 août, Londres a recensé un record journalier de 755 arrivées sur les côtes britanniques. Les traversées maritimes sont en très forte augmentation depuis le verrouillage du port de Calais et du tunnel sous la Manche en 2018. En 2019, l'Angleterre recensait 1 905 arrivées par voie maritime, puis 8 483 en 2020, rapporte Le Monde. En 2022, il y en a eu 45 000, un record absolu. D'après un décompte de l'AFP, plus de 100 000 migrants ont illégalement traversé la Manche depuis 2018. Ces traversées sont particulièrement périlleuses : en 2021, au moins 27 migrants âgés de 7 à 46 ans étaient morts dans le naufrage le plus meurtrier jamais recensé dans la zone.
Des réactions de la classe politique
Des réactions des associations et de membres du gouvernement ont essaimé de toute part en réaction à ce drame humain. Un porte-parole de l'association de soutien aux migrants Utopia 56 a critiqué auprès de l'AFP "la répression" à la frontière, "qui augmente la dangerosité des traversées". L'association Salam s'est pour sa part dite "horrifiée" et a fustigé un "manque de courage" des autorités sur la question migratoire. Pierre Henry, président de France Fraternités, a déclaré sur franceinfo qu'il fallait "faire pression sur la Grande-Bretagne pour négocier des voies d'immigration légale". Il a aussi appelé à la régularisation d'un "certain nombre de personnes", notamment les "Afghans déboutés du droit d'asile, qu'on ne renverra jamais dans le régime des talibans".
Côté gouvernement, la Première ministre, Elisabeth Borne, a salué sur Twitter "l'engagement" des équipes de secours et a envoyé ses "pensées aux victimes". En déplacement dans le Pas-de-Calais, le secrétaire d'Etat chargé de la Mer, Hervé Berville, a attribué la responsabilité du naufrage aux "trafiquants criminels" qui envoient les migrants "à la mort". Il a promis une "lutte implacable" contre ces réseaux. Dans le sillage du naufrage de 27 migrants survenu en 2021, 11 passeurs présumés et sept militaires avaient été mis en examen dans le cadre d'une information judiciaire.
Une politique migratoire plus ferme en France et en Angleterre
Depuis ce naufrage meurtrier en 2021, la tension est montée d'un cran entre Paris et Londres. Emmanuel Macron avait déclaré que "la France ne laisserait pas la Manche devenir un cimetière", tandis que l'ancien Premier ministre britannique Boris Johnson avait assuré vouloir "faire plus" avec la France pour empêcher les traversées illégales. L'arrivée de Rushi Sunak au 10 Downing Street en octobre 2022 a depuis rebattu les cartes : les deux pays ont convenu de renforcer leurs moyens de sauvetage et leur lutte conjointe contre le trafic migratoire lors d'un sommet franco-britannique à Paris, en mars 2023. Le Royaume-Uni s'était alors engagé à verser 541 millions d'euros à la France sur trois ans, rapporte L'Express. Les deux pays ont aussi évoqué le recrutement de "500 nouveaux agents supplémentaires" sur les plages françaises et l'utilisation de drones associés aux nouvelles technologies de surveillance.
L'arrêt des traversées illégales est la pierre angulaire du projet politique de Rishi Sunak, qui multiplie les initiatives visant à "stopper les bateaux" depuis le début de l'année. En juillet, une nouvelle loi est entrée en vigueur, interdisant aux migrants arrivés illégalement en Angleterre de demander l'asile au Royaume-Uni, explique le quotidien La Croix. Cette loi prévoit leur expulsion vers leur pays d'origine ou des pays tiers, comme le Rwanda. Le projet est actuellement à l'arrêt, bloqué par la justice.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.