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Base navale russe au Soudan, Khartoum joue la montre

En l'absence d'un Parlement soudanais pour ratifier l'accord de coopération militaire, la base navale russe en mer Rouge est au point mort. Moscou perd patience.

Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
La frégate russe "Amiral Grigorovich" amarrée à un quai de Port-Soudan le 1er mars 2021. Autorisée déjà à faire escale, la marine russe souhaite désormais avoir une base permanente au Soudan. (IBRAHIM ISHAQ / AFP)

Le 11 novembre 2020, le gouvernement russe soumettait une proposition d’accord à Khartoum en vue de l’établissement d’un point d’appui naval au Soudan. Ce serait alors la première base navale russe sur les côtes africaines. La création de cette base s’inscrit dans l’accord de coopération militaire signé par les deux pays en mai 2019.

En fait, l’offre avait été émise par l’ancien président Omar el-Béchir fin 2017, dans l’optique de se protéger des occidentaux en général, et des Etats-Unis en particulier. Mais à l’époque Moscou ne s’était pas engagée, méfiante sans doute de se lier à un homme déjà sous le coup de sanctions internationales. Or Béchir n’a pas résisté à la révolution qui l’a renversé en avril 2019. Le Soudan redevenant plus fréquentable un accord de coopération était rapidement signé.

Une place forte pour la Russie

Car la Russie a urgemment besoin de cette base navale, alors que toutes les grandes puissances sont déjà présentes dans la région à Djibouti : Chine, Etats-Unis, France et même Japon.

Il en va bien sûr de son rayonnement, de la volonté de reprendre sa place dans le concert des nations. La marine russe serait autorisée à déployer en permanence quatre bâtiments (y compris à propulsion nucléaire) et 300 personnes pour une durée de 25 ans à Port-Soudan. Un site idéal, au beau milieu de la mer rouge et des 700 kilomètres de côtes que possède le Soudan.
"La création de la base russe au Soudan est un événement majeur pour rassurer la population russe quant à la puissance de son pays, ainsi qu’un moyen pour renforcer le prestige de la Russie sur le continent africain en tant que pays 'sérieux', sans passé colonial ", écrit Middle East Eye.

Le Soudan traîne des pieds

Curieusement, le Soudan qui était à l’origine du projet semble moins pressé de le voir aboutir. En mai dernier, des média rapportaient des propos de responsables soudanais sous couvert d’anonymat, qui annonçaient la suspension de l’accord de coopération, et avec lui la fin du projet de base navale. Le 2 juin, le chef d’État-major de l’armée soudanaise, Mohamed Othmen al-Hussein, annonçait que son pays était en cours de révision de l’accord militaire avec la Russie.

Abdelfattah al-Burhan, le président du Conseil de souveraineté intérimaire au Soudan, a dû calmer le jeu et nier toute volonté de Khartoum de revoir la copie de l’accord. Dans la foulée la ministre soudanaise des Affaires étrangères, Mariam Sadeq al-Mahdi, s’est rendue à Moscou.

Absence de ratification

Elle s’est livrée à un périlleux exercice d’équilibriste, reconnaissant que si l’accord n’était pas caduque, il y avait tout de même un problème. En l’occurrence, le Parlement n’avait pas ratifié le texte signé par les deux pays en 2019. Et pour cause, deux ans après la destitution d’Omar el-Béchir, ce parlement n’est toujours pas formé, et le pays reste dirigé par un tandem composé de militaires et de civils.

Il se dit aussi que Khartoum est tiraillée entre sa longue amitié avec la Russie, et la volonté de ne pas froisser Washington qui ne voit pas d’un très bon œil cette installation russe. D’autant que la région est quasi perpétuellement secouée par des conflits : Darfour, Soudan du Sud, Tigré, etc. Moscou et les groupes de mercenaires russes sont régulièrement accusés de déstabiliser l’Afrique.

La France entre dans le jeu

Le 17 mai 2021, la France a également annulé la dette du Soudan à son égard (5 milliards de dollars) adressant ainsi un message fort lors de la Conférence des Amis du Soudan. "Pourquoi le Soudan est-il devenu soudain un enjeu majeur pour la diplomatie française ?", s’interroge le site Sputnik. "La France cherche-t-elle à contenir l’influence russe dans ce pays et en Afrique plus généralement?", interroge le très "Kremlinophile" média russe.

Conséquence, en faisant traîner les choses, Khartoum semble vouloir ménager la chèvre et le chou, en ne fâchant personne. Au risque de mécontenter tout le monde.



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