On vous raconte la longue dérive du "Foch", l'ancien porte-avions français coulé par la marine brésilienne dans l'océan Atlantique
Son long déclin a pris fin. Le porte-avions Foch, qui a fait la fierté de la marine française, achève sa carrière à 5 000 mètres de profondeur dans l'océan Atlantique. Le Brésil, qui l'avait racheté en 2000, a annoncé vendredi 3 février avoir coulé le bâtiment, devenu trop encombrant et trop polluant.
Son remorquage était jugé trop risqué par les autorités brésiliennes, qui estimaient que, vu son l'état dégradé, "un naufrage spontané" était inéluctable. La marine et le ministère de la Défense ont identifié une zone située à quelque 350 km au large des côtes brésiliennes, au-dessus d'une profondeur suffisamment importante, comme étant "la plus sûre" pour ce sabordage. Néanmoins, la décision a fait bondir les associations environnementales. "La marine militaire brésilienne s'apprête à ouvrir une nouvelle décharge sous-marine", dénonce l'ONG Robin des bois, qui qualifie le porte-avions de "colis toxique de 30 000 tonnes".
Un symbole français
Ambassadeur de son époque, le Foch renferme un cocktail des métaux les plus dangereux utilisés dans les années 1950. Amiante, mercure, peintures, résidus d'hydrocarbures, PCB (polychlorobiphényles)... Sa vieille coque de 266 mètres de long est remplie de déchets toxiques, selon plusieurs organisations de défense de l'environnement (en anglais). Selon un rapport de la société norvégienne Grieg Green, consulté par le média brésilien Estadao de Sao Paulo (article payant, en portugais), le porte-avions contient aujourd'hui 9,6 tonnes d'amiante, en plus de 644,7 tonnes de métaux lourds présents dans sa peinture, ainsi que 10 000 lampes fluorescentes au mercure.
Pourtant, le porte-avions n'a pas toujours été ce boulet au pied de l'Etat brésilien. Lancé en 1959, il a été pendant 37 ans, la vitrine de la Marine française à l'étranger. Une fierté nationale, sortie du chantier naval de Saint-Nazaire, que la France a brandie en étendard tricolore dans les eaux internationales. Capable de catapulter des avions de 12 à 15 tonnes à une vitesse de 150 nœuds au décollage, le Foch a notamment participé aux opérations aériennes de l'Otan en Yougoslavie au printemps 1999. Jusqu'à ce que le flambant neuf porte-avions à propulsion nucléaire, le Charles-de-Gaulle, éclipse le Foch et son jumeau, le Clemenceau.
Un porte-avions "à bout de souffle"
Mis à la retraite, les autorités françaises ont un temps envisagé d'en faire un musée. Le projet, soutenu par l'Amicale des anciens du Clemenceau et du Foch, a finalement été abandonné, rappelait Le Monde (article pour les abonnés) en septembre. "Les Français aiment conserver les vieilles pierres, mais pas la vieille ferraille", regrettait alors Francis Sauve, le responsable de l'association.
Le Foch a alors été vendu au Brésil, qui l'a rebaptisé Sao Paulo, en 2000. Le porte-avions était déjà "à bout de souffle", selon l'ONG Robin des Bois, qui estime que la France a une part de responsabilité dans le naufrage actuel. "Au lieu de procéder au démantèlement du porte-avions Foch, elle l'a cédé à la Marine brésilienne", dénonce l'association. Vétuste, le bâtiment aurait nécessité de coûteux travaux de modernisation. Le Foch est donc devenu un colis empoisonné. Une série de problèmes techniques, liés notamment à un incendie en 2005, a convaincu Brasilia de s'en débarrasser.
Une longue errance
Au printemps 2021, le Brésil le revend à bas prix à un chantier naval turc. Mais impossible de trouver un port prêt à l'accueillir pour engager son démantèlement. Le nouveau propriétaire du navire menace de l'abandonner en mer. En juin 2022, il obtient enfin l'autorisation de le convoyer jusqu'en Turquie pour le démanteler.
Le porte-avions reprend la mer, traverse l'Atlantique, arrive au détroit de Gibraltar, entre l'Espagne et le Maroc, lorsque la Turquie fait machine arrière : le porte-avions n'est plus le bienvenu. Ankara craint qu'il ne contienne beaucoup plus d'amiante que prévu. Retour à la case départ. Sauf que le Sao Paulo n'a plus le droit d'accoster au Brésil. Le voyage a aggravé l'état de sa coque, selon un rapport consulté par l'Estadao de Sao Paulo. "Le document indique que les dommages sont probablement liés à l'interaction avec les vagues, le sel et le vent au cours des 72 jours de navigation en haute mer" dans l'Atlantique.
Commence alors une longue errance, à la recherche d'un nouveau port d'accueil. En vain. Le navire tourne encore en rond, non loin des côtes brésiliennes, lorsque le 20 janvier, les autorités décident de l'éloigner à 300 kilomètres des côtes. Avec l'objectif de le couler. "La Marine brésilienne devrait être condamnée pour négligence", estime l'ONG Basel Action Network, qui combat l'export de déchets toxiques. "S'ils coulent cette embarcation hautement toxique au milieu de l'Atlantique, ils vont violer sans aucune bonne raison trois traités environnementaux internationaux", accuse le directeur de l'association, Jim Puckett. Mais pour le Brésil, la décision est prise. Alors que plus personne ne veut de lui, le porte-avions finit sa vie au fond de l'océan.
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