Plus de transparence sur Twitter : "On peut douter de la portée" de cette décision judiciaire
La justice française a enjoint le réseau social à l'aider à identifier les auteurs de tweets haineux. Matthieu Berguig, avocat spécialiste en droit de la propriété intellectuelle, répond aux questions de francetv info.
Le tribunal de grande instance (TGI) de Paris a ordonné jeudi 24 janvier à Twitter de communiquer les données permettant d'identifier les auteurs de tweets racistes ou antisémites. La justice l'a aussi enjoint à mettre en place, sur sa plateforme française, un dispositif permettant de signaler des contenus illégaux.
Le réseau social américain avait été assigné en référé par l'Union des étudiants juifs de France et plusieurs autres associations après la diffusion en octobre de messages antisémites suivis des mots clé #unbonjuif et #unjuifmort. La plateforme de microblogging avait retiré les tweets litigieux, mais depuis, d'autres dérapages ont eu lieu, avec notamment #unbonnoir et, début janvier, #siJetaisNazi.
Twitter a donc 15 jours pour exécuter la demande du juge des référés, faute de quoi l'entreprise sera soumise au paiement d'un astreinte de 1 000 euros par jour. Contacté par francetv info, Matthieu Berguig, avocat associé au cabinet Redlink et spécialisé en droit de la propriété intellectuelle et des nouvelles technologies, décrypte cette ordonnance.
Francetv info : Cette décision va-t-elle changer quelque chose, Twitter étant une entreprise américaine ?
Matthieu Berguig : Vous avez raison. Il faut que Twitter accède à cette demande, mais comme il sera difficile de l'y contraindre, on peut douter de la portée de ce référé. Si Twitter refuse, cela lancera une procédure d'exequatur, c'est-à-dire qu'un juge américain analysera la conformité de la décision judiciaire française avec la loi en vigueur aux Etats-Unis. Cela peut prendre plusieurs mois, voire un an, et surtout, il n'y a pas de garantie que cela réussisse. Le juge peut tout à fait refuser que la décision du TGI de Paris soit effective sur le territoire américain. Mais l'astreinte prévue dans le référé peut coûter cher à Twitter.
Techniquement, comment remonte-t-on aux auteurs des tweets illicites ?
C'est assez commun en France. Dans les faits, on peut retrouver le fournisseur d'accès – Orange, Free, SFR… – en utilisant l'adresse IP de l'internaute, puis remonter jusqu'à lui. Le fournisseur va en effet déférer à l'injonction judiciaire de fournir l'identité de l'utilisateur. Mais si les associations veulent retrouver toutes les personnes ayant posté un tweet raciste, cela peut prendre un temps fou !
Une fois identifiés et retrouvés, que risquent les internautes ?
Les messages racistes ou antisémites tombent sous le coup de la loi. On peut s'appuyer sur plusieurs textes, car le droit français est très complet sur la question. D'abord, la loi de 1881 sur la liberté de la presse interdit les propos incitatifs à la haine et à la violence. Cela figure aussi dans le code pénal et la loi Gayssot du 13 juillet 1990, qui "tend à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe". Une injure raciste publique est ainsi passible de six mois de prison et 22 500 euros d'amende. La provocation publique à la haine raciale est punie d'un an de prison et de 45 000 euros d'amende.
Le fait que les mots clé #unbonjuif ou #siJetaisNazi aient été massivement utilisés peut-il bénéficier aux auteurs des tweets incriminés ?
Il y a en effet eu émulation. Mais le juge peut tout à fait considérer cela comme un élément aggravant, car il y a un sentiment d'impunité. En outre, la plupart des internautes ont agi sous pseudonyme, ce qui n'est pas très glorieux. Au final, cela reste très grave et choquant.
Le TGI de Paris ordonne aussi à Twitter de mettre en place, en France, un dispositif permettant de signaler des contenus illégaux. Quelle forme cela pourrait-il prendre ?
Ce qui existe déjà sur Internet, c'est le "signalement". Par exemple, sur le site d'enchères eBay, un internaute peut dénoncer une annonce contrefaisante ou illicite. Mais je n'ai jamais vu ça sur un réseau social [la fonction est en fait déjà implémentée sur Facebook]. Concrètement, sur Twitter, cela se traduirait par un bouton à côté de la fonction "retweet", qui permettrait de "signaler" le message. Mais ce dispositif s'avère compliqué car il peut y avoir de nombreux abus. Twitter devra faire le tri entre les signalements fondés et infondés.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.