Haine sur Internet : le gouvernement "veut faire semblant d'agir et renforcer les moyens de la police pour défendre son image sur Internet"
Arthur Messaud, de l'association La Quadrature du Net, réagit à la proposition de loi étudiée à l'Assemblée nationale, qui prévoit de renforcer la lutte contre les propos haineux sur internet.
"Le gouvernement ne veut pas du tout régler ce problème de haine en ligne", dénonce Arthur Messaud, juriste à La Quadrature du Net, l'association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet, mercredi 3 juillet à franceinfo. L’Assemblée nationale s’empare d’une proposition de loi qui durcit la lutte contre les propos haineux sur Internet. Il s’agit de responsabiliser les groupes comme Facebook et Google, qui devraient retirer les contenus manifestement illicites sous 24 heures sous peine de payer de lourdes amendes. "Tout ce que veut le gouvernement, c'est faire semblant d'agir d'un côté, et de l'autre renforcer les moyens que la police peut avoir pour défendre son image sur Internet."
franceinfo : Êtes-vous rassuré par les précisions apportées par Cédric O, secrétaire d’État chargé du numérique ?
Arthur Messaud : Certainement pas. Cédric O n’avait absolument aucune réponse satisfaisante à apporter sur les risques de surblocage, sur les risques de censure de contenus illégitimes, de journalistes notamment. Ça ce sont des vrais risques, des risques qu’on a déjà vus. Cette loi-là n’apporte pas de grandes nouveautés dans le fond, elle vient juste renforcer des choses qui existaient avant et renforcer les dérives de censure politique. Des censures réalisées par la police sans contrôle judiciaire.
Estimez-vous que certains contenus puissent relever de la liberté d’expression et donc que des internautes peuvent intenter des recours pour censure ?
Il ne s’agit même pas ça. En janvier dernier, la police a signalé à Google une caricature du président Macron présenté sous les traits du dictateur Pinochet et a enregistré ce signalement en interne en tant que 'injure raciste'. Nous, on a fait une demande à la police pour avoir accès à ces documents, et c’est très clair : la police a dévoyé les mesures de lutte contre le racisme pour faire de la censure politique. Et ça n’est absolument pas un régime démocratique qui fait ça.
Si on analyse la situation des "gilets jaunes" de cette année, on peut vraiment se demander si Facebook n'a pas appliqué le droit classique, le droit antiterrorisme notamment, pour censurer divers contenus des manifestants. Ces craintes-là sont renforcées par cette nouvelle loi avec ce délai absurde de 24 heures qui est complètement inutile et contreproductif et ne changera rien à la situation.
Le gouvernement dit que la haine en ligne a augmenté de 30% en un an et qu'il y a trop peu de plaintes, peu de poursuites et qu'il y a une sorte d'impunité. Êtes-vous d'accord avec ce constat ?
Le harcèlement en ligne, les idéologies oppressives qui se répandent, ce sont de vrais problèmes. Mais ce qui nous inquiète dans cette proposition de loi, c'est qu'elle ne propose aucune solution. Elle se moque des victimes, en faisant croire qu'il suffit d'aller serrer la main à Mark Zuckerberg, le président de Facebook, pour régler la situation.
Alors qu’en fait le gouvernement ne veut pas du tout régler ce problème de haine en ligne. Tout ce qu'il veut, c'est faire semblant d'agir d'un côté, et de l'autre renforcer les moyens que la police peut avoir pour défendre son image sur Internet. Pourtant, il existe des vraies solutions pour qu'Internet soit un espace plus sain, plus calme et plus émancipateur. C’est ce qui a mené une soixantaine de députés à déposer des amendements qui visent à remettre en cause le modèle économique des géants du net et leur hégémonie.
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