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Afghanistan : pour l'ambassadeur de France David Martinon, "le pays est entré dans la nuit depuis seize mois"

Après avoir interdit aux Afghanes d'étudier dans les universités, les talibans ont annoncé qu'elles n'avaient plus le droit de travailler pour les ONG nationales et internationales.
Article rédigé par franceinfo
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Une femme et un enfant à Kaboul, en Afghanistan, le 29 décembre 2022. (- / AFP)

"L'Afghanistan est entré dans une nuit très profonde depuis seize mois", a estimé vendredi 30 décembre sur franceinfo l'ambassadeur de France David Martinon, rentré à Paris après la fermeture de l'ambassade de France en août 2021. Les talibans viennent d'interdire à quelques jours d'intervalle aux femmes et aux filles de poursuivre des études universitaires et de travailler dans des ONG nationales ou internationales, et ont également repris les flagellations et les exécutions publiques d'hommes et de femmes. "Il revient maintenant aux Afghans de prendre leur destin en main", a-t-il également déclaré.

>> Afghanistan : comment les talibans privent les femmes de leurs droits depuis le retour au pouvoir

franceinfo : Quel est votre point de vue sur la situation de l'Afghanistan ?

David Martinon : Cela fait seize mois, depuis la chute de Kaboul, que je dis que la "talibanisation" est en marche. Elle était jusque-là partielle. Je disais qu'elle serait totale le jour où ils reprendraient les exécutions publiques : ils ont repris les exécutions publiques avec des méthodes particulièrement barbares comme la flagellation, la lapidation ou les amputations punitives. Depuis deux mois, nous sentions que l'étape d'après serait de bannir les femmes des universités et des ONG. Peuvent-ils aller encore plus loin ? En matière de pression sur les femmes, ça va être compliqué de faire pire que ce qu'ils font aujourd'hui. Néanmoins, ils peuvent toujours aller plus loin dans le sens de la rigidification du régime et de son enfermement.

Nous avons du mal à comprendre la logique des talibans. Ils misaient sur une reconnaissance internationale, or nous avons l'impression qu'ils font tout pour que les Occidentaux les condamnent. Comment analysez-vous ça ?

Les talibans sont fondamentalement des nationalistes pachtounes concentrés sur l' application totale de la charia, de la loi islamique, telle qu'ils l'interprètent eux-mêmes. C'est ça, leur obsession. Ils étaient très soucieux d'obtenir la reconnaissance internationale mais ils nous ont montré que ce n'était pas prioritaire pour eux. Ce qui est prioritaire pour eux, c'est l'application pleine et entière de leur vision de la charia.

"Il revient maintenant aux Afghans de prendre leur destin en main."

David Martinon, ambassadeur de France pour l'Afghanistan

à franceinfo

Diriez-vous que les Occidentaux, et donc la France, ont une part de responsabilité dans cette descente aux enfers que connaît l'Afghanistan aujourd'hui ?

Ce serait un comble que l'on fasse le reproche à l'Ouest d'avoir tant investi et tant donné pour ce pays pendant vingt ans en trésor et en sang. L'Occident a dû consentir à des efforts financiers de l'ordre de quatre à huit plans Marshall pour l'Afghanistan. Nous avons tous perdu des soldats en Afghanistan. La France en a perdu 90, tandis que 700 soldats français en sont revenus avec des séquelles. Je trouve que c'est un mauvais procès qui est fait à l'Ouest, qui a fait ce qu'il fallait pour libérer le pays du joug des talibans. Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour aider ce pays à établir un état de droit, quelque chose qui ressemble à une démocratie, un développement, et à l'aider à faire la paix et à combattre ses ennemis de l'intérieur. Cela n'a pas marché. Je le dis avec beaucoup de tristesse car l'Afghanistan est entré dans la nuit depuis seize mois. C'est une nuit très profonde. Je ne sais pas combien de temps elle va durer. 

Les femmes afghanes se sentent totalement abandonnées après s'être émancipées pendant ces vingt années de présence occidentale. Que faire ?

La situation des Afghanes est profondément attristante et désolante. C'était d'ailleurs l'un des acquis de la république islamique d'Afghanistan que nous avions mise en place. Pendant ces vingt années, nous avons vu des femmes prendre leur place, diriger des ONG, être extrêmement actives dans la société civile. Malheureusement, nous ne sommes plus dans le pays et nous n'allons pas y revenir militairement. Tout ce que nous essayons de faire par les ONG et le soft power n'est pas efficace car les talibans nous empêchent de travailler.

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