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La compétitivité selon Jean-Marc Ayrault

En attendant les conclusions du rapport Gallois, le gouvernement met l'accent sur la compétitivité "hors coût", évitant le sujet du coût du travail.

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, à l'Institut de recherche technologique Jules Verne, le 15 octobre 2012 à Bouguenais (Loire-Atlantique). (JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP)

ECONOMIE - Pour le Medef, la compétitivité, c'est la baisse du coût du travail. Pour le gouvernement, pas forcément. A la veille de l'examen par l'Assemblée nationale du budget 2013 et de ses hausses d'impôts acccusées de freiner la croissance, le Premier ministre a ouvert, lundi 15 octobre, ce chantier très attendu, à l'occasion d'un discours à l'Institut de recherche technologique Jules Verne de Bouguenais (Loire-Atlantique).

L'idée d'un choc de compétitivité, que réclame une nouvelle fois la patronne des patrons, Laurence Parisot, dans une interview au Figaro, a un temps traversé l'esprit de l'exécutif. Ce dernier semble avoir finalement pris le parti d'aborder le sujet de manière plus prudente. Sans traiter frontalement la question du coût du travail, mais en se concentrant sur les autres aspects de la compétitivité. 

Baisser le coût du travail, une voie risquée pour la gauche

Un article du Monde paru début octobre prêtait au gouvernement la volonté de s'engager dans une "trajectoire" – et non un "choc" – de compétitivité qui consisterait à alléger de 40 milliards d'euros en cinq ans les charges sur les entreprises. Avec, en contrepartie, la hausse d'un impôt à assiette large : TVA, CSG, voire une fiscalité verte qui resterait à inventer.

Mais ce scénario est de moins en moins probable. Il est d'abord risqué politiquement : après avoir vilipendé puis abrogé la "TVA sociale" votée sous Nicolas Sarkozy, la gauche aurait le plus grand mal à justifier la création d'un mécanisme comparable, fût-il assis sur la CSG plutôt que sur la TVA. Sans compter que la finalité d'un tel projet – faire supporter les allègements de charge des entreprises par les salariés – ne ressemble pas, a priori, à une politique de gauche. Les ministres concernés, Jérôme Cahuzac (Budget), Marisol Touraine (Affaires sociales) et Michel Sapin (Travail) ont à plusieurs reprises exclu une hausse de la CSG.

Cette hypothèse est ensuite risquée économiquement, à en croire les économistes maison du PS, car elle pénaliserait le pouvoir d'achat des Français. Une hausse de la TVA ou de la CSG risquerait de mettre à mal la consommation des ménages, considérée comme l'un des seuls moteurs de l'économie française en période de crise. "La conjoncture ne permet pas de faire un transfert des cotisations patronales sur les ménages, quelle que soit la forme de ce transfert, que ce soit sous forme de TVA ou de CSG", a ainsi déclaré il y a quelques jours Pierre-Alain Muet, député PS du Rhône et vice-président de la commission des finances à l'Assemblée.

S'inspirer de l'innovation à l'allemande

Pour le gouvernement, il est donc urgent d'attendre avant de prendre des décisions sur le coût du travail. Le rapport sur la compétitivité commandé à Louis Gallois, ex-président exécutif d'EADS, qui sera rendu le 5 novembre, devrait largement guider les orientations du séminaire interministériel qui sera réuni par Matignon dans la foulée.

En attendant, c'est l'occasion pour la gauche de promouvoir sa vision de la compétitivité, qui ne repose pas seulement sur le coût du travail. Ce que les économistes appellent la compétitivité "hors coûts" ou "hors prix", largement développée outre-Rhin. Selon Eurostat, le coût horaire du travail en France est de 34,2 euros en moyenne. En Allemagne, devenue au fil des années l'exemple à suivre en matière de compétitivité, il est certes moins élevé (30,1 euros), mais celui-ci reste bien supérieur aux coûts espagnol (20,6 euros) ou britannique (20,1 euros).

Quelle est donc la recette de cette prospérité allemande ? Les députés socialistes Pierre-Alain Muet et Guillaume Bachelay notent, dans une tribune publiée dans Le Monde (article abonnés), que "l'Allemagne investit dans la formation initiale et continue, assure le financement décentralisé des PME, structure les entreprises de taille intermédiaire, mise sur le dialogue social. Surtout, elle spécialise son industrie pour répondre à la demande des pays émergents et se positionne sur le haut de gamme. C'est le cas dans l'automobile ou les machines-outils".

Un rapport commandé par le Fonds stratégique d'investissement (FSI) et rendu public la semaine dernière égrène les raisons du succès du Mittelstand (ce tissu de PME symbole de la réussite allemande). L'étude, qui évoque "un cercle vertueux", rapporte que les entreprises allemandes se positionnent sur des marchés de niche et mettent l'accent sur une innovation graduelle des produits existants, plutôt que sur des révolutions technologiques. Le lien entre recherche fondamentale et recherche appliquée y est quasi institutionnalisé par le biais des 57 Instituts Fraunhofer, chacun spécialisé dans un domaine, et répartis sur tout le territoire, créant ainsi de véritables "écosystèmes" locaux.

Ces observations donneraient plutôt raison à Jean-Marc Ayrault lorsqu'il défend, comme dans son discours de lundi, le rôle des Instituts de recherche technologique (on en compte huit en France, adossés à des pôles de compétitivité régionaux) pour "favoriser le transfert de technologies innovantes dans le tissu industriel". Ou plus largement, lorsqu'il déclare : "La compétitivité, c'est la recherche, c'est l'innovation, les partenariats."

L'Allemagne a aussi fait des réformes structurelles

Bien sûr, Jean-Marc Ayrault en parle peu, mais il ne faut pas oublier que l'Allemagne a aussi agi sur le coût du travail et la protection sociale dans les années 2000, sous l'impulsion du chancelier social-démocrate Gerhard Schröder. Les lois Hartz, votées entre 2003 et 2005, ont profondément modifié le marché du travail allemand en durcissant les modalités des indemnités chômage, en facilitant le développement des petits boulots et des emplois précaires.

En 2007, alors qu'Angela Merkel était à la tête de la grande coalition SPD-CDU, la TVA a été réhaussée de trois points, passant de 16% à 19%. L'argument a régulièrement été brandi par l'UMP pour défendre la TVA sociale version Sarkozy. En oubliant que seul un tiers des recettes supplémentaires a été utilisé pour compenser une baisse de la fiscalité sur les entreprises, les deux autres tiers étant consacrés à la réduction du déficit.

Est-ce en imitant l'Allemagne que la France réussira à retrouver le chemin de la croissance ? Dans une note intitulée "L'Allemagne : un modèle, mais pour qui ?", la consultante et professeure au CERI-Sciences Po Jacqueline Hénard en doute. "L'Allemagne n'a pas cherché à copier un modèle, mais à débloquer les verrous propres à son mode de fonctionnement, souligne-t-elle. Le véritable avantage comparatif de l'Allemagne réside moins dans les réformes et le changement que dans la continuité du discours et de l'action."

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