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La BCE sera-t-elle le Zorro de la zone euro ?

La Banque centrale européenne pourrait racheter de la dette espagnole et italienne, afin de juguler la crise. Une option qui plaît aux Bourses, mais qui agace Berlin.

Article rédigé par Ariane Nicolas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, donne une conférence de presse à Francfort (Allemagne), le 6 juin 2012. (ARNE DEDERT / DPA)

"La Banque centrale européenne est prête à tout pour sauver l'euro." Cette phrase du président de la BCE, Mario Draghi, prononcée le jeudi 26 juillet à l'occasion d'une conférence de presse, a provoqué l'effervescence dans la zone euro. De nombreux acteurs y ont perçu la volonté de la Banque centrale d'intervenir sur le marché secondaire de la dette publique, en rachetant de la dette espagnole et italienne. Une manœuvre qui ne fait, a priori, pas partie de ses prérogatives.

Sur le papier, en effet, son mandat est strictement encadré : il s'agit de contenir l'inflation et de contribuer à la stabilité du système financier et de la monnaie unique. Autrement dit, la dette des Etats et les plans de relance, ce n'est pas vraiment son affaire. Jeudi 2 août, Draghi devrait préciser ce qu'il entendait par "prête à tout". La BCE va-t-elle changer de statut ? Aura-t-elle de nouveaux pouvoirs ? Que peut-elle faire concrètement pour l'euro ? Explications.

Les marchés y croient...

Quelques minutes après la fameuse conférence de presse de "Super Mario", les Bourses européennes se sont envolées, preuve qu'elles lui font entièrement confiance. Paris a clôturé en très forte hausse (à 4,07%). Londres, Milan ou encore Madrid ont aussi terminé en nette augmentation. Au même moment, les taux d'emprunt à dix ans ont baissé : ils sont repassés sous la barre des 7% en Espagne, contre plus de 7,5% la veille, et sous les 6% en Italie, contre plus de 6,5% quelques heures plus tôt. 

"Il y a une phrase importante qu'a dite M. Draghi, c'est ce 'croyez-moi, ce sera suffisant', a souligne Gilles Moec, économiste à la Deutsche Bank. Même si rien de concret n'a encore été annoncé, "la promesse a suffi à calmer les marchés", analyse Benjamin Carton, économiste au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii). A Madrid, le quotidien El País s'est également félicité que "la tempête financière sur l'Espagne se soit calmée avec un seul geste de la BCE", relate PressEurop

... Tout comme certains gouvernements

De nombreux gouvernements estiment que la Banque centrale peut remédier à la crise financière en Europe. Le ministre des Affaires étrangères espagnol a lancé un appel à l'aide, samedi. "Quelqu'un doit aujourd'hui miser sur l'euro, et comme l'architecture de l'Europe n'a pas changé, qui peut le faire sinon la BCE ?", a-t-il déclaré.

Mardi 31 juillet, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, a lui aussi plaidé pour une plus grande implication de la BCE dans la lutte contre la crise dans la zone euro. "Certes", a-t-il expliqué, le rôle de la BCE est de "s'occuper de politique monétaire (...) Nous ne sommes pas confrontés à de l'inflation, mais à de la spéculation". Mais selon lui, la Banque centrale européenne reste "le meilleur instrument de contre-attaque à notre disposition".

Le FESF peine à séduire

Ces acteurs ont d'autant plus envie de croire à un sauvetage de la BCE que le Fonds de secours financier européen (FESF), créé justement pour contourner l'impossibilité de la BCE d'être prêteur, remplit mal sa mission. "Le FESF souffre d'un problème de ressources, de réactivité et de flexibilité", expliquait au Monde, en novembre 2011, un économiste de la banque Standard Chartered. "Afin de financer ses missions, il doit lever des fonds sur les marchés, ce qui prend du temps."

Le Mécanisme européen de stabilité (MES), son successeur, a beau être doté de 500 milliards d'euros, cette manne est jugée insuffisante, notamment si l'Italie devait s'enfoncer dans la crise. "De son côté, la BCE peut, du jour au lendemain, déclencher des achats d'obligations de pays périphériques, expliquait cet économiste. C'est sa grande force : sa puissance est par définition illimitée car c'est elle qui imprime l'euro." 

Par ailleurs, le MES tarde à entrer dans l'arène. A l'origine, il devait amorcer la transition avec le FESF au 1er juillet 2012, mais la Cour constitutionnelle allemande rendra le 12 septembre, seulement, une première décision concernant son application. Six plaintes visant à bloquer sa ratification ont en effet été déposées par des députés de la gauche radicale Die Linke, par un élu conservateur et une association de citoyens. En attendant, la BCE joue un rôle croissant de pilier dans la tempête.

Le plan d'action de la BCE

D'après Le Monde, la BCE prépare depuis quelques semaines "une action concertée avec les Etats de la zone euro". La Banque centrale relancerait son programme de rachat d'obligations sur le marché secondaire, celui où s'achètent et se vendent les emprunts déjà émis, pour éviter que les taux ne s'envolent. "La BCE n'ira pas sans les gouvernements : elle agira s'ils sont prêts à actionner les fonds de secours", décrypte un responsable européen cité par le journal.

La Belgique propose également une plus grande capacité d'intervention. "Pourquoi ne peut-elle pas financer aussi l'investissement, et pourquoi pas certains Etats ?" s'interroge le ministre des Affaires étrangères belge, Didier Reynders, cité par Tendances Trends. Pour ce faire, il faudrait accorder une licence bancaire au Fonds européen de stabilité financière (FESF) et à son successeur, le Mécanisme européen de stabilité (MES), afin qu'ils puissent emprunter à ses guichets et leur offrir ainsi une puissance d'action décuplée.

Le Fonds monétaire international (FMI) plaide, lui aussi, dans ce sens. "Pour renforcer encore son rôle sur les marchés financiers, on pourrait attribuer à la BCE la responsabilité explicite de la stabilité financière et les attributs complets de prêteur de dernier recours", explique le FMI. Le Fonds recommande donc "la relance du Programme pour les marchés de titres (SMP)", le marché secondaires de dettes souveraines, mis en sourdine depuis six mois. Problème, certains pays sont formellement contre, à commencer par le premier contributeur du FESF, l'Allemagne.

L'Allemagne, principal obstacle

Vendredi, la Bundesbank, la banque centrale allemande, a rappelé sa réticence à l'idée d'autoriser la BCE à acheter des titres de dette souveraine. Au nom du principe de souveraineté nationale, elle est également contre le fait d'attribuer une licence bancaire au FESF ou au MES, qui leur permettrait d'aller se refinancer auprès de la BCE.

Le quotidien Die Welt déplore ainsi que "la BCE s'avère être un cheval de Troie". Il redoute que "Mario Draghi transforme le symbole d'une Europe nouvelle, d'une Europe des réformes, des principes, de la monnaie stable" en une institution organisatrice d'une "vaste redistribution à la charge du Nord de l'Europe", relate Press Europ.

Quant aux agences de notation, elles se montrent également sceptiques. "Draghi a confirmé la volonté de la Banque centrale européenne de gagner du temps, mais la BCE ne peut résoudre à elle seule la crise de la dette", a commenté Moody's après la conférence de presse du président de la BCE, citée par Boursier.com. "L'agence reconnaît malgré tout que le timing de l'annonce de Mario Draghi était très bien calculé", note le site. Reste à savoir ce que cette annonce prévoyait vraiment.

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