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Internet : quel sort la loi réserve-t-elle aux trolls français ?

Le secrétaire d'Etat à la Justice britannique souhaite quadrupler les peines encourues en cas de harcèlement en ligne. Passage en revue de ce qui se pratique en France.

Article rédigé par Vincent Matalon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Si le projet du secrétaire d'Etat à la Justice britannique se concrétise, les "trolls" pourraient désormais risquer jusqu'à deux ans derrière les barreaux, au lieu des 6 mois de prison maximum actuellement. (ZERO CREATIVES / CULTURA RF / GETTY IMAGES)

Chris Grayling part à la chasse aux "trolls d'internet". Le secrétaire d'Etat à la Justice britannique a indiqué, dimanche 19 octobre, vouloir quadrupler l'importance des peines encourues par les "lâches" internautes qui s'adonnent au harcèlement en ligne. Ce ne serait donc plus six mois de prison maximum qu'ils risqueraient, mais jusqu'à deux ans derrière les barreaux.

"Personne ne tolèrerait que l'on distille un tel venin en personne. Donc cela n'a pas non plus sa place sur les réseaux sociaux", a expliqué le responsable politique au Mail on Sunday (en anglais). Une déclaration qui intervient alors que l'émotion grandit autour de ce phénomène outre-Manche : les parents de la petite Maddie McCann, disparue en 2007 dans le sud du Portugal, ont ainsi révélé récemment avoir été harcelés pendant des mois sur Twitter par une femme de 67 ans.

Quel traitement le droit français réserve-t-il aux trolls ? Francetv info passe en revue les différents cas possibles, qu'il s'agisse de harcèlement, de menaces, ou d'injures.

En cas d'injures : jusqu'à 6 mois de prison et 22 500 euros d'amende

C'est l'un des aspects du trolling les plus répandus. La recherche d'une insulte sur Twitter indique quotidiennement des milliers de nouveaux résultats. Pourtant, injurier quelqu'un sur le web n'est pas anodin : ceux qui s'y risquent encourent les mêmes peines que dans la "vraie vie". "Il n'existe pas deux types de loi. Sur internet, c'est le régime pénal classique qui s'applique", explique à francetv info Julien Fournier, avocat au barreau de Paris.

En l'occurrence, tout dépend de la visibilité qu'obtient le message d'insulte. S'il s'agit d'une correspondance privée, l'internaute grossier mais discret ne risque au maximum qu'une contravention de première classe, soit 38 euros. Ce montant peut grimper à 750 euros en cas d'injure raciste, sexiste, homophobe ou contre les handicapés.

L'affaire devient autrement plus sérieuse lorsque le message injurieux est considéré comme public. C'est, par exemple, le cas des statuts Facebook visibles par de nombreux contacts, ou des tweets, même publiés par un profil "privé", consultables par des centaines d'abonnés. Là, une injure "classique" sera passible d'une amende de 12 000 euros, et une insulte raciste ou homophobe de 22 500 euros d'amende et de six mois d'emprisonnement, selon l'article 33 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse.

En cas de harcèlement : jusqu'à 5 ans de prison et 75 000 euros d'amende

Ce sont ces trolls-ci qui sont dans le viseur du gouvernement britannique. Les autorités envisagent de durcir les sanctions prévues par le Malicious Communications Act, qui mentionnait spécifiquement les "communications électroniques". En France, une telle disposition n'existait pas il y a encore quelques semaines. "Mais la loi du 4 août 2014 [pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes] a modifié les choses", indique à francetv info Christiane Féral-Schuhl, avocate et ancienne bâtonnière de Paris. 

Le récent article 222-33-2-2 du code pénal prévoit que les faits de harcèlement, "lorsqu'ils ont été commis par l'utilisation d'un service de communication au public en ligne", sont désormais punis de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. La peine peut même grimper à trois ans de prison et 45 000 euros d'amende si la victime est un mineur de 15 ans ou moins, "ce que l'on retrouve beaucoup dans le milieu scolaire", précise la spécialiste.

Et gare aux trolls qui harcèleraient leurs proies jusqu'à "provoquer au suicide" : ils encourent jusqu'à cinq ans de prison et 75 000 euros d'amende si leur victime, mineure, a tenté de passer à l'acte, ou s'est suicidée. Cet article du code pénal pourrait bientôt être appliqué. Le Nouvel Observateur rapportait, en février, l'ouverture d'une information judiciaire, à Paris, après le suicide d'une adolescente de 13 ans, retrouvée pendue après avoir été victime d'insultes et de menaces, notamment sur Facebook.

En cas de menaces : jusqu'à un an de prison et 45 000 euros d'amende

A la différence du harcèlement, la loi n'instaure pas de régime spécifique pour les menaces proférées en ligne. Ce qui ne les empêche pas d'être sévèrement réprimées, puisque le code pénal prévoit six mois de prison et 7 500 euros d'amende lorsqu'elles sont "soit réitérées, soit matérialisées par un écrit, une image ou tout autre objet". En cas de menaces de mort, l'addition s'alourdit sérieusement, puisque leur auteur encourt une peine de trois ans de prison et 45 000 euros d'amende.

En pratique, toutefois, une condamnation si lourde est rarissime. L'un des enfants victimes dans l'affaire d'Outreau a ainsi été condamné, en 2011, à une peine de six mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) pour "menaces de mort réitérées" proférées sur Facebook à l'encontre du couple Lavier, acquitté dans le dossier d'Outreau, rapportait alors LeMonde.fr.

Autre pratique récurrente : l'incitation à la haine, à la discrimination ou à la violence. C'est ce dont est accusé l'essayiste Alain Soral, qui a publié, sur son site, en décembre 2012, une vidéo dans laquelle il insulte le journaliste Frédéric Haziza. Il l'y qualifie en outre de "journaliste issu de la communauté dont on n'a pas le droit de parler, qui occupe (...) à peu près la totalité de la super structure idéologique de la France". Pour ces propos notamment, le procureur a requis trois mois de prison avec sursis et 10 000 euros d'amende. Une peine assez éloignée des 12 mois d'emprisonnement et des 45 000 euros d'amende prévus par le code pénal.

Et si le troll se cache derrière un pseudo ?

Le sentiment d'impunité que peuvent ressentir certains harceleurs en ligne qui utilisent un pseudonyme plutôt que leur véritable identité peut vite se heurter à la réalité. "Lorsque la victime dépose plainte, le parquet ouvre une enquête pour déterminer l'auteur des faits", explique Julien Fournier. Lorsque celui-ci est basé en France, "ce n'est en général pas bien difficile de l'identifier grâce à l'adresse IP", qui permet de remonter jusqu'au titulaire d'une connexion internet, continue l'avocat. 

Maigre consolation alors pour le troll rattrapé par la patrouille : le fait d'utiliser un pseudo "n'est généralement pas considéré comme un facteur aggravant, car c'est une situation assez commune", conclut l'expert. 

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