Réduction du cheptel bovin : on vous explique pourquoi la recommandation de la Cour des comptes pour diminuer l'empreinte carbone fait débat
La France devrait "définir et rendre publique une stratégie de réduction" du nombre de vaches élevées dans les exploitations agricoles pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre. C'est l'une des recommandations de la Cour des comptes dans un long rapport (en PDF) de 137 pagés sur "les soutiens publics aux éleveurs de bovins", publié lundi 22 mai. Le rapport a été publié le jour où la Première ministre, Elisabeth Borne, a dévoilé un plan d'action gouvernemental évaluant les réductions de gaz à effet de serre (GES) par grands secteurs de l'économie. Le gouvernement a chiffré l'effort pour l'agriculture, avec en priorité une réduction de l'impact de l'élevage et des engrais azotés. Mais les éleveurs français ont bien du mal à digérer les conclusions de la Cour des comptes.
Le constat scientifique de la Cour des comptes
La France, premier producteur européen de viande bovine et deuxième troupeau laitier derrière l'Allemagne, compte environ 17 millions de bovins. Or l'élevage bovin compte pour près de 12% (11,8%) des émissions de gaz à effet de serre du pays, "comparables à celles des bâtiments résidentiels", selon le rapport de la Cour des comptes. "Le bilan de l'élevage bovin pour le climat est défavorable", écrit la juridiction dans ces "observations définitives" sur les soutiens publics aux éleveurs de bovins.
La Cour des comptes précise que la séquestration de carbone par les prairies, où pâturent les bêtes, est "loin de compenser les émissions" de l'élevage. Le bilan de l'élevage est principalement plombé par les rejets de méthane, un gaz au pouvoir très réchauffant issu de la digestion des ruminants et de leurs déjections. La production de méthane en France est due à 65% à l'agriculture, et 87% de cette part à l'élevage bovin, selon les chiffres de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), cités dans le rapport.
Pour la Cour des comptes, l'équation est simple : la France étant signataire de l'accord Global Methane Pledge (en anglais), qui prévoit une réduction des émissions de méthane de plus de 30% d'ici 2030 (par rapport au niveau de 2020), le gouvernement doit prendre des décisions. "Le respect des engagements de la France en matière de réduction des émissions de méthane (...) appelle nécessairement une réduction importante du cheptel", tranche l'institution.
La réduction du cheptel est par ailleurs déjà inscrite dans la loi française, via la Stratégie nationale bas carbone (en PDF). Ce scénario, qui doit permettre à la France de respecter l'accord de Paris, mise sur une baisse de 25% du cheptel bovin laitier et de 33% du cheptel bovin autre que laitier, à l'horizon 2050. La Cour note d'ailleurs que le ministère de l'Agriculture lui a communiqué "ses hypothèses sur l'évolution du cheptel bovin", qui pourrait effectivement refluer de 17 millions de têtes aujourd'hui à 15 millions en 2035 et 13,5 millions en 2050. La diminution du cheptel a même commencé, avec une baisse de 10% en six ans. Mais "cette diminution reste subie et ne fait pas l'objet d'un véritable pilotage par l'Etat, au détriment des exploitants", observe la Cour des comptes.
La réaction sceptique du monde agricole
Le monde de l'élevage a rapidement réagi aux recommandations de la Cour des comptes. "Nous accueillons ce rapport agacés et blessés", a réagi sur franceinfo Arnaud Rousseau, président du syndicat agricole FNSEA. "Sur le fond, ce rapport contient des éléments intéressants", concède-t-il, "mais ses conclusions sont simplistes et inexactes". Selon lui, "près de 25% de la viande bovine en France est importée".
"Considérer que demain, nous pourrons nous acheter une sorte de virginité environnementale en important plus de viande, ce n'est pas audible."
Arnaud Rousseau, président de la FNSEAsur franceinfo
"L'agriculture doit fournir un effort", reconnaît le président de la FNSEA. Mais il privilégie "des efforts" sur l'alimentation des vaches, directement liée à leur production de méthane. Une piste encore à l'état de recherches, mais celles-ci "avancent vite", assure Arnaud Rousseau. Jusqu'ici, le gouvernement a ménagé le secteur agricole. Il lui demande moins d'efforts qu'aux autres secteurs (industrie, transports, énergie...) pour réduire son empreinte carbone.
L'exécutif sait que le dossier est explosif. Il se garde donc de fixer un objectif de baisse du cheptel, d'autant qu'il y a déjà de moins en moins de vaches du fait des arrêts d'activité ou de la sécheresse. L'exemple des Pays-Bas est souvent cité comme repoussoir. Le projet du gouvernement néerlandais pour limiter les émissions d'azote, via notamment une réduction drastique du cheptel, ont déclenché l'ire des agriculteurs et propulsé un parti populiste en tête des forces politiques au Sénat néerlandais.
"Non, la baisse du cheptel n'est pas une fatalité ! Non, un scénario à la néerlandaise n'est pas inéluctable ! Oui, nous avons besoin d'un élevage laitier en France !", a tweeté de son côté le PDG de la Fédération nationale de l'industrie laitière, François-Xavier Huard. La France a perdu "près d'un million de vaches sur les seules sept dernières années. Mais selon la haute administration, nos vaches ne disparaîtraient pas assez vite des paysages français ?", s'agace aussi, dans une lettre ouverte à la Première ministre, la Fédération des producteurs de viande bovine, section spécialisée de la FNSEA. "Nous voulons savoir ce que vous planifiez, vraiment, pour l'avenir de notre secteur."
Les habitudes des consommateurs en question
Les agriculteurs soulignent à raison le risque de devoir importer plus de viande en cas de diminution du cheptel. "La bonne coordination entre la diminution de la production d'un côté et de la consommation de l'autre est primordiale", rappelait d'ailleurs début 2023 un rapport (en PDF) de l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE). "Si la production diminue pour satisfaire des objectifs climatiques et environnementaux, mais que la consommation ne suit pas, alors les importations augmentent" et les parts de marché des éleveurs français "diminuent sans bénéfices climatiques ou environnementaux". L'I4CE note ainsi que la consommation de viande a augmenté en continu en France depuis cinquante ans. "Elle est passée de 3,8 à 5,8 millions de tonnes équivalent carcasse entre 1970 et 2021", chiffre l'institut.
>> Quel est l'impact de l'alimentation sur l'environnement ?
La Cour des comptes fait donc également de la baisse de la consommation une condition pour que la baisse du cheptel n'entame pas la "souveraineté" de la France en matière de viande rouge. Pour cela, il est nécessaire que les consommateurs suivent les recommandations des autorités de santé : pas plus de 500 grammes par semaine, ce qui correspond aux besoins en nutrition. Pour l'instant, un tiers des adultes (28%) "consomme davantage que le plafond de 500 grammes par semaine de viande rouge préconisé par le plan national nutrition santé", note la Cour des comptes. Pour accompagner cette évolution, le rapport recommande en parallèle au ministère de l'Agriculture de "mieux accompagner les éleveurs les plus en difficulté" afin qu'ils puissent "se réorienter vers d'autres systèmes de production ou changer d'orientation professionnelle".
Plus largement, la Cour des comptes considère que les dispositifs d'aide actuels aux éleveurs de bovins sont "très coûteux" (4,3 milliards d'euros en 2019). "Les politiques commerciales et alimentaires doivent (...) être au rendez-vous pour encourager la réduction de la consommation de viande et protéger nos agriculteurs d'importations moins-disantes", estime également dans un communiqué l'eurodéputé EELV Benoît Biteau. Pour ce paysan charentais, la recommandation de la Cour des comptes est "courageuse et réaliste" car "réduire le cheptel de bovins en Europe est un impératif climatique".
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