Effondrement du Rana Plaza en 2013 : Catherine Dauriac, présidente de Fashion Revolution France, tire la sonnette d'alarme, 10 ans après
Il y a 10 ans, le 24 avril 2013, l’usine textile du Rana Plaza, qui abritait des ateliers de confection pour des marques occidentales à Dacca au Bangladesh, s'effondre. Les Occidentaux découvrent, alors, les visages de 1 138 travailleurs morts d'avoir fabriqué leurs vêtements dans des conditions indignes.
Dix ans après, quelle est la situation ? Rencontre et explications avec Catherine Dauriac, présidente de Fashion Revolution France.
Franceinfo culture : vous présidez l'association Fashion Revolution France, un collectif international né après la catastrophe du Rana Plaza
Catherine Dauriac : Fashion Revolution est une ONG internationale née en Angleterre après la catastrophe du Rana Plaza. Cet immeuble de sept étages s'est effondré sur les ouvriers et surtout sur les ouvrières, car 80% des travailleurs de l'industrie textile sont des femmes et de jeunes femmes. Cela a été un détonateur dans le monde de la mode : avec 1 138 morts et 2 500 blessés, c'est la plus grosse catastrophe de l'industrie textile en nombre de victimes. On a retrouvé dans les décombres les étiquettes des marques patrimoniales connues dans le monde entier, notamment en France, qui avaient une notoriété plutôt de bonne facture.
Fashion Revolution est né en Angleterre : Carry Somers et Orsola De Castro ont lancé le hastag #Who made my clothes qui a fait le tour du monde. L'année suivante, l'organisation s'est constituée. Aujourd'hui, c'est 77 pays et la France fait partie des 18 bureaux officiels.
En quoi consiste la Fashion Révolution Week que vous organisez sur le thème Un manifeste pour une révolution de la mode, du 22 au 29 avril 2023.
Pour les 10 ans de l'anniversaire du Rana Plaza, Fashion Revolution a décidé de remettre en avant notre manifeste, en 10 points, pour une mode plus responsable. Il donne aux citoyens des indications pour que la mode respecte le vivant, les travailleurs et les consommateurs.
La catastrophe du Rana Plaza a-t-elle été le catalyseur d’avancées légales au Bangladesh ?
Oui. Après, il y a eu les accords internationaux Bangladesh qui proposent aux marques de sécuriser les bâtiments contre les incendies et les effondrements. Ces accords ont été signés une première fois en 2015, puis reconduits en 2018 et 2021. Le problème, c'est qu'il y a toujours des marques internationales - appelées "les 12 salopards" - qui refusent de le signer. Tous les ans, Clean Clothes Campaign, une ONG internationale qui travaille au Bangladesh, lance une campagne pour informer les consommateurs du manque de ces marques.
D'autres pays ont signé, également, les accords internationaux Pakistan pour sécuriser les usines du Pakistan, d'Indonésie et du Vietnam.
Depuis 2017, la France s’est dotée d’une loi engageant la responsabilité des grands industriels vis-à-vis de leurs sous-traitants, y compris à l’étranger. Est-ce qu’elle fonctionne ?
C'est une loi contraignante, en effet, mais depuis 2017 il n'y a pas eu de condamnations... donc elle ne fonctionne pas à plein volume. Aujourd'hui, c'est un jour très important [interview réalisée le 25 avril], cette loi est élargie à l'Europe. La directive pour la loi sur le devoir de vigilance va être signée par les députés européens. Cette signature va permettre de réguler les importations. Malheureusement, cette loi ne s'adresse qu'aux entreprises de plus de 250 salariés et de plus de 40 millions de chiffre d'affaire. Cela laisse en dehors de la loi une grande part du marché.
L'industrie textile a provoqué d’autres scandales liés à l'ultra fast fashion (montée en puissance de Shein, travail forcé de la minorité musulmane ouïghoure du Xinjiang...). Comment stopper cette surproduction sachant que ces articles bon marché terminent leur courte vie dans des décharges à ciel ouvert avec des conséquences néfastes pour l'environnement ?
C'est bien le problème de la surproduction : 150 milliards de pièces de vêtements sont produites par an dans des pays du sud où les salaires ne sont pas des salaires vitaux, les gens sont exploités. Au Bangladesh, le salaire minimum légal est de 85 euros par mois, il devrait être de 380/400 euros, c'est bien en dessous des besoins des ouvriers (ères) pour une vie décente !
On a besoin de régulation pour stopper la surproduction. Aujourd'hui on ne peut pas ouvrir un réseau social sans être envahi de publicités, ce sont des injonctions à l'achat. Surproduction égale surconsommation : les consommateurs sont pris dans les rouages du marketing et de la publicité. On a besoin de régulation pour arrêter ce grand gaspillage.
Le défilé, organisé par l'association Une Autre Mode Est Possible, a ouvert, le 22 avril, la Fashion Revolution Week. Il a mis en valeur des créateurs (rices) d'une mode responsable et durable en utilisant des matières locales et upcyclées. C'est un moyen de montrer comment les savoir-faire et la créativité permettent de valoriser des matières qui du statut de déchets repassent à celui de ressources ?
Bien sûr, c'est montrer aux gens que l'on peut faire une autre mode, puisque une autre mode est possible. Ce défilé, c'était plus de 30 marques travaillant sur l'upcycling, à partir de vêtements de seconde main et de stocks dormants. Ce sont des solutions mais ce sont tous des très petits business modèle, qu'il faudrait élargir au plus grand nombre.
Souvent les consommateurs sont réticents à acheter de la mode éthique par rapport au prix. Mais avec les marques fast fashion, les gens ne se rendent plus compte du vrai prix, du juste prix.
Toutes les initiatives sont bonnes mais il faudrait plus de prises de conscience de la part des consommateurs : qu'ils se rendent compte, par exemple, que leur vêtement sont toxiques pour eux mais aussi pour les travailleurs à l'autre bout du monde et pour l'environnement. On sait qu'il y a plus de 8 000 produits toxiques utilisés lors de la fabrication des vêtements.
Le fabriqué en France est-il la solution ?
Le fabriqué en France, s'il y est vraiment fabriqué cela peut être une solution. Mais on se heurte à l'approvisionnement des matières premières, en France, on a du lin c'est tout ! Le coton est très peu cultivé en Europe (un peu en Grèce), sinon il vient de très très loin. Fabriqué en France est donc un label qui n'est pas très transparent.
Quels sont les freins et leviers à la relocalisation et à la ré-industrialisation ?
La ré-industrialisation, on en parle beaucoup, certains parlent de la relocalisation des usines. Aujourd'hui, le secteur textile a quasiment disparu même s'il reste des entreprises qui fabriquent, qui tissent, qui tricotent. On sait que pour réimplanter des usines en France, il va falloir énormément d'argent et de formation. Par exemple, pour les filatures de lin réimplantées, on sait que les savoir-faire d'avant ont été perdus, que les machines viennent de Chine. Quand on a délocalisé vers la Chine et que ce pays a racheté nos usines de filature, il n'a pas amélioré le matériel. On se retrouve, donc, avec des vieilles machines : il va falloir de l'innovation, former les gens, les remettre dans les usines mais à quel tarif ?
Renforcer le recyclage des textiles, prôner la traçabilité (loi anti gaspillage pour une économie circulaire), acheter de la seconde main ou des marques éthiques. Est-ce des solutions suffisantes pour consommer une mode plus juste ?
Je pense qu'il faut mieux acheter beaucoup moins et réfléchir à ce que l'on fait rentrer chez soi. On ne porte que 30% du vestiaire que l'on possède. Il suffit d'ouvrir son armoire pour se rendre compte que l'on porte toujours les mêmes vêtements et que les 3/4 restants continuent de dormir.
Acheter moins et faire un tri de son vestiaire, avant de se poser la question : est-ce que j'ai vraiment besoin de cette nouvelle pièce ? Est-ce que je n'ai pas déjà quelque chose de semblable ? Je pense que l'on doit sortir de la boulimie d'achat dans laquelle on est rentré il y a une vingtaine d'année !
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.