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Quatre questions sur les "conditions indécentes" de conservation des corps légués à la science à l'université Paris-Descartes

Une enquête de "L'Express" révèle que des dépouilles léguées à la science étaient stockées dans des conditions indignes au Centre du don du corps de l'université Paris-Descartes.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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L'entrée de l'Université Paris-Descartes, à Paris, le 18 septembre 2020.  (MAXPPP)

"On a le sentiment d'être au XIXe siècle ou à la Renaissance, avec les corps putréfiés sur lesquels travaillaient les médecins." Les documents et les témoignages recueillis par L'Express (article abonnés) font froid dans le dos. L'hebdomadaire pointe, dans une enquête publiée mardi 26 novembre, les "conditions indécentes" dans lesquelles le Centre du don du corps (CDC) de l'université Paris-Descartes conserve les dépouilles données à la science.

Après ces révélations, la ministre de la Recherche, Frédérique Vidal a demandé la fermeture administrative du plus grand centre d'anatomie européen, fondé en 1953, en accord avec la ministre de la Santé, Agnès Buzyn. Une mission d'inspection a été lancée, afin "d'établir la réalité des faits" et "la marche à suivre", avant une réouverture du site "dans les meilleures conditions", selon un communiqué diffusé par l'université. L'établissement a présenté "ses excuses aux familles" et annoncé la mise en place d'un numéro (01 42 86 20 48) pour répondre aux questions des proches de donneurs. L'Union française pour une médecine libre (UFML) a annoncé son intention de porter plainte.

Comment les corps étaient-ils gardés ?  

"Dans des locaux vétustes, les dysfonctionnements du centre et les problèmes de gestion ont eu une conséquence terrible : des dépouilles putréfiées, rongées par les souris, à tel point que certaines ont dû être incinérées sans avoir pu être disséquées", relate L'Express. Selon l'enquête de l'hebdomadaire, ce centre parisien présentait "des installations inadaptées, ne respectant pas les obligations légales", "des chambres froides non hermétiques, avec des pannes à répétition (...), une absence de ventilation dans les différents espaces de travail, des canalisations d'évacuation des eaux bouchées". Des photos datant de 2016 consultées par le magazine font état de membres en décomposition, posés sur d'autres corps, au milieu d'un "fatras indescriptible"

Outre le problème du "non respect des règles éthiques élémentaires dues aux morts", le CHSCT dénonçait ainsi en 2014 les conditions de travail sur les lieux, évoquant "le stress lié à la peur de contamination par des maladies/affections non dépistées", rapporte l'hebdomadaire. Plusieurs médecins confirment que les conditions ne sont pas améliorées depuis : "La moitié des corps est inutilisable", confie à L'Express un témoin qui s'est rendu dans l'établissement début novembre.

Mercredi, après publication de l'enquête, l'université Paris-Descartes, qui abrite le centre, a admis qu'"après plusieurs décennies d'activité, certaines installations sont devenues vétustes". "Les pratiques se sont transformées et les exigences sociétales en matière de respect de la dignité et de transparence ont renforcé nos devoirs éthiques", ajoute-t-elle.

Comment expliquer ce délabrement ? 

Cité dans l'enquête de L'Express, l'ancien président de l'université, Frédéric Dardel, qui a quitté ses fonctions en septembre, reconnaît avoir "fait des petites opérations de maintenance", mais assure qu'il n'avait "pas de moyens pour des travaux". "J'étais embarrassé", dit-il. A plusieurs reprises, ce dernier est alerté sur les conditions d'hygiène. En 2016, le directeur du Centre du don des corps (CDC), le chirurgien Richard Douard, en poste depuis deux ans, lui transmet "un inventaire sordide" des manquements qu'il constate, selon L'Express. 

En octobre 2017, il finit par démissionner, suivi par la présidente du comité d'éthique du centre, l'urologue Brigitte Mauroy et par Xavier de Bonnaventure, chargé d'enseignement en droit public à Paris 2, alors membre du comité d'éthique : "Le manque de moyens financiers et humains, en l'absence de lisibilité politique sur la vision de l'université, (...) relèguent au second plan les impératifs moraux de dignité et de respect des sujets et de leurs familles", constatait ce dernier, cité par l'hebdomadaire.

En France, le don de son corps est gratuit, mais les familles doivent s'acquitter du coût du transport de la dépouille, écrit L'Express. Un montant entre "400 et 700 euros en région parisienne" et qui "doit normalement servir à la prise en charge du défunt, jusqu'à la bonne utilisation de son corps par la science, dans un lieu conçu et entretenu pour le recevoir. Or, le fameux 5e étage de l'université parisienne semble ne jamais avoir évolué depuis sa création", constate l'auteur de l'enquête.

A quoi ont servi ces corps légués à la science ? 

Ce centre parisien accueille chaque année plusieurs centaines de corps donnés volontairement, de leur vivant, à la science, explique l'université. Le CDC joue un rôle primordial et indispensable pour la formation des chirurgiens et futurs chirurgiens, mais aussi pour le développement de nouveaux dispositifs médicaux (prothèse, matériel chirurgical) ou de nouvelles procédures opératoires.

Cependant, l'enquête publiée mercredi révèle que les corps sont également vendus à des acteurs privés, tels que des laboratoires. Ces entreprises privées, en achetant des corps entiers (900 euros, selon l'hebdomadaire, qui cite une grille tarifaire votée en 2011 par l'établissement) ou des membres (400 euros), "ont contribué à 75% environ du chiffre d'affaires du CDC en 2013", selon une étude du cabinet KPMG citée par L'Express.

Pour Jérôme Marty, président de l'UFML interrogé par franceinfo, "on contrevient à la décision ultime de la personne de son vivant". "De son vivant, la personne a dit 'Je lègue mon corps à la science' et son corps n'a pas été utilisé, soit parce qu'il a été mangé par des rats ou des souris ou qu'il a pourri avant qu'on l'utilise, soit parce qu'il a été dirigé vers d'autres missions comme celle de crash test par exemple", s'est-il indigné. 

Le nouveau directeur du CDC, Bertrand Ludes, a assuré à L'Express vouloir mettre fin aux démembrements, ainsi qu'à la vente à des organismes privés. Il demande à ce que l'université prenne en charge financièrement les dissections réalisées par les professeurs. Mercredi, cette dernière a fait valoir que si "le don du corps est gratuit, le fonctionnement du centre génère des coûts (préparation, sérologie, conservation, mise à disposition et obsèques)" et justifie la participation demandée aux professionnels qui utilisent ce lieu.

Où en sont les travaux du centre ? 

Des travaux ont été entrepris, selon l'université : ils ont déjà permis de rénover le centre, afin de conserver les corps dans des conditions de dignité et d'intégrité de la personne, assure-t-elle. Le plan de travaux déjà lancé pendra fin à l'horizon 2023, pour un montant total d'environ 7,5 millions d'euros.

En raison de la fermeture administrative, "il n'y a plus d'activités de dissection, mais le centre continuera d'assurer la prise en charge des dons, en lien avec les familles", précise l'Université.

Par ailleurs, les autres centre de dons répartis sur le territoire français ne sont pas concernés par le scandale qui touche celui de l'université Paris-Descartes. 

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