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Ce que l'on sait du bombardement d'un centre de migrants en Libye

Un bombardement aérien a fait 44 morts et plus de 130 blessés, mardi soir, dans un centre de détention de migrants situé dans les faubourgs de Tripoli, la capitale libyenne.

Article rédigé par franceinfo avec AFP et Reuters
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Temps de lecture : 7min
Un bombardement aérien a fait 44 morts et plus de 130 blessés mardi 2 juillet dans un centre de détention de migrants situé dans les faubourgs de Tripoli, la capitale libyenne. (MAHMUD TURKIA / AFP)

"Un crime de guerre", a dénoncé l'émissaire de l'ONU pour la Libye, Ghassan Salamé. Au moins 44 migrants ont été tués et une centaine d'autres blessés dans un bombardement aérien contre leur centre de détention dans la banlieue de Tripoli, mardi 2 juillet. Il s'agit du bilan le plus lourd pour une frappe aérienne ou un bombardement depuis le début de l'offensive terrestre et aérienne lancée il y a trois mois par les forces du maréchal Khalifa Haftar pour s'emparer de la capitale libyenne, où se trouve le gouvernement reconnu par la communauté internationale.

Le drame a provoqué, mercredi 3 juillet, un tollé international et des appels à une enquête indépendante. Franceinfo fait le point sur la situation.

Une frappe aérienne attribuée au maréchal Haftar

La frappe a été menée à Tajoura, une ville située dans le district de Tripoli. Elle a été attribuée par le gouvernement d'union nationale (GNA) aux forces rivales de Khalifa Haftar engagées depuis plusieurs mois dans une offensive pour s'emparer de la capitale du pays. En réponse, le porte-parole des forces pro-Haftar, Ahmad al-Mesmari, a démenti toute implication dans l'attaque, accusant en retour le GNA de "fomenter un complot" pour leur faire endosser la responsabilité du carnage. Les forces pro-Haftar reconnaissent toutefois avoir visé la zone, mais en usant de frappes de "précision" uniquement contre des sites militaires, précise RFI.

Le centre de détention abritait environ 600 migrants, en majorité érythréens et soudanais, et deux de ses cinq hangars ont été touchés, selon le responsable du centre, Noureddine al-Grifi. Quelque 120 migrants se trouvaient dans le hangar n°3 qui a été touché de plein fouet. Sur les lieux, des couvertures maculées de sang mais aussi des débris et des morceaux tordus de la structure métallique du bâtiment, entourant un cratère de trois mètres de diamètre.

Le centre de migrants détruit à Tajoura en Libye, le 3 juillet 2019. (HAZEM AHMED/AP/SIPA)

"Il y avait des cadavres, du sang et des morceaux de chair partout", a raconté depuis son lit d'hôpital Al-Mahdi Hafyan, un Marocain de 26 ans dont la cuisse a été transpercée par un morceau métallique du toit.

Depuis 2011, la chute du régime du dictateur Mouammar Kadhafi a plongé le pays dans le chaos. Depuis 2015, deux autorités rivales se disputent le pouvoir. D'un côté, le gouvernement d'union nationale dans l'ouest du pays, où se trouve la capitale, Tripoli. Il est personnifié par Fayez al-Sarraj, le chef du gouvernement. De l'autre, une autorité dans l'Est, contrôlée par l'armée nationale libyenne, dirigée par le maréchal Khalifa Haftar. L'arrivée au pouvoir de Fayez al-Sarraj a ravivé les espoirs d'une sortie de crise.

Plusieurs appels à une "enquête indépendante" 

L'émissaire de l'ONU, Ghassan Salamé, a condamné un "carnage ignoble et sanglant" dans un communiqué de la mission de l'ONU en Libye. Le patron de l'ONU, Antonio Guterres, a demandé une "enquête indépendante" et réitéré son appel à un "cessez-le-feu immédiat en Libye".

"L'ONU avait fourni la localisation exacte du centre de détention aux parties" en conflit afin d'éviter qu'il ne soit pris pour cible, a expliqué le porte-parole du secrétaire général des Nations unies. Ce drame "souligne l'urgence de fournir des abris sûrs à tous les réfugiés et migrants jusqu'à ce que leurs demandes d'asile soient satisfaites ou qu'ils soient rapatriés en sécurité" dans leur pays d'origine.

Au moins 44 migrants ont été tués et une centaine blessés dans un bombardement aérien contre leur centre de détention en Libye le 2 juillet 2019. (HAZEM TURKIA / ANADOLU AGENCY)

Le président de la commission de l'Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a réclamé un cessez-le-feu immédiat et une enquête indépendante pour établir les noms des "responsables de ce meurtre horrible de civils innocents". Plusieurs ONG ont aussi fait part de leur "effroi" et appelé à une enquête. L'Union européenne a de son côté condamné une "horrible attaque" et également réclamé l'ouverture d'une enquête. L'Union africaine, la France, l'Italie, le Qatar et la Turquie ont également condamné la frappe.

Washington empêche l'adoption d'une condamnation

Lors d'une réunion en urgence mercredi, les Etats-Unis ont empêché l'adoption par le Conseil de sécurité d'une condamnation unanime sur cette attaque meurtrière, au terme de plus de deux heures de réunion, selon des diplomates. 

Aucune explication n'a pu être obtenue dans l'immédiat auprès de la mission américaine sur les raisons du blocage des Etats-Unis. Il concernerait un projet de texte proposé par le Royaume-Uni, qui appelait aussi à un cessez-le-feu et au retour à un processus politique. Selon une source diplomatique européenne, Washington n'est pas intervenu pour autoriser définitivement la publication de cette déclaration.

Des milliers de migrants bloqués en Libye

La Libye demeure le principal point de départ des migrants d'Afrique qui tentent depuis plusieurs années de rejoindre l'Italie par la mer. Des milliers de personnes sont détenues dans des centres du pays, dans des conditions inhumaines, selon les groupes de défense des droits de l'homme et l'ONU.

Environ 660 000 migrants sont actuellement en Libye, mais le repositionnement stratégique des groupes criminels, la montée en puissance des gardes-côtes libyens et le durcissement de la politique migratoire de l'Union européenne empêchent toute amélioration de la situation, relève Le Monde. Les traversées en Méditerranée sont rares. Depuis le début de l'année, moins de deux mille personnes sont arrivées en Europe depuis la Libye et 343 sont mortes en essayant de rejoindre le continent.

Une personne blessée après le raid aérien mené sur un centre de détention de migrants à Tripoli (Libye), le 3 juillet 2019. (HAZEM AHMED/AP/SIPA / AP)

En novembre 2017, l'agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a mis en place un mécanisme d'évacuation des migrants éligibles à l'asile, après que la chaîne américaine CNN a révélé que des migrants étaient réduits en esclavage en Libye. Depuis cette date, le HCR se déplace dans les centres de détention officiels pour y identifier les réfugiés les plus vulnérables et organiser leur évacuation, mais le dispositif est critiqué. "D’une certaine manière, les dirigeants européens souhaitent que les personnes ne puissent pas partir d’elles-mêmes mais soient choisies par les Etats, considère Emmanuel Blanchard, ancien président du réseau de militants et de chercheurs Migreurop au Monde.

" Les efforts fournis sont totalement insuffisants", reconnaît Pascal Brice, directeur de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) de 2012 à 2018. "Cela tient aux difficultés à sortir les gens de Libye, au manque de moyens du HCR et au manque de volonté d’accueil des Etats."

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