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Arrestations, violences... A Hong Kong, la situation est plus tendue que jamais

Alors que les autorités hongkongaises ont interdit aux manifestants prodémocratie de défiler, la détermination des militants, dans un contexte de chasse aux sorcières de plus en plus pressante, fait craindre une nouvelle journée de violences, samedi, dans l'ancienne colonie britannique. 

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Temps de lecture : 11min
Les militants prodémocratie hongkongais, Agnes Chow et Joshua Wong, s'expriment devant la presse après avoir été libérés sous caution, le 30 août 2019 à Hong Kong.  (LILLIAN SUWANRUMPHA / AFP)

"L'évolution de la situation à Hong Kong au cours de ces dernières heures est extrêmement préoccupante." Depuis Helsinki (Finlande), la cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, a fait part de son inquiétude, vendredi 30 août. "Nous attendons des autorités de Hong Kong qu'elles respectent la liberté de réunion, d'expression et d'association ainsi que le droit à manifester pacifiquement", a déclaré la diplomate, après des entretiens avec les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne.

Après trois mois de confrontation, les tensions sont à leur comble entre le gouvernement hongkongais et les militants prodémocratie.

Une manifestation interdite 

Les militants prodémocratie ont appris la nouvelle jeudi 29 août : la police hongkongaise leur interdit de manifester samedi, comme ils le font depuis près de trois mois. Cette fois, ils entendaient marquer le cinquième anniversaire du refus chinois de réformes politiques à Hong Kong, qui avait été le déclencheur du "Mouvement des parapluies", lequel s'était traduit par 79 jours d'occupation pacifique des rues de Hong Kong en 2014, sans obtenir la moindre concession de Pékin. Dans une lettre adressée jeudi au Front civil des droits de l'homme (FCDH), un mouvement non violent, la police a dit redouter que certains participants ne commettent à cette occasion des "violences" ou des "actes de destruction".

"Vous pouvez voir que la police accélère son plan d'action, et vous pouvez voir que [la cheffe de l'exécutif hongkongais] Carrie Lam n'a en fait aucune intention de permettre à Hong Kong de retrouver la paix, mais cherche au contraire à attiser la colère des citoyens avec des mesures dures", a déclaré aux journalistes Jimmy Sham, leader du FCDH.

Si les organisateurs ont officiellement annulé la manifestation, les militants envisagent d'autres modes d'actions pour cette journée de samedi : un match de football, une sortie shopping de masse ou encore un rassemblement religieux impromptu ont notamment été proposés sur les réseaux sociaux... Mais ce que craignent les autorités, c'est la tenue de rassemblements interdits. Ainsi, la police a fait savoir vendredi aux Hongkongais que les personnes interpellées en train de participer à des rassemblements illégaux s'exposaient à cinq ans d'emprisonnement, détaille l'agence AP.

Des figures du camp prodémocratie arrêtées 

Afin de mettre davantage la pression sur les manifestants à l'approche de cette journée à risques, les autorités ont arrêté vendredi matin plusieurs figures du mouvement pro-démocratie hongkongais. Amnesty International a aussitôt condamné "de scandaleuses attaques contre la liberté d'expression et de réunion" et des "tactiques visant à semer la peur tout droit sorties des manuels chinois".

Deux des grandes figures du "Mouvement des parapluies", Joshua Wong et Agnes Chow, âgés de 22 ans et très populaires au sein de la contestation, ont été arrêtées à l'aube, notamment pour "incitation à participer à un rassemblement non autorisé". Libérés sous caution, les deux activistes ont fait part de leur intention de poursuivre la mobilisation. Joshua Wong a assuré qu'il s'attendait à être arrêté. "Nous continuerons de nous battre, peu importe la manière dont ils nous arrêtent et nous poursuivent", a-t-il aussi déclaré. 

Quelques heures plus tôt, un autre militant, Rick Hui, était arrêté, tout comme Andy Chan – fondateur du Parti national (HKNP), minuscule formation indépendantiste interdite par les autorités en 2018 – interpellé à l'aéroport. L'arrestation du député prodémocratie Cheng Chung-tai, à la tête du mouvement "Passion civique", a également été annoncée à la mi-journée. Sur le site internet du parti, il est indiqué que l'homme de 35 ans était poursuivi pour "complot en vue de provoquer des dégâts criminels", en lien avec la mise à sac du Parlement, en juillet. Vendredi soir, deux autres élus de Passion civique, Jeremy Tam et Au Nok-hin, ont été interpellés pour "obstruction à la police", a annoncé le parti sur sa page Facebook.

Depuis le début de la contestation, plus de 850 personnes ont été interpellées.

Des salariés sous surveillance

Menacés de licenciement s'ils prennent part aux manifestations, des employés de Cathay Pacific, la compagnie aérienne historique de Hong Kong, dénoncent à leur tour la "terreur blanche". Autrefois protégés par leurs employeurs, ils sont déjà cinq à avoir perdu leur emploi ces dernières semaines. "On est surveillés, c'est évident", indique un membre du syndicat des équipages sous couvert d'anonymat, en marge d'une manifestation organisée mercredi soir contre la volte-face de Cathay Pacific.

Dans un courrier adressé aux membres du personnel, un directeur de Cathay, Tom Owen, met d'ailleurs en garde contre toute participation à une grève prévue lundi et mardi. "Nous attendons de tous nos employés qu'ils travaillent comme prévu, a-t-il indiqué dans cette note, dont la compagnie a envoyé une copie à l'AFP. Tout manquement (...) fera l'objet d'une enquête et pourra entraîner une résiliation de contrat." L'autocensure est désormais à l'œuvre : des employés ayant publié des messages de soutien à la contestation les ont depuis effacés, par crainte d'être licenciés.

"Cette terreur blanche a de quoi dissuader tout le monde de soutenir le mouvement : salariés, commerçants, chefs d'entreprise", indique à Libération, mardi 27 août, un cadre de la finance sympathisant du mouvement. "Sa crainte est confortée par une récente campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux, où des manifestants sont affichés, photos, noms et données personnelles à la clé, explique l'article. Alors que, par crainte des représailles et d'un affaiblissement économique, les grandes entreprises se sont rangées derrière le gouvernement de Carrie Lam. Dans des multinationales, des consignes circulent en interne pour appeler les salariés à la discrétion", assure encore Libération.

Des manifestations de moins en moins pacifiques

Paradoxalement, en interdisant la manifestation organisée par la FCDH, l'organisation non violente à l'origine des plus grands rassemblements de ces derniers mois, les autorités pourraient encourager la mobilisation des manifestants radicaux, prêts à en découdre. Car au fil des semaines, les images des rassemblements pacifiques monstres ont fait place à celles de heurts entre manifestants et forces de l'ordre. Ainsi, dans les cortèges, dimanche 25 août, lors du 12e week-end consécutif de manifestations, certains manifestants avaient notamment descellé des pavés du trottoir pour les utiliser comme projectiles. D'autres avaient aspergé la chaussée de détergent afin de la rendre glissante pour la police.

Un manifestant lance un projectile en direction des forces de l'ordre à Hong Kong, le 25 août 2019. (LILLIAN SUWANRUMPHA / AFP)

"Nous avons appris de nos échecs de la 'Révolution des parapluies'. Nous étions trop pacifiques à cette époque", expliquait Alice, une militante prodémocratie de 26 ans, interrogée mercredi au micro de France Culture. "Et nous n'étions pas assez exigeants, nous ne poussions pas assez le gouvernement. Donc, il n'était pas obligé de nous répondre, ou de faire quoi que ce soit. Cette fois, nous sommes en fait plutôt très surpris de pouvoir être encore très unis et de voir que la flamme brûle encore. J'espère en fait que ce soit une révolution et pas seulement un mouvement pour faire changer les choses."

Des policiers qui emploient de nouvelles armes

Dimanche 25 août a marqué un tournant dans les méthodes utilisées par la police hongkongaise. Pour la première fois, elle a fait usage de gaz lacrymogènes et de canons à eau pour repousser les protestataires. Or, les forces de l'ordre avaient jusqu'à présent affirmé ne vouloir recourir aux canons à eau qu'en cas de "perturbation à grande échelle de l'ordre public". Fréquemment utilisés par la police dans les pays européens, les canons à eau sont une nouveauté à Hong Kong, où ils n'avaient jusqu'ici jamais été employés contre des manifestants. 

Des manifestants essuient des tirs de gaz lacrymogène de la police à Hong Kong, le 25 août 2019. (TYRONE SIU / REUTERS)

Dans la soirée, un policier a par ailleurs tiré au moins une fois avec son arme à feu. Il n'est pas possible de savoir quelle était la cible du tir, mais c'est la première fois qu'un tir d'arme à feu est effectué depuis le début des manifestations.

De nouvelles troupes chinoises à Hong Kong

L'armée chinoise a procédé jeudi à la relève de sa garnison installée en permanence à Hong Kong. Des dizaines de camions et de blindés de transport de troupes ont traversé dans la nuit la frontière qui sépare la Chine continentale de la région administrative. Il s'agit de "la rotation annuelle normale" de la garnison de l'Armée populaire de libération (APL), a souligné l'agence Chine nouvelle. L'APL compte plusieurs milliers de soldats à Hong Kong depuis la restitution du territoire à la Chine en 1997. Les troupes fraîches sont arrivées "par terre, par mer et par air", a ajouté l'agence de presse officielle.

L'armée chinoise n'a en principe pas à intervenir à Hong Kong mais peut être invitée à rétablir l'ordre par les autorités locales, comme l'ont récemment rappelé de hauts responsables chinois. Aussi, une vidéo montrant un exercice de la garnison de Hong Kong occupée à réprimer des émeutes a été perçue début août comme un avertissement adressé aux manifestants, qui dénoncent depuis juin l'exécutif pro-Pékin. "Elle a la détermination, la confiance et la capacité nécessaires (...) pour protéger à long terme la prospérité et la stabilité de Hong Kong, tout comme la paix et l'ordre", a encore prévenu jeudi lors d'une conférence de presse Ren Guoqiang, un porte-parole du ministère chinois de la Défense

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