Tchad : ce qu'il faut savoir sur l'accord qui ouvre la voie à un dialogue national
Pour la junte tchadienne, ce "dialogue inclusif" conditionne le retour à un pouvoir civil.
Mahamat Idriss Déby Itno, le chef de la junte au Tchad, et une quarantaine de factions rebelles ont signé le 8 août, au Qatar, un accord sur l'ouverture d'un dialogue national pour la paix le 20 août à N'Djamena, la capitale tchadienne. Deux importants groupes rebelles ont déjà refusé d'y participer.
"Ce 8 août est un jour historique pour le Tchad et les Tchadiens", a déclaré à Doha Mahamat Idriss Déby en saluant un accord qui, selon lui, délivre le pays des "démons de la guerre fratricide" et "répare les fissures du passé".
Cet accord est censé mettre fin à des décennies d'instabilité dans ce pays de 16 millions d'habitants qui a connu plusieurs coups d'Etat. Le Tchad, membre du G5 Sahel, est considéré comme un partenaire clé dans la lutte antijihadiste menée en Afrique centrale et de l'Ouest par les Occidentaux, à commencer par la France.
L'accord de Doha, qui se négocie depuis cinq mois dans la capitale qatarie, intervient alors que le général Mahamat Idriss Déby laisse planer le doute sur un report de l'élection présidentielle, prévue en octobre si la transition n'est pas prolongée.
Voici ce qu'il faut savoir de l'arrangement auquel sont parvenus le pouvoir et une grande partie des rebelles tchadiens.
Un prélude au dialogue
Au total, 42 des 47 groupes représentés à Doha ont apposé leur signature aux côtés du pouvoir. Les signataires ont pris l'engagement de participer au dialogue national en présence, selon les autorités, de plus de 1300 représentants, de rebelles et de syndicats notamment.
La junte tchadienne s'engage, elle, à assurer la sécurité des membres des groupes rebelles. L'arrangement prévoit également un "cessez-le-feu général" entre les autorités et les groupes signataires, censé ouvrir la voie au retour à un pouvoir civil.
Au lendemain de la mort du président Idriss Déby Itno, son fils, le jeune général Mahamat Idriss Déby Itno, avait été proclamé président à la tête d'un Conseil militaire de transition de 15 généraux. Il avait aussitôt promis des élections libres et démocratiques dans un délai de 18 mois, après un "dialogue national inclusif" avec l'opposition politique et les innombrables mouvements rebelles.
Un accord dénoncé par le FACT, un important groupe rebelle
"Avoir autant de groupes signataires est un bon départ pour le dialogue national", estime le chef d'un de ces groupes sous couvert d'anonymat, soulignant que l'accord serait toutefois "plus fructueux" s'il incluait le Front pour l'alternance et la concorde au Tchad (FACT). Le groupe rebelle est l'un des principaux mouvements qui ont décidé de ne pas signer l'accord. Le FACT est à l'origine de l'attaque qui a conduit à la mort, en avril 2021, du maréchal Idriss Déby Itno qui dirigeait d'une main de fer le Tchad depuis 30 ans.
Dans un communiqué, le FACT a dénoncé "la non prise en compte de (ses) revendications", comme la libération des prisonniers. Il a cependant indiqué qu'il restait "disponible au dialogue partout et toujours". "La guerre ne résout rien, nous voulons un règlement pacifique et politique, mais lorsque nous serons contraints à nous défendre, nous allons nous défendre", a déclaré à l'AFP Mahamat Mahdi Ali, leader du FACT. Resté dans le désert libyen, il n'a pas fait le déplacement à Doha et a dénoncé "un dialogue biaisé d'avance".
Le Conseil de commandement militaire pour le salut de la République (CCMSR), un autre important groupe rebelle, a lui aussi refusé de signer l'accord, disant ne pas vouloir "faire partie d'un dialogue dont nous ne connaissons pas les objectifs".
Une médiation assurée par le Qatar
Quand il accueille le 13 mars 2022 les discussions entre les différentes parties tchadiennes, le Qatar n'entend pas jouer d'autre rôle que celui de pays hôte. Ce petit pays du Golfe accepte finalement d'assurer la médiation entre la junte et les rebelles tchadiens pour débloquer les pourparlers de paix en cours à Doha.
Les nombreux groupes d'opposition présents dans la capitale qatarie ont refusé d'engager des discussions directes avec le gouvernement de Mahamat Idriss Deby Itno qui s'est rapproché de Doha. Ils se sont alors tournés vers les autorités qataries. "Les différentes parties tchadiennes ont officiellement demandé au Qatar de jouer un rôle de médiation dans les négociations", avait indiqué à l'AFP Mutlaq ben Majed Al Qahtani, le médiateur désigné par Doha.
Le Qatar a déjà participé aux efforts de négociations de paix au Yémen, au Liban, au Soudan et entre les talibans afghans et le gouvernement américain. En outre, c'est à Doha que vit, en résidence surveillée, l'un des principaux leaders de la rébellion, Timan Erdimi, cousin de Mahamat Déby.
Une "étape majeure"
Pour le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, la signature de l'accord constitue un "moment clé pour le peuple tchadien". Le chef de l'ONU, qui s'est exprimé dans une vidéo diffusée lors de la cérémonie officielle à Doha, a toutefois insisté sur le fait que ce dialogue devait être "inclusif" pour pouvoir réussir.
"L'accord de Doha constitue une étape majeure en vue de la tenue du dialogue national inclusif qui s'ouvrira prochainement à N'Djamena entre toutes les forces politiques et sociales du pays", s'est félicitée, pour sa part, une porte-parole du ministère français des Affaires étrangères.
Cet accord "ne résout pas la question de l'opposition armée, puisque certains des principaux groupes n'ont pas signé", a déclaré à l'AFP Jérôme Tubiana, chercheur français spécialiste du Tchad et de ses groupes rebelles. "Mais ce scénario était écrit d'avance, puisque que le gouvernement avait fait le choix de diluer le poids des quatre ou cinq principaux groupes au milieu d'une représentation beaucoup plus large".
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