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Botswana : une affaire de corruption montée de toutes pièces par le ministère public

Ian Khama le précédent Président de la République était au cœur d’une sombre affaire mêlant complot politique et détournement de fonds. Des personnalités sud-africaines de haut rang étaient également accusées.

Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié
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La Haute cour de justice du Botswana a levé les charges qui pesaient sur la principale accusée de l'affaire de complot contre l'Etat. (TSHEKISO TEBALO / AFP)

"Nous avons l'opportunité de faire un Zuma sur les autorités sud-africaines". La formule émanait du directeur des poursuites publiques du Botswana, Stephen Tiroyakgosi, et fait bien sûr référence à l’incarcération de l’ancien président d’Afrique du Sud pour avoir fait entrave à la justice.

Depuis des mois la justice botswanaise accusait l’Afrique du Sud de tout faire pour étouffer une affaire de corruption dans laquelle, selon l’accusation, était impliquée Bridgette Motsepe Radebe, la plus riche femme d’affaires d’Afrique du Sud. Riche, mais également belle-sœur de Cyril Ramaphosa, l’actuel président du pays.

Côté botswanais on trouvait l’ancien président de la république, Ian Khama, qui en 2018 a cédé sa place à Mokgweetsi Masisi. Selon l’accusation, plus de 10 milliards de dollars (la moitié du PIB du pays) se sont évaporés du pays, via des comptes bancaires sud-africains dont Bridgette Motsepe possèdait la signature.

Un détournement qui aurait profité à l’ancien patron des services secrets, Isaac Kgosi, un allié d’Ian Khama. Il s’agissait, selon la justice botswanaise, tout bonnement de fomenter un complot pour renverser le pouvoir en place.

"Butterfly"

Au centre de l’affaire comme dans un bon James Bond, il y avait l’espionne, nom de code "Butterfly" ! Le rôle qu’aurait joué Butterfly, de son vrai nom Welheminah Maswabi, est peu clair, elle servait probablement d’intermédiaire. Mais dans cette affaire, elle a surtout été le parfait bouc émissaire, la seule à être poursuivie pour terrorisme et blanchiment d’argent. Elle va même séjourner un mois en prison, l’accusation alléguant qu’elle représente une menace pour l’Etat, sans jamais en apporter la moindre preuve.

Et voilà que cet extraordinaire assemblage politico-financier s’écroule brusquement, pour laisser place à une réalité peu glorieuse. "Il s'agissait d'un acte criminel effronté commis par des personnes investies de la puissance publique qui n'aurait jamais dû être autorisé à se produire", explique le juge de la Haute Cour du Botswana, Zein Kebonang, ce 23 août.

"Une affaire qui n'a jamais été"

Il n’y a plus de "montage Zuma" à l’horizon ! Et le juge Kebonang a purement et simplement acquitté Butterfly des charges qui pesaient sur elle. Les allégations et les accusations portées contre Welheminah Maswabi étaient totalement fabriquées. "C’était une affaire qui n’a jamais été", reconnaît le juge qui met en cause des membres des organes de lutte contre la corruption du Botswana. Les pseudo comptes bancaires sud-africains ont été fabriqués, doublement faux car de tels comptes n'existent pas et que les prétendues sociétés bénéficiaires des versements sont également inexistantes.

L'arroseur arrosé

Place désormais au jeu de l’arroseur arrosé. Jako Hubona, l’enquêteur de la direction de la corruption qui a monté l’affaire est à son tour poursuivi pour parjure. La directrice adjointe du Parquet général du Bostwana, Priscilla Israël est également dans le collimateur, à la fois sur le plan disciplinaire et judiciaire. Ian Khama, l’ancien président et Bridgette Motsepe vont probablement poursuivre le gouvernement du Botswana pour diffamation.

Au départ de l’affaire il y a deux ans, le journal Mail & Gardian s’étonnait de retrouver le nom de Motsepe lié à cette affaire. "Cette femme n’est pas connue pour s’impliquer dans les détails de la politique sud-africaine… Pourquoi alors s'impliquerait-elle dans le conflit de leadership désordonné du Botswana ? Et pourquoi maintenant ?", écrivait le journal à l'époque.

Règlement de comptes politiques

En fait, il semble que dans le jeu d’ombres qui agite le monde politique de Gaborone, un scandale faisait les affaires du pouvoir en place. Les liens d’amitiés, la richesse des protagonistes et leurs activités ne faisant que rendre crédible l’affaire, surtout lorsqu’on implique l’Afrique du Sud, secouée en permanence par des affaires de corruption.

Car l’image lisse du Botswana, plus connu pour ses éléphants que ses crises politiques, se ternit. L’ancien et l’actuel chef de l’Etat sont à couteaux tirés, Ian Khama n’hésitant pas à appeler à voter contre son ancien parti qu’il a bruyamment quitté à la veille des élections de 2019, accusant Mokgweetsi Masisi de dérive autoritaire.
Des supporteurs rancuniers et zélés ont semble-t-il voulu solder les comptes. Ils ont juste jeté le discrédit sur leur pays.

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