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Incendies en Amazonie : "Pour que la forêt revienne en l'état, il faut plusieurs années"

Article rédigé par Violaine Jaussent - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
De la fumée s'échappe des feux de forêt dans le parc national Otuquis, en Bolivie, le 26 août 2019. (AIZAR RALDES / AFP)

Des feux ravagent la forêt amazonienne depuis le début du mois d'août. S'il juge leurs conséquences terribles pour cette zone tropicale, Jérôme Chave, directeur de recherche au CNRS, estime qu'elles ne sont pas irréversibles.

Les arbres meurent à petit feu. Les incendies en Amazonie ravagent depuis plusieurs semaines des centaines de milliers d'hectares. Les habitants des régions concernées assistent, impuissants, à la destruction de cette forêt, capitale pour la biodiversité et la régulation du climat, mais qu'il est trompeur et réducteur de surnommer "poumon de la planète". Car au-delà des hectares brûlés, c'est tout un écosystème qui part en fumée.

Pour savoir si ces pertes sont irréversibles et quelles sont les conséquences des incendies dans les forêts tropicales, franceinfo a interrogé Jérôme Chave, directeur de recherche au CNRS, réputé pour ses travaux sur l'écologie, la diversité biologique et le fonctionnement des forêts tropicales.

franceinfo : Près de 80 000 feux de forêt ont été répertoriés au Brésil depuis le début de l'année – un plus haut depuis 2013 –, dont plus de la moitié en Amazonie, selon les données de l'Institut national de recherche spatiale du Brésil. Quelles en sont les conséquences sur la forêt et son écosystème ?

Jérôme Chave : Tout d'abord, il faut savoir que le nombre de feux ne veut pas dire grand-chose. Ce qui est important, c'est de connaître la superficie et ce qui a brûlé. Par exemple, dans le Cerrado, la savane située dans le centre du Brésil, ça brûle tous les ans, mais c'est nécessaire pour les écosystèmes [NDLR : A l'inverse des forêts tropicales, les écosystèmes de savanes sont maintenant reconnus comme "adaptés au feu"]En revanche, normalement, la forêt amazonienne ne brûle jamais.

Les feux actuels ne touchent pas le centre de l'Amazonie, mais le sud, appelé depuis plusieurs années "arc de déforestation", car c'est là que les arbres commercialisables sont coupés, avant d'être brûlés pour convertir la forêt tropicale en terrain agricole. Or, parmi les feux actuellement actifs dans le sud de l'Amazonie, certains sont clairement dans les forêts. On les détecte par satellite, donc ce sont de très gros feux, ce n'est pas une allumette dans un champ. Si on rapportait les superficies à l'Europe, ce serait une catastrophe. Plusieurs dizaines hectares partent en fumée.

Les feux démarrent au sol, se propagent puis grimpent dans les arbres autour et toute la forêt y passe. Dans ce cas-là, il y a un impact sur l'écosystème. D'autant plus que la forêt d'Amazonie n'est pas adaptée au feu, car elle est toujours en milieu humide, contrairement aux forêts méditerranéennes ou à la forêt boréale du Canada. Elle est donc moins résistante aux incendies. C'est vrai pour les essences d'arbres, mais aussi pour toutes les espèces qui y vivent, les animaux et les insectes. Il y a donc une conséquence directe sur la biodiversité. De plus, le CO2 rejeté dans l'atmosphère par les arbres brûlés est dommageable car il contribue au changement climatique.

Est-ce irréversible ? Est-ce que ce qui a brûlé sera perdu à jamais ?

Non. C'est une échelle de temps. La forêt brûle en quelques jours, mais pour qu'elle revienne en l'état, il faut plusieurs années. En Amazonie, pour récupérer tout l'écosytème, il faut plus de soixante ans, parfois une centaine d'années. Néanmoins, déjà, au bout d'une vingtaine années, on se rend compte que des arbres ont poussé. Certains sont à croissance rapide. C'est un état naturel, la France était couverte de forêts il y a 2 000 ans. La forêt se régénère seule, sans nécessairement faire intervenir l'action de l'homme.

Mais pour que la forêt revienne, il faut laisser ces régions tranquilles et abandonner l'agriculture. Or, actuellement, certaines personnes veulent faire disparaître la forêt, car couper des arbres pour exploiter la terre et élever des bovins est rentable économiquement. Ce n'est pas un accident incontrôlable, c'est une volonté politique. Pourtant, laisser des grandes zones se convertir en forêt est très efficace pour réduire l'impact du changement climatique.

Si la forêt d'Amazonie repousse, on peut donc espérer la retrouver avec l'intégralité de son écosystème ?

Savoir si des espèces rares sont ou non perdues à jamais est une question  extrêmement difficile. On dénombre plus de 14 000 essences d'arbres en Amazonie. Certaines sont très mal connues. Il est impossible de savoir si certaines plantes collectées dans le passé existent encore, si des espèces d'oiseaux sont complètement éteintes. De plus, les essences d'arbres ne sont pas les mêmes dans le centre ou dans le sud de l'Amazonie. Et on dispose de très peu d'informations sur la biodiversité dans le Sud, parce qu'être un scientifique sur ce terrain et mettre en place un protocole d'observation de la biodiversité implique de se retrouver parfois à 200 m d'une personne prête à mettre le feu. C'est très dangereux. Les quelques collègues qui font ce travail sont des héros dans l'ombre.

C'est pourtant la condition pour observer la biodiversité. C'est un travail de moine, il faut aller sur place et grimper sur les arbres. Tant qu'il n'y a pas une personne de bonne volonté sur place pour recenser les essences et les espèces, on ne peut pas savoir ce qu'on perd exactement à la suite de ces incendies. C'est la principale source d'inquiétude. L'écosystème de l'Amazonie est tellement complexe que, déjà, essayer de ne pas le dégrader est une bonne chose.

Pour l'instant, les feux sont "sous contrôle", selon le Brésil. Une fois qu'ils auront cessé totalement, pourra-t-on replanter des arbres ou d'autres végétaux, comme on le fait en Europe lorsqu'une forêt de pins brûle ?

La reforestation peut fonctionner, mais pas dans les forêts amazoniennes. Sur un hectare, il y a quasiment un arbre sur deux qui est une nouvelle essence, donc replanter dans ces conditions-là est difficile. D'autant plus que la superficie de l'Amazonie est énorme, donc la bonne stratégie, dans ce cas, c'est de laisser faire la forêt. Les programmes de reforestation artificielle sont à la fois bons et mauvais. D'une part, c'est bien de reforester car cela permet de recycler l'eau et de produire de l'oxygène. Mais d'autre part, si on plante de l'eucalyptus à la place d'une forêt, on perd beaucoup de biodiversité, donc il faut se demander pourquoi on le fait. La reforestation est rentable si on plante des essences réexploitables. Mais dans ce cas ce n'est plus la forêt amazonienne.

On parle beaucoup de l'Amazonie, mais selon une carte de la Nasa, les feux en Afrique centrale sont plus massifs et concentrés que ceux de l'Amérique du Sud. Va-t-on également perdre cette forêt ?

La forêt tropicale humide du bassin du Congo est effectivement comparable à la forêt amazonienne, mais pas les feux. Encore une fois, le feu n'est pas un problème pour tous les écosystèmes. Dans la province du sud de la République démocratique du Congo, la saison sèche vient de s'achever. Conclusion : entre 2018 et 2019, il y a une tendance similaire. En revanche, 2009 et 2010 étaient des années exceptionnelles. Au Gabon aussi, il n'y a pas de tendances anormales dans les alertes feux cette année.

Il est donc faux de dire qu'en Afrique, les incendies sont pires qu'en Amazonie. Pour l'Amazonie, les données actuelles suggèrent que cette année pourrait être parmi les plus intenses depuis 2001. Mais on ne sait pas si ça va être vraiment exceptionnel, car on est seulement au début de la saison sèche, qui s'achève fin novembre. Le pic est attendu en septembre-octobre.

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