Election présidentielle au Mexique : quatre choses à savoir sur Claudia Sheinbaum, qui devient la première femme à la tête du pays

A 61 ans, la candidate de gauche succède à Andres Manuel Lopez Obrador, au pouvoir depuis 2018.
Article rédigé par Louis Dubar
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Claudia Sheinbaum, candidate à la présidence du Mexique, s'exprime lors d'un meeting politique dans l'Etat de Tlaxcala, le 11 mai 2024, au Mexique. (CARLOS SANTIAGO/ SIPA)

Elle est la première femme présidente dans l'histoire du Mexique. La candidate de la gauche au pouvoir, Claudia Sheinbaum, a remporté l'élection présidentielle mexicaine, selon les premiers résultats officiels annoncés par l'Institut national électoral (INE), lundi 3 juin. L'ex-maire de Mexico a totalisé entre 58 et 60% des voix, loin devant sa rivale de l'opposition, l'ex-sénatrice de centre-droit Xochitl Galvez, créditée de 26 à 28% des voix pour cette élection à un tour.

Près de 100 millions d'électeurs étaient appelés aux urnes. Celle qui va succéder au président Andres Manuel Lopez Obrador, alias "AMLO", au pouvoir depuis 2018, s'est engagée à poursuivre les politiques sociales et le programme économique initiés par le président sortant. Voici quatre choses à savoir sur Claudia Sheinbaum.

1 Scientifique, elle s'intéresse depuis longtemps à la question climatique

Issue d'une famille de scientifiques, Claudia Sheinbaum s'oriente à l'université vers les sciences dures. C'est son frère aîné, aujourd'hui ingénieur de recherche en modélisation océanique, qui la persuade d'étudier la physique, raconte-t-elle à la revue Science. Sans être une leader, c'est une militante assidue, notamment au cours de la mobilisation étudiante de 1986. "J'ai été impliquée par mes parents qui ont eux-mêmes participé au mouvement étudiant de 1968, mais ma principale occupation, c'était d'être mère et d'aller à l'université", explique-t-elle au média BreakThrough News.

Après avoir terminé un doctorat en ingénierie énergétique en décembre 1994, elle fait son entrée en politique avec le président actuel. Elu maire de Mexico en 2000, Andres Manuel Lopez Abrador la nomme ministre de l'Environnement de la capitale du pays. Sur ces thématiques, "Claudia Sheinbaum a les coudées franches", observe Hélène Combes, directrice de recherche au CNRS rattachée au CERI de Sciences Po et auteure du livre De la rue à la présidence, foyers contestataires à Mexico. "Du fait du désintérêt d'Andres Manuel Lopez Abrador sur l'écologie, elle a mené la politique qu'elle a souhaitée".

Après la défaite de son mentor à l'élection présidentielle en 2006, Claudia Sheinbaum retourne à la vie académique. "Même si je suis retournée à l'université, j'étais avec Lopez Obrador. J'étais avec lui dans ce mouvement qui a permis la création du Mouvement régénération nationale [Morena]", confie-t-elle à BreakThrough News. En parallèle de ses activités, elle contribue aux travaux du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (Giec). Claudia Sheinbaum a notamment participé en 2007 à la rédaction d'un chapitre au rapport consacré à l'atténuation du changement climatique (en PDF), explique la chaîne CNN.

2 En tête des sondages, elle surfe sur la popularité d'un président adulé

Après six années passées au pouvoir, le président sortant quitte le Palais national, siège de la présidence de la République, avec une popularité record. Selon un sondage réalisé par le journal mexicain El Financiero, la cote d'Andres Manuel Lopez Obrador atteint 60% d'opinions favorables, un taux de satisfaction exceptionnel en fin de mandat, qui s'explique en partie par un bon bilan économique et social. "Par rapport à 2018, la situation économique est bien meilleure. Même si l'extrême pauvreté se maintient, la pauvreté dans son ensemble diminue, souligne la chercheuse Hélène Combes. L'augmentation du salaire minimum a bénéficié très largement aux populations pauvres. Cette politique a permis de créer un lien très fort avec les milieux populaires."

Portée par cette popularité du président sortant, Claudia Sheinbaum a constamment fait la course en tête dans les sondages. Avec 53% des intentions de vote, elle distance sa rivale de centre-droit, Xóchitl Gálvez, de 17 points, d'après la moyenne des enquêtes réalisées par le site spécialisé Oraculus.

"C'est un honneur d'être avec Obrador !", ont repris en chœur ses partisans lors du dernier meeting de campagne de la candidate, le 30 mai. Trois jours plus tôt, elle s'était engagée à poursuivre le programme de réformes sociales initié par AMLO.

3 Elle a été maire de Mexico, avec un bilan sur lequel elle capitalise

Maire du district de Tlalpan, dans le sud de la capitale entre 2015 et 2016, elle devient la première femme élue à la tête de Mexico en 2018. Claudia Sheinbaum a tenté de gérer en scientifique la pandémie de Covid, qui a enregistré le plus fort taux de décès pour 100 000 habitants (442,1) dans tout le pays. Au début de la pandémie, elle encourage les neuf millions d'habitants de la métropole à porter un masque et à respecter un certain nombre de règles de distanciation sociale. Comme le rappelle Science, cette stratégie de l'édile se heurte notamment à la politique sanitaire du président sortant, accusé de minimiser la dangerosité du virus.

Cette bonne gestion, Claudia Sheinbaum en a fait un argument de campagne. "C'est ce mandat et son bilan qui lui ont permis d'être présidentiable", souligne Hélène Combes. Après avoir quitté ses fonctions en juin 2023, elle s'impose facilement dans la course à l'investiture de son parti pour l'élection présidentielle. "Même si l'élection ne se décide pas à Mexico, la capitale et la zone métropolitaine représentent 15% du corps électoral". Ecologiste de longue date, elle promeut "un changement des pratiques individuelles, en lançant des programmes dans les quartiers populaires d'éducation à l'écologie et à l'agriculture urbaine de subsistance", précise l'universitaire.

4 Elle se présente comme féministe, mais son engagement est remis en cause

Dans un pays qui enregistre l'un des plus forts taux de féminicides par nombre d'habitants au monde, Claudia Sheinbaum promet, en tant que première présidente du Mexique, d'inscrire la lutte contre l'impunité et les violences sexistes et sexuelles au cœur de sa politique en cas de victoire. En 2023, "3 800 femmes ont été tuées, même si seulement 24% de ces meurtres sont investigués comme des féminicides par les ministères publics, ce qui contribue à l'impunité pour ces crimes", explique Delphine Lacombe, sociologue et politiste, chargée de recherche au CNRS.

Au cours de la campagne, l'ancienne maire a affirmé au quotidien El Pais qu'elle lancerait, en cas de victoire, une réforme constitutionnelle pour "que l'égalité réelle des femmes et le droit à une vie sans violence soient reconnues". Si elle se définit publiquement comme féministe, plusieurs militantes mettent toutefois en cause son engagement. "Elle incarne un féminisme d'accompagnement de l'opinion et pas de remise en cause de la société patriarcale, comme peut le faire un mouvement féministe beaucoup plus jeune et radical", explique Hélène Combes. Sa gestion du maintien de l'ordre dans la capitale lors de rassemblements féministes a par exemple été vivement critiquée.

Elle s'est également abstenue de prendre formellement position sur une décision de la Cour suprême dépénalisant en septembre 2023 l'avortement à l'échelle nationale. "Comme son adversaire, Xochitl Gálvez, Claudia Sheinbaum a éludé cette question pour des raisons stratégiques alors qu'il y a 18 Etats sur 32 qui pénalisent encore l'avortement, analyse Delphine Lacombe. A partir de son bilan mitigé à Mexico, des féministes même modérées ont jugé que ses prises de parole pendant la campagne étaient très en deçà des exigences de la nouvelle génération féministe."

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