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La guerre des Etats-Unis contre le jihadisme en Somalie et en Libye

L'Africom, le commandement militaire américain pour l’Afrique, annonce régulièrement des frappes aériennes en Somalie et en Libye. Selon Amnesty International, les raids sur la Somalie "auraient fait des victimes civiles". 

Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Drone MQ-9 Reaper de l'armée américaine (REUTERS - OMAR SOBHANI / X02487)

"A ce jour, Amnesty International a recueilli des informations sur six affaires dans lesquelles des frappes aériennes américaines auraient fait des victimes civiles – 17 morts et huit blessés au total", selon un communiqué de l’organisation internationale des droits de l’Homme daté du 1er octobre 2019. En mars, celle-ci avait publié un rapport intitulé The Hidden US War in Somalia (La guerre cachée des Etats-Unis en Somalie). Elle y présentait "d’innombrables éléments permettant de réfuter les affirmations de l’Africom selon lesquelles ses opérations en Somalie n’avaient fait jusqu'alors 'aucune victime civile'."

Le 5 avril 2019, quelques semaines après cette publication, le commandement américain avait finalement admis, mentionnant nommément Amnesty International (AI) dans son communiqué, avoir tué "deux civils" lors d’un raid effectué… un an plus tôt.

De "simples agriculteurs"

Mais apparemment, ces raids meurtriers se sont poursuivis. AI et le bimestriel américain Foreign Policy évoquent ainsi un raid, le 18 mars 2019, contre un véhicule qui aurait entraîné la mort de trois hommes. Selon un communiqué de l’Africom diffusé le lendemain, cette opération a été menée "en coordination avec les efforts continus du gouvernement fédéral de la Somalie pour affaiblir (l’organisation jihadiste) al-Shabaab".

Mais pour Foreign Policy, le conducteur "– et possiblement les deux autres passagers – n’avaient pas de lien avec le terrorisme et pourraient avoir été visés à tort". Les personnes visées étaient "en réalité des civils, simples agriculteurs, sans aucun lien avéré" avec al-Shabaab, affirme Amnesty. L’ONG précise qu'"à eux tous, les trois hommes ont laissé 19 enfants" orphelins.

Dans son communiqué du 5 avril, l'US Africa Command affirme : "Il est essentiel que l’on comprenne que nous nous conformons à des normes strictes. Et quand ce n'est pas le cas, nous reconnaissons les problèmes et nous prenons les mesures qui s’imposent." Et ce parce que l'Africom "est très attaché à la transparence en ce qui concerne le signalement des pertes civiles".

Un militaire américain manipule d’un système de capture pour les drones lors d'un exercice à Camp Pendleton (Californie, Etats-Unis) le 20 mars 2018.   (REUTERS - HANDOUT . / X80001)

"Pas d’enquêtes sur le terrain"

Mais pour Brian Castner, expert à Amnesty qui a participé à l’enquête sur "la guerre secrète des Etats-Unis en Somalie", on assiste là à un "déni de réalité". "Les Etats-Unis ont tendance à sous-estimer les pertes civiles provoquées par leurs frappes aériennes", explique-t-il dans le New York Times. "A notre connaissance, l'Africom ne mène pas d’enquêtes sur le terrain après les frappes. Résultat, il lui manque un grand nombre de preuves, en l'occurrence le témoignage direct des témoins oculaires", ajoute-t-il.

Certains de ces "témoins oculaires", Amnesty et Foreign Policy disent les avoir rencontrés. En l'occurrence ceux de l’opération du 18 mars 2019 mentionné ci-dessus. "Le corps d’Abdiqadir (Nur Ibrahim, le conducteur du véhicule) était totalement détruit, mais j’ai reconnu... son visage, qui était brûlé... J’ai aussi reconnu sa montre, qui pendait à l’avant de la voiture", a ainsi raconté à l’ONG des droits de l'Homme un ami du conducteur. Une femme, qui s’est rendue sur les lieux de l’attaque, a rapporté à l'organisation qu'Abdiqadir Nur Ibrahim et Ibrahim Mohamed Hirey (l’un des deux passagers) "avaient tous les deux été brûlés à tel point qu’ils n’étaient plus identifiables et (leurs corps) étaient en pièces".

Reste à savoir comment ces hommes ont pu être désignés comme des jihadistes. "Nous utilisons un certain nombre de méthodes de renseignement pour déterminer l’ennemi. Mais nous ne communiquons pas là-dessus pour des raisons de sécurité opérationnelle", a expliqué à Foreign Policy le porte-parole de l’Africom. On n’en saura pas plus sur ces actions secrètes…

Raids en Libye

A côté des opérations en Somalie, l’Africom mentionne souvent, dans ses communiqués de presse, des raids dans le sud de la Libye : il en ainsi annoncé quatre en moins de deux semaines. Le 25 septembre, il a ainsi rapporté que 11 membres présumés de l’organisation Etat islamique avaient été tués la veille, lors d’une frappe aérienne près de Mourzouq, oasis située à un millier de kilomètres au sud de Tripoli. Celle-ci "a été menée pour éliminer les terroristes de l’EI et les empêcher de mener des attaques contre le peuple libyen", explique le commandement américain.

Combattants du Gouvernement d'union nationale (GNA) libyen à Ain Zara, banlieue de Tripoli, dans l'est de la Libye, le 7 septembre 2019 (MAHMUD TURKIA / AFP)
Le 30 septembre, nouveau communiqué annonçant cette fois que ce sont 7 membres présumés d’EI qui ont été abattus la veille dans le Sud libyen. "Notre offensive contre l'EI et d'autres réseaux terroristes en Libye dégrade leur capacité à mener efficacement des opérations contre le peuple libyen", commente le général William Gayler, chef des opérations d'Africom, dans le communiqué. Lequel précise que "dans l’état actuel des choses, nous estimons qu’aucun civil n’a été blessé ou tué" dans ce cadre…

Cette nouvelle frappe, menée en "coordination" avec le Gouvernement d'union nationale (GNA) reconnu par l'ONU et basé à Tripoli, porte à 43 le nombre de jihadistes tués depuis la mi-septembre par les forces américaines en Libye, rapporte l’AFP. Le sud du pays échappe de fait au contrôle du GNA, ainsi qu'à celui de ses rivaux de l'Est, même si les forces loyales au maréchal Khalifa Haftar disent y être présentes. Après le début de l'offensive du maréchal Haftar contre la capitale libyenne, des analystes et diplomates ont mis en garde contre le vide laissé par les forces des deux camps engagées dans les combats au sud de Tripoli. Lesquels pourraient profiter à l'EI dans d'autres régions du pays.

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