"Ce n'est pas ici que la 5G arrivera !" : pas de réseau mobile, pas d'accès à internet... Bienvenue dans une zone blanche
Alors que la 5G arrive bientôt en France, l'absence de moyens de communication modernes persiste dans de nombreuses localités. Reportage dans une zone isolée de la Moselle, où ni l'accès à internet ou au réseau mobile n'est garanti.
En s'approchant du village d'Anzeling, le GPS est perdu. Heureusement, pour le visiteur qui a oublié sa carte routière, le petit village de Moselle est facile à trouver. Au bout d'une ligne droite, le clocher de l'église se dessine, seul point de repère disponible pour atteindre cette commune où le portable ne capte pas. "Ce n'est pas ici que la 5G arrivera !", lance en guise de bienvenue Alain Pierrot, le maire d'Anzeling. La quarantaine, bouc bien taillé, l'élu travaille depuis plusieurs années pour assurer enfin la couverture téléphonique mobile de son village.
Car, comme pour les communes voisines de Piblange et d'Hestroff, Anzeling est reconnue par les services publics comme une "zone blanche". Ici, seul 3% de la population de ce bourg de 530 habitants a accès à un réseau mobile. A l'heure de la 5G, des villages comme Anzeling ne disposent ni d'un réseau mobile, ni d'un accès à internet : la mondialisation est passée à côté de ces bourgs mosellans, situés dans la campagne lorraine, à 35 minutes en voiture à l'est de Metz.
"Impossible de recevoir un SMS !"
Cet isolement prendra bientôt fin. "On va installer l'antenne là", indique Brigitte, première adjointe à la mairie, en désignant du doigt un coin de verdure, en hauteur du village. Un permis de construire a été déposé par l'opérateur SFR pour installer à cet endroit un pylône qui couvrira toute la zone. Car après cinq années d'interminables démarches, le village va enfin sortir de la liste des zones blanches en décembre 2019. La fibre optique amènera internet chez l'habitant dès le mois de juin et la couverture téléphonique de bonne qualité devrait arriver vers la fin de l'année.
Pour le maire, installé dans la commune depuis 2005, l'arrivée du réseau mobile et de la fibre optique est une "victoire inédite". Désormais, l'horizon s'ouvre pour ces Mosellans.
Cela fait 14 ans que j'attends ça !
Alain Pierrotà franceinfo
En attendant l'arrivée de l'antenne, l'absence de réseau reste une galère. "Cet hiver, je voulais aller chez ma fille en Normandie, raconte Jocelyne, retraitée installée dans son salon. Mais les guichets disparaissent dans les petites gares, plus moyen d'acheter sur place ! J'ai une autre fille qui n'habite pas loin, elle a fait la réservation sur internet." Seulement, au moment de payer en ligne, la banque de Jocelyne lui envoie un SMS avec le code de confirmation. "Impossible de le recevoir, il n'y avait pas de réseau !" raconte la sexagénaire au visage doux, qui laisse manifester sa colère. Résultat : la transaction nécessaire à l'achat du billet a été annulée. Après plusieurs essais, elle est quand même parvenue à ses fins. "Mais si je n'avais pas eu ma fille, j'aurais été obligée d'aller à Metz pour prendre un billet..." souligne-t-elle.
Parfois, Jocelyne a la chance de capter deux barres de réseau depuis chez elle. Mais pour ça, elle doit se placer près de la fenêtre de son salon. "Mais là, je n'ai qu'une barre", indique-t-elle, penchée sur son téléphone. Assise à la table de sa cuisine, une tasse de café devant elle, cette grand-mère manifeste sa colère. Elle se décrit comme "curieuse" et déplore de n'avoir "pas d'ouverture au monde" : "C'est restreint avec la radio et la télé."
"Si on veut capter, il faut monter à l'église"
En ce mercredi d'avril, Sylviane, exploitante agricole et adjointe au maire, ne se trouve pas au centre périscolaire de Piblange, où elle travaille en tant qu'animatrice. Dans la salle, des enfants de tout âge vaquent à leurs occupations. Rachel, une autre animatrice, la quarantaine à la taille fine et aux courts cheveux blonds, tente de la joindre. "On ne peut même pas l'appeler sur nos portables, ce n'est pas possible", dit-elle en désignant du doigt l'écran de son smartphone qui affiche "aucun service". Il faut donc passer par le téléphone fixe. Quand on cherche à rencontrer Sylviane, dont la ferme se situe en bas du village, derrière un pâté de maisons, les indications de Rachel s'avèrent précieuses. Car là encore, le GPS n'est d'aucune aide à Piblange.
"Entrez !", lance Sylviane d'une voix joviale, en tenant la porte d'entrée. La femme brune aux cheveux courts a repris les terres de ses parents agriculteurs en 2005. Même si elle dispose d'une bonne connexion par rapport aux autres Piblangeois, elle ne cache pas que pour les démarches administratives, c'est toujours très "long". Pas facile du coup de gérer la comptabilité de sa société sur place :
Pour enregistrer dix factures, ça m'a pris deux heures. Un jour, ça se passe bien au niveau de la connexion, mais le lendemain...
Sylvianeà franceinfo
L'adjointe au maire enfile ses bottes pour aller rendre visite à ses vaches. Sur le pas de la porte de sa maison, plus de réseau. "Si on veut capter quelque chose avec Orange, il faut monter à l'église", recommande-t-elle.
"On souffre beaucoup de ne pas avoir de réseau, déplore Valéria Febvay, la maire de Piblange. On est obligés d'être collé aux fenêtres !" Une situation qui porte "préjudice" aux habitants et au village lui-même, dénonce cette élue, lunettes sur le nez. "Les éventuels nouveaux arrivants nous demandent si on a le réseau, les écoles ou le périscolaire pour accueillir les enfants. Si on a aucun de ces critères, ça ne marche pas", continue-t-elle. Ici, impossible de se passer d'un abonnement à une ligne fixe. "Parce qu'on ne peut pas compter sur nos portables si on n'a pas de réseau", explique Valéria Febvay.
Alors qu'elle fêtait son anniversaire, Maëlle, la benjamine de Sylviane, a dû aller chercher ses amis dans le village au bout d'une demi-heure. "Ils ne savaient pas où était la maison et ne pouvaient pas me joindre car il n'y avait pas de réseau", raconte la jeune adolescente de 16 ans aux longs cheveux châtains. Assis aux côtés de sa petite sœur dans la salle à manger, Nicolas, l'aîné de 21 ans, renchérit : "Cela peut être gênant, car quand j'ai un ami qui m'envoie un message en me disant : 'Viens chez moi à telle heure', je le reçois toujours une heure après", dit-il dans un sourire.
Les deux frère et sœur empruntent parfois une voiture pour aller sur la place de l'église, seul point stratégique bien connu du village où il est possible de capter le réseau 3G. Et quelques fois la 4G. "C'est le seul endroit où on arrive à avoir la 4G, après quand on descend, c'est fini", explique Nicolas, qui trouve injustifié de devoir payer au même prix que les autres les abonnements téléphoniques alors qu'ils n'ont même pas "la couverture qui va avec".
"Il a fallu bouger pour appeler les pompiers"
A Hestroff, à 2 km de Piblange, Sabrina entasse les derniers cartons déballés dans le coffre de sa voiture, garée devant la maison dans laquelle elle vient d'emménager avec Evan, son fils de 12 ans. La petite famille, originaire de Marseille, a élu domicile dans cette commune voisine d'Anzeling, "pour le calme". Chez elle, son portable fonctionne uniquement dans la cuisine. "Mais pour téléphoner, je suis obligée d'aller au fond du jardin", précise Sabrina.
La jeune femme relativise avec bonne humeur : "A Momerstroff, à 20 minutes au sud, on a des amis qui, eux, sont vraiment coupés du monde ! Impossible de les joindre !" Pour pallier ce manque de communication, les amis s'appellent en journée quand ils sont "tous au travail". Mais cette absence de couverture devient contraignante dans les situations d'urgence. "Cela nous est déjà arrivé de prendre la voiture à minuit pour pouvoir aller téléphoner près de Bouzonville où il y a du réseau", raconte Sabrina. Nicolas, le fils de Sylviane, abonde : "Un incendie s'était déclaré dans une des fermes de Piblange et il a fallu rentrer à la maison où ça capte mieux pour pouvoir appeler les pompiers !"
Prendre un rendez-vous médical ou effectuer des démarches administratives relève de la gageure, en l'absence de réseau. "J'ai des rendez-vous qui me sont passés à côté comme ça", remarque Sabrina. Du coup, elle ramène tous les numéros de ses prestataires au bureau pour pouvoir les appeler sur ses temps de pause. "Par exemple, pour l'emménagement, il faut téléphoner à tout le monde : EDF, l'eau, la banque, les impôts, pour prévenir qu'on a déménagé..." Il arrive souvent à la jeune femme de rester plus longtemps sur son lieu de travail "pour scanner un papier" ou "envoyer un e-mail".
Avant d'arriver à Hestroff, Sabrina et Evan habitaient à Guerstling, une commune située près de la frontière allemande, à 16 km de là, où l'absence de réseau était encore plus flagrante : "Là-bas, c'était pire, il n'y avait pas de réseau mobile du tout, ni de connexion internet."
On est arrivés dans la région il y a cinq ans. Et dans aucun des quatre villages dans lesquels on a habité, il n'y avait de connexion internet.
Sabrinaà franceinfo
Propriétaire du haras du Moulin, à la limite d'Hestroff et d'Anzeling, Antoine Scholtus reçoit toujours une flopée de messages sur son portable dès qu'il sort du village. Sur leur site internet, sa femme Sylvia et lui préviennent les clients ou futurs visiteurs de "l'indisponibilité du réseau". Ils déconseillent également les messages par SMS dont ils ne peuvent garantir la réception. "Des fois, certains clients qui viennent sont énervés parce qu'il n'y a pas de réseau. Il y a des jours où ils attendent un coup de fil, raconte-t-il. C'est gênant." Le propriétaire du haras aussi aimerait bien avoir du réseau, surtout en cas d'urgence. "Si un cheval est malade, c'est bien de pouvoir appeler le vétérinaire très vite", souligne-t-il.
"C'est la ville d'abord, les campagnes après"
Chez Jérémy, ils ont essayé tous les opérateurs. "Ma femme est chez Orange, mon fils chez Bouygues et moi chez Free. Aucun ne marche." Devant leur maison, cette famille raconte son quotidien sans réseau. Vivre dans une zone blanche "quand on a un jeune de 18 ans à la maison, c'est compliqué", ajoute Jérémy dans un sourire. Et pour cause : lorsque Jordan, leur fils, veut jouer en réseau avec sa console de jeu, il leur lance un ultimatum : "Stop ! Plus personne n'a le droit d'utiliser internet, il n'y a que moi qui joue !"
Aurélie, la mère de famille, est pâtissière et reçoit souvent ses commandes "avec deux jours de retard". Un handicap technologique que le maire Alain Pierrot estime rédhibitoire : "Etre dans une zone blanche, ce n'est pas un gage d'attractivité !" Il est vrai que les entreprises s'installent rarement dans le secteur. Récemment, un entrepreneur d'une société de nettoyage de poids lourds a ainsi refusé de rester à Anzeling pour y installer ses bureaux, faute de réseau mobile et de connexion internet à la hauteur. "Il est allé ailleurs, à Remelfang" à 5 km de là, regrette Brigitte, l'adjointe au maire.
Malgré sa bonne humeur, Jocelyne, la retraitée d'Anzeling, ne cache pas son exaspération face à la lenteur du processus pour installer la couverture dans la région. "On est de la campagne, on n'est pas intéressants, balaie-t-elle de la main. C'est toujours la ville d'abord, les campagnes après. C'est pour ça que les gilets jaunes se révoltent ! Je les comprends..." Autrefois, à Anzeling, la petite gare était fonctionnelle. Désormais, il faut parcourir 8 km et aller à Bouzonville pour prendre le train. "Il ne faut pas s'étonner que les gens soient en colère, un peu violents", conclut-elle. Si Jocelyne avait accès à internet, ce ne serait pas forcément pour participer au grand débat. "J'irais sur Meetic !" blague la grand-mère.
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