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Egypte : le barrage d’Assouan, un projet pharaonique lancé il y a tout juste 60 ans

L'ouvrage hydraulique a été financé par ce qui était alors l'URSS.

Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le haut barrage et l'usine hydroélectrique d'Assouan sur le Nil en 1971 (AFP - VALERIY SHUSTOV / SPUTNIK)

Il y a tout juste 60 ans, le 9 janvier 1960, était lancé le gigantesque chantier pour la construction du haut barrage d’Assouan, le Sadd el-Ali en arabe. On allait jusqu’à dire à l’époque que "la grande pyramide de Chéops était dépassée" par l’ouvrage, l’un des plus importants du monde, d’une hauteur de 111 m, d’une largeur de 3 600 m, d’une épaisseur de 980 m à la base et de 40 m au sommet. Un ouvrage qui a mobilisé, en 53 mois, 35 000 hommes, dont 227 y ont perdu la vie. Et qui, symboliquement, donnait en quelque sorte raison à l’historien grec antique Hérodote pour qui "l’Egypte est un don du Nil"… De fait, le Nil est l’unique réserve en eau du pays.

Le barrage avait pour objectif de régulariser les crues d’un fleuve jugé le plus capricieux d’Afrique, indispensable pour l’irrigation des terres cultivées depuis des milliers d’années. Autres buts : produire de l’électricité (objectif en 1960, quintupler la production de courant du pays) et contribuer à l’industrialisation de l’Egypte. "Désormais, le fellah égyptien n’aura plus à redouter la sécheresse, la famine et les inondations", assurait le commentaire d’une édition de Cinq colonnes à la Une, émission d’information phare de la télévision française de l’époque.

Dès 3200 avant J.-C.

Les travaux de construction sont titanesques. Ils nécessitent notamment le déplacement de "six groupes de monuments (antiques, NDLR) de la Nubie égyptienne et soudanaise (…) démontés pierre par pierre, transportés et assemblés de nouveau sur d'autres sites". A commencer par le fameux temple d’Abou Simbel.

Depuis toujours, les hommes ont tenté de dominer un "fleuve nourricier" drainant "nutriments et minéraux qui forment un limon fertile", lequel "déposé (…) lors des crues (…) explique la grande fertilité des sols dans la vallée du Nil", rapporte le site Les Clés du Moyen-Orient. Des crues qui "nuisent également à l’agriculture en inondant les récoltes". Selon cette source, les premiers aménagements auraient eu lieu dès l’Antiquité, vers 3200 avant J.-C. Un premier ouvrage hydraulique beaucoup moins puissant, le bas barrage, avait été construit en aval en 1912 (et surélevé 21 ans plus tard) par les Britanniques pour la culture du coton.

Contexte nationaliste

Après sa prise du pouvoir en 1952, Gamal Abdel Nasser lance le projet du haut barrage en 1954. Le nouveau dirigeant égyptien s’adresse d’abord aux Américains qui vont en définir les objectifs et les dimensions. Mais les Etats-Unis n’apprécient pas l’orientation politique du nouveau régime égyptien, qui adhère à la Conférence des pays non-alignés et n’hésite pas à acheter des armes à l’URSS. Ils finissent par refuser de financer les travaux. Selon L’Humanité, "le puissant lobby américain du coton craint (aussi, NDLR) la concurrence du coton égyptien irrigué". Le Caire décide alors de nationaliser le canal de Suez, ce qui lui permettrait de financer le barrage grâce aux revenus de la voie d’eau.

En 1956, cette nationalisation déclenche la "crise de Suez". S’estimant lésés, la France et le Royaume-Uni, rejoints par Israël, envoient des troupes dans la région. Mais cette coalition devra capituler "sous la double pression de l’URSS et des Etats-Unis", raconte Le Monde Diplomatique.

Le chantier du haut barrage d'Assouan, dans la nuit du 1er mai 1964 (AFP - Sputnilk - A. Goryachev)
Adepte du panarabisme, idéologie affirmant la nécessité d’unité du monde arabe, Nasser insiste sur la nécessité d'"une indépendance véritable, d'une indépendance politique et économique" (cité par L’Humanité). "Depuis que l'Egypte a proclamé sa politique libre et indépendante, le monde tout entier a les yeux braqués sur l'Egypte", explique-t-il. La construction du barrage intervient dans ce contexte nationaliste. Le raïs (président en arabe) entend ainsi l’inscrire dans le glorieux passé pharaonique de son pays.

Dégâts écologiques

L’URSS, sans doute trop contente dans le contexte de la Guerre froide, de mettre le pied dans un pays jusque-là sous influence occidentale, va alors financer les travaux tout en apportant son assistance technique. Et le 13 mai 1964, Gamal Abdel Nasser lance la mise en eau du Sadd el-Ali en compagnie de Nikita Khrouchtchev, premier secrétaire du Comité central du Parti communiste de l'Union des républiques socialistes soviétiques. Sur les images de Cinq colonnes à la Une, on voit les deux dirigeants souriants et bras levés (Khrouchtchev, veste ouverte et sans cravate, le même qui aura, quelques mois plus tard, martelé ses propos à la tribune de l’ONU… avec sa chaussure) saluer une foule immense criant "Acha Gamal ! Acha Gamal !" (vive Gamal !).

Commentaire de Cinq colonnes à la Une : "Peut-être, ce jour-là, les hôtes du président Nasser ont-ils quelque peu négligé le maintien que l’on attend généralement des personnages officiels. Les historiens ne leur en feront pas grief, car il n’était là que des hommes parmi d’autres hommes, témoins d’une nouvelle victoire sur la nature, la misère et la peur."

Le "démontage" du temple de Ramsès II à Abou Simbel le 26 janvier 1966, pendant la construction du barrage d'Assouan (AFP)
Propos typiques de l'époque des Trente Glorieuses... Car aujourd’hui, on constate de nombreux dégâts écologiques dans la vallée du Nil causés par le Sadd el-Ali, entre érosion, salinisation, pollution, eau saumâtre, stérilisation des terres… avec des paysans qui "se ruinent en achats d'engrais" en raison de l’absence de limons, selon L’Express. Conséquence : il faudrait aujourd'hui "d'immenses travaux – donc des crédits importants – pour que le pays ne conserve que les bénéfices du barrage d'Assouan", conclut l'hebdomadaire. Tous comptes faits, l’ouvrage hydraulique n’est peut-être pas un si beau don fait au Nil…

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