: Reportage Dans le Pas-de-Calais, des agriculteurs refroidis par le coup de gel, après les crues qui ont détrempé les champs
"Il ne manquait plus que ça." Quand il a découvert les prévisions météo de la semaine, Benoît-Joseph Berteloot a fait grise mine. Ce maraîcher a déjà perdu toute sa production et son stock de légumes, dans les inondations de novembre et de janvier. A Clairmarais (Pas-de-Calais), une heure avant la visite du nouveau Premier ministre Gabriel Attal, mardi 9 janvier, il confie son abattement face au gel hivernal, alors que l'eau envahit toujours les maisons. "Aujourd'hui, normalement, je devrais être sur un tracteur à labourer, explique-t-il. Mais on ne peut rien faire."
L'eau a une nouvelle fois englouti les cultures hivernales. "On n'avait pas fini les récoltes et puis il y a des légumes d'hiver qui restent au champ…", détaille Benoît-Joseph Berteloot. Tout ça est perdu". Il estime à 500 000 euros les pertes en panais, poireaux, céleris-raves, carottes et choux survenues lors du premier épisode de précipitations. Depuis, il ne lui restait plus grand-chose, ou juste un "peu dans les frigos". Mais l'eau y est entrée et a détruit ses stocks.
Le gel va à son tour faire des dégâts, poursuit l'agriculteur, en montrant son matériel, stationné plus loin, les roues dans l'eau. "On n'a pas eu le temps de mettre les machines en mode antigel. Si l'eau est entrée dans les carters [les protections qui enveloppent les pièces mécaniques] ou les tuyaux, elle est emprisonnée et ça explose."
"Le gel, pour les infrastructures, ça va être une sanction. Déjà, lors de la première inondation, je m’étais fait plus ou moins à l’idée que l’année 2024 était cuite…"
Benoît-Joseph Berteloot, maraîcher à Clairmaraisà franceinfo
Pour ne rien arranger, ce maraîcher en agriculture biologique devra également reprendre son cahier des charges à zéro, après cette double inondation. "Il faudra faire des analyses de la terre avant de remettre en culture, explique-t-il. On va surtout chercher une pollution phytosanitaire, plutôt qu'une pollution aux hydrocarbures, car de l'eau de ruissellement a pu être apportée depuis les autres exploitations" en agriculture conventionnelle. L'exploitant a aussi dû être relogé, comme de nombreux habitants de ce secteur situé dans les marais, dont la survie dépend des digues et du pompage.
Des récoltes retardées par les crues et exposées au gel
A quelques kilomètres de là, à Tilques, Antoine Helleboid tente de sauver ce qui peut encore l'être, après des mois de précipitations records. "Il est tombé 650 mm depuis le 1er octobre, explique-t-il en consultant son application météo, alors que la moyenne ici est de 700 mm par an". Pas besoin d'être grand spécialiste pour comprendre que les sols ressemblent à des éponges. "L'eau s'est infiltrée dans les feuilles des choux, qui ont moisi et pour lesquels j'ai 10% ou 15% de pertes", chiffre le maraîcher. Un peu plus loin, dans un grand bac bleu, des potirons Bleu de Hongrie sont à la fois pourris et gelés. "Normalement, je peux les récolter jusqu'au mois de mai", se désole le cultivateur.
A cause des inondations à répétition, les agriculteurs ont aussi dû différer leurs récoltes. A partir du mois de novembre, "le terrain était bien trop gras et le tracteur ne chargeait que de la terre", se souvient Antoine Helleboid. Encore en terre, les légumes sont désormais exposés au gel, courant à cette période de l'année. Le maraîcher a tenté tant qu'il a pu de récupérer ses carottes : "On a essayé de le faire manuellement, mais ce n'était pas efficace. On mettait trois ou quatre fois plus de temps".
"Qu’il gèle, c’est normal. Sauf que cela arrive alors que nous n'avons pas pu faire les récoltes à cause des terrains gorgés d'eau."
Antoine Helleboid, maraîcher à Tilquesà franceinfo
En raison de ces calamités en chaîne, le maraîcher anticipe déjà des baisses de rendement l'été prochain, car les blés qui ont dû être ressemés n'ont "pas le même potentiel". "Advienne que pourra", conclut-il, fataliste.
Dehors, le thermomètre affiche -4°C. Dans la cabine fort heureusement chauffée de son tracteur, Quentin Joly, salarié agricole dans l'exploitation familiale, poursuit les labours d'hiver. "Les terres sont trop dures et commencent à être un peu impraticables", observe-t-il. Les effets combinés de la grande quantité d'eau absorbée et maintenant du gel. "Normalement, après une telle inondation, les terres ne sont pas praticables pendant au moins trois semaines", anticipe-t-il. Le jeune homme doit interrompre son labeur. "Là, si la charrue ne veut pas descendre, je vais devoir arrêter. Sinon je vais la casser."
"Il a beaucoup plu et maintenant, il y a le gel, beaucoup trop fort d'un seul coup."
Quentin Joly, salarié agricoleà franceinfo
La semaine écoulée a été difficile sur l'exploitation de 115 hectares, située entre Delettes et Coyecques. La crue est montée jusqu'à 45 centimètres dans la maison, et 90 centimètres dans les hangars. Il a fallu déménager toutes les bêtes, qui avaient de l'eau jusqu'au ventre. "C'est là que j'ai attrapé un rhume, explique Quentin Joly, après une énième quinte de toux. J'avais les bottes remplies et froid aux pieds. Malheureusement, je n'ai pas encore de Waders", du nom de la marque d'une tenue imperméable à bretelles plébiscitée par ses collègues, ces dernières semaines. Des amis l'ont aussi aidé à pomper sa cave, mais l'eau est déjà revenue, à cause d'un trop-plein dans la source voisine.
Des champs lessivés par les inondations
Quentin Joly regarde la météo avec "beaucoup d'appréhension", d'autant plus que la saison des crues n'est pas terminée. Les terres alentour "'battent' déjà facilement, ce qui veut dire qu'elles deviennent lisses dès qu'il pleut un peu, expose le salarié agricole. Quand les champs sont plats, on a tout un lit de cailloux et de terre qui se dépose, amené par l'eau qui court. Et sur les champs vallonnés, les inondations creusent des fossés." Surtout, les inondations lessivent les sols, enlevant la meilleure terre, arable, légère comme du limon.
En novembre, un fonds de soutien de 5 000 euros par exploitation avait été annoncé à destination des éleveurs. Pour son premier déplacement comme chef du gouvernement, Gabriel Attal a promis un fonds d'urgence renforcé pour les agriculteurs et les maraîchers, avec une hausse du plafond des aides jusqu'à 20 000 euros.
Le monde agricole est souvent pointé du doigt pour avoir retiré les haies lors du remembrement, facilitant ainsi le déferlement de l'eau sur les champs. Les agriculteurs rencontrés, eux, mettent en cause les pouvoirs publics, locaux et nationaux, les accusant de ne pas entretenir suffisamment les wateringues, le vaste réseau de drainage vieux de plusieurs siècles. Une poignée d'entre eux sont allés curer un canal de Boulogne-sur-Mer, lundi, lors d'une action à vocation symbolique.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.