Intempéries et inondations : pourquoi le "fonds Barnier" de prévention des risques naturels est critiqué

Ce dispositif a été créé par Michel Barnier en 1995, lorsqu'il était ministre de l'Environnement. Les assureurs demandent aujourd'hui l'augmentation des crédits alloués, alors que les catastrophes naturelles se multiplient.
Article rédigé par Thibaud Le Meneec
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Une vue aérienne de la commune de Limony (Loire), touchée par des inondations le 18 octobre 2024. (FABRICE GHIOTTI / SECURITE CIVILE / AFP)

Des catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes et une facture qui s'alourdit. Le coût des inondations qui ont touché le Centre-Est, le Sud-Est et l'Ile-de-France, jeudi 17 et vendredi 18 octobre, a été estimé "entre 350 et 420 millions d'euros" par le réassureur public Caisse centrale de réassurance (CCR), mercredi 23 octobre. "C'est un épisode inédit par son ampleur et qui est sans doute une expression du dérèglement climatique", a précisé vendredi Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, en déplacement dans le département de la Loire.

Après ces sinistres, le "fonds Barnier" va immanquablement être sollicité. Ce dispositif public, créé en 1995 par Michel Barnier lorsqu'il était ministre de l'Environnement, permet aux collectivités territoriales, aux petites entreprises et aux particuliers de financer des travaux pour réduire la vulnérabilité de bâtiments exposés aux catastrophes naturelles. Initialement prévue pour financer les indemnités versées aux propriétaires de biens expropriés en raison de risques naturels graves, cette cagnotte a vu son champ s'élargir depuis son lancement. Le Fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), de son vrai nom, a ainsi financé environ 700 opérations de prévention, pour un montant moyen de plus de 170 millions d'euros par an, entre 2009 et 2020, selon la CCR.

Le secteur des assurances dénonce "un hold-up"

Mais face aux phénomènes météo violents que connaît la France aujourd'hui, ce "fonds Barnier" est-il suffisant ? Le secteur des assurances juge que non et interpelle l'Etat, en plein débats budgétaires. "Arrêtons le hold-up sur le 'fonds Barnier'", a lancé dimanche sur franceinfo Florence Lustman, la présidente de France Assureurs. Le même jour, sur RTL, la ministre de la Transition écologique a répondu que "le Premier ministre a[vait] annoncé des évolutions en matière de 'fonds Barnier', qui reposent également sur un travail avec les assureurs". A ce stade, dans le projet de budget pour l'année 2025 (PDF en téléchargement), 225 millions d'euros sont alloués au FPRNM, soit un montant similaire aux crédits pour 2024.

Pour comprendre la polémique, il faut s'attarder sur le mode de financement de ce dispositif. Chaque année, l'Etat applique un prélèvement sur les contrats d'assurance dommages habitations et biens professionnels des assurances privées. Jusqu'en 2020, il se servait d'une partie de ces prélèvements pour nourrir le "fonds Barnier". Mais désormais, le gouvernement peut moduler à sa guise le financement du FPRNM. Or, le prélèvement fait sur les contrats d'assurance, "qui était jusqu'à présent de l'ordre de 25 euros par an, va passer à 40 euros par an environ" au 1er janvier 2025, a détaillé la responsable sur franceinfo. Cette surprime, qui sert à financer le régime de catastrophe naturelle, est directement payée par les assurés.

Un fonds largement sous-alimenté ?

"Mécaniquement, du fait que la surprime 'cat nat' va augmenter pour financer ce régime des catastrophes naturelles, l'abondement sur le 'fonds Barnier', qui est un pourcentage de cette prime, va lui aussi augmenter", explique Florence Lustman. Autrement dit, la surprime grimpe de 12% à 20%, donc le produit de la taxe prélevée aussi. "Si on fait un calcul global, ça devrait représenter à peu près 450 millions d'euros pour 2025. Aujourd'hui, on ne retrouve que la moitié, 220-225 millions d'euros, c'est insupportable", dénonce la responsable de France Assureurs.

Il y a donc un écart considérable entre ce que rapporte la taxe sur les surprimes et le montant réellement alloué au "fonds Barnier". Une partie pourrait cependant être comblée : "Une enveloppe de 150 millions d'euros est demandée dans le cadre du Plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc), qui doit être présenté dans les prochains jours", a précisé le ministère de la Transition écologique aux Dernières Nouvelles d'Alsace, mardi. Le "fonds Barnier" pourrait être "mobilisé" pour financer le troisième Pnacc, prévu pour fin octobre et présenté comme une "priorité", a par ailleurs affirmé le Premier ministre au JDD, dimanche.

Les moyens du FPRNM pourraient aussi grimper à la faveur du débat autour du projet de loi de finances 2025. "J'espère que cette succession d'événements exceptionnels va nous aider à convaincre le gouvernement et les députés", a appelé Florence Lustman sur franceinfo. Cette pression du secteur des assurances n'est pas nouvelle. Interrogé au printemps 2023, Michel Barnier confiait à franceinfo qu'il avait dû affronter "beaucoup de lobbying des assurances" au moment de lancer ce fonds, dont l'idée lui avait été inspirée par les réflexions du volcanologue Haroun Tazieff.

Des critiques anciennes sur son fonctionnement

Les critiques sur le financement et le fonctionnement de ce fonds ne datent pas de cet automne. Un rapport de l'ONG Oxfam France, publié en juillet, fustige la difficulté, pour de nombreux ménages, à recourir à ce fonds pour des travaux. "Le taux de subvention du fonds Barnier (...) est de 80%, avec la possibilité de bénéficier à l'avance des fonds à hauteur de 30% du montant de la subvention. Il est par ailleurs plafonné à 10% de la valeur vénale du bien", déplorent les auteurs du texte.

"Le reste à charge demeure donc important pour les ménages modestes, qui n'ont souvent pas les moyens d'avancer le prix des travaux."

Un rapport de l'ONG Oxfam France

en juillet 2024

Le rapport pointe également le mode de financement du FPRNM : "La prévention des risques doit être dotée d'un investissement, notamment avec une réflexion sur l'avenir des financements du fonds Barnier, pour l'instant assumé par les assuré·e·s, ainsi que sur d'autres pistes de politiques publiques d'investissement."

Déjà, en mars 2017, la Cour des comptes avait critiqué le fonctionnement du "fonds Barnier". "Inutilement complexe, le mode de suivi comptable des crédits n'est pas conforme aux règles de gestion des crédits publics", écrivait-elle par exemple dans ses recommandations. Elle appelait notamment à "simplifier le mode de gestion du FPRNM" et à redéfinir le champ d'intervention de ce dispositif. "Si ce fonds existe depuis trente ans, c'est qu'il est utile. Il était d'ailleurs précurseur. La question est de savoir comment on arrive à transformer un fonds d'après-catastrophe en un fonds de prévention, pour l'élargir", défend Antoine Vermorel-Marques, député Les Républicains et proche de Michel Barnier. Avec ou sans le plein accord du secteur des assurances.

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