Assassinat, services secrets et "erreur monumentale"… On vous explique la crise diplomatique entre l'Inde et le Canada

Article rédigé par Camille Laurent
Radio France
Publié Mis à jour
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Des activistes indiens brûlent un drapeau canadien et un portrait de Justin Trudeau, le 23 septembre 2023. (NARINDER NANU / AFP)
Les relations entre les deux pays se sont fortement envenimées depuis le meurtre d'un militant indépendantiste sikh au Canada en juin 2023.

La tension est à son comble. Dernier épisode en date dans la crise qui oppose Ottawa et New Delhi, et pas des moindres : l'expulsion, lundi 14 octobre, de leurs ambassadeurs respectifs et une déclaration cinglante du Premier ministre canadien. Justin Trudeau a qualifié "d'erreur monumentale" la décision de l'Inde "d'attaquer des Canadiens". La crise couve en fait depuis plus d'un an et la mort sur le sol canadien d'un leader indépendantiste sikh, citoyen canadien, en juin 2023. Franceinfo revient sur cette escalade en trois actes.

Une affaire de meurtre à l'origine de la crise

C'est le meurtre du militant séparatiste sikh Hardeep Singh Nijjar, le 18 juin 2023, qui met le feu aux poudres. Il est abattu par deux hommes masqués devant le temple sikh qu'il dirige à Surrey, dans la banlieue de Vancouver, dans l'ouest du Canada. Réfugié dans ce pays depuis 1997, Nijjar y est naturalisé en 2015. Le Canada, où vivent près de 800 000 sikhs, abrite la plus grande communauté en dehors de l'Inde. Près de Vancouver, à la tête d'un temple sikh, le dirigeant milite pour la création d'un État sikh indépendant de l'Inde, baptisé le Khalistan. Avant sa mort, Nijjar est recherché par les autorités indiennes qui l'accusent de faits présumés de "terrorisme" et de complot en vue de commettre un meurtre. L'activiste a toujours contesté ces accusations à son encontre.

Quatre Indiens sont arrêtés après le meurtre de Nijjar. Mais l'Organisation mondiale des sikhs du Canada, une organisation à but non lucratif, dénonce un "assassinat ciblé". Pour sa part, l'Inde se plaint régulièrement auprès de gouvernements étrangers, dont le Canada, des activités de militants sikhs sur leur sol, qu'elle accuse de vouloir relancer le mouvement indépendantiste.

Un an de représailles diplomatiques et de surenchères

À mesure que l'enquête sur le meurtre de Nijjar avance, les relations indo-canadiennes se dégradent. En septembre 2023, Justin Trudeau, Premier ministre canadien, estime qu'il y a "des allégations crédibles" reliant les services secrets à l'assassinat du leader sikh. Des accusations "absurdes" selon les autorités indiennes, qui démentent "tout acte de violence au Canada". En représailles, l'Inde menace de retirer l'immunité diplomatique d'une quarantaine de représentants canadiens, poussant, en octobre dernier, Ottawa à rapatrier ses diplomates. Dans ce climat tendu, le pays demande également à ses citoyens d'éviter de voyager dans certaines régions du Canada "compte tenu de la multiplication des activités anti-indiennes et des crimes haineux et criminels à connotation politique au Canada". Et il restreint provisoirement les visas pour les Canadiens.

Un an plus tard, la crise redouble en intensité. Lundi, le Canada expulse six diplomates indiens, dont l'ambassadeur à Ottawa, soupçonnés d'être impliqués dans l'affaire Nijjar. Une décision justifiée par des "preuves nombreuses, claires et concrètes permettant d'identifier six personnes en tant que personnes d'intérêt dans l'affaire Nijjar" et le manque de collaboration de l'Inde, selon la ministre des Affaires étrangères canadienne. L'Inde contre-attaque en "décidant d'expulser" le haut-commissaire par intérim d'Ottawa et cinq autres diplomates.

"Nous ne tolèrerons jamais qu'un gouvernement étranger menace et tue des citoyens canadiens sur le sol canadien, ce qui constitue une violation profondément inacceptable de la souveraineté du Canada et du droit international."

Justin Trudeau, Premier ministre canadien

le 14 octobre 2024

Justin Trudeau enfonce le clou en déclarant dans la foulée lundi : "Je crois que l'Inde a fait une erreur monumentale en choisissant d'utiliser ses diplomates et le crime organisé pour attaquer les Canadiens" et en qualifiant ces "actes de violence" et "d'homicides inacceptables". Il s'agit d'une "stratégie de diffamation de l'Inde à des fins politiques", réagit pour sa part le pays visé qui ajoute "se réserver maintenant le droit de prendre d'autres mesures en réponse à ces derniers efforts du gouvernement canadien en vue de formuler des allégations contre les diplomates indiens".

Une affaire similaire aux États-Unis, où l'Inde se montre beaucoup plus coopérative

Mais l'Inde est également sous pression américaine. Les États-Unis soutiennent le Canada en appelant  mardi l'Inde à prendre "au sérieux" les accusations dans le cadre de l'enquête sur l'assassinat de Nijjar. Les États-Unis sont également concernés : un ressortant indien y est poursuivi depuis novembre 2023, suspecté d'avoir commandité le projet d'assassinat d'un dirigeant séparatiste sikh à New York, à l'instigation d'un agent de New Delhi.

Deux affaires similaires qui connaissent un développement totalement différent. Après les révélations américaines, l'Inde, dont les relations avec Wahsington sont plus importantes qu'avec Ottawa, s'est engagée à coopérer avec les États-Unis. Le pays promet de prendre "les mesures nécessaires sur la base des conclusions de la commission d'enquête [américaine]". Cette attitude de l'Inde contraste fortement avec sa réaction furieuse lorsque le Canada incrimine ses services de renseignements pour le meurtre de Nijjar.

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