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Grand entretien Haut-Karabakh : "Il est clair qu'il s'agit d'une épuration ethnique", dénonce l'ambassadrice de la République d’Arménie en France

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Un soldat aide une femme à descendre du bus qui a conduit des réfugiés depuis le Haut-Karabakh jusqu'à Goris en Arménie. (ERIC AUDRA / RADIOFRANCE)
Hasmik Tolmajian, ambassadrice de la République d’Arménie en France, était l'invitée de franceinfo, ce jeudi.

"Il est clair qu'il s'agit d'une épuration ethnique (…) Cette terre, aujourd'hui, est en train de se vider entièrement de sa population arménienne", a dénoncé Hasmik Tolmajian, ambassadrice de la République d’Arménie en France, ce jeudi sur franceinfo, alors que des dizaines de milliers d'habitants du Nagorny Karabakh ont fui la région depuis l'offensive éclair de l'Azerbaïdjan la semaine dernière.

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Plus de 65 000 personnes se sont réfugiées en Arménie, selon les derniers chiffres communiqués par Erevan. La diplomate constate l'"incapacité de la communauté internationale d'empêcher ce crime". Selon elle, seules des "actions très fortes" peuvent faire "changer la donne" quand "on est face à des autocrates".

franceinfo : Selon vous, ce qui se passe en ce moment au Nagorny Karabakh porte un nom : c'est du nettoyage ethnique ?

Hasmik Tolmajian : On peut utiliser mille mots pour expliquer la situation. Mais je pense qu'il est clair pour toute personne qu'il s'agit d'une épuration ethnique. Cette terre arménienne où les Arméniens vivent sans interruption depuis 3 000 ans, où ils ont créé une civilisation, c'est le berceau du peuple arménien, est en train de se vider entièrement de sa population arménienne. Il n'y a pas un autre mot qui peut être utilisé. Les spécialistes internationaux de génocide depuis des mois alertaient, pas d'un risque de la menace d'épuration ethnique, mais d'un génocide en cours en s'appuyant sur la Convention internationale sur la prévention et la répression du crime de génocide.

Ça veut dire que bientôt, il n'y en aura plus d'Arméniens dans le Nagorny Karabakh ? 

Dans quelques jours, il n'y aura plus d'Arméniens dans le Haut-Karabakh, si ce ne sont peut-être quelques otages, des Arméniens qui seront gardés par les Azéris. Sur les 120 000 Arméniens du Haut-Karabakh, il y a déjà plus de la moitié qui a quitté le Haut-Karabakh.

Que vous disent les gens qui arrivent en Arménie en provenance du Haut-Karabakh ?

Il n'y a pas d'observateurs internationaux, il n'y a pas d'agences internationales des Nations unies. L'Azerbaïdjan bloque leur entrée depuis des mois. Il n'y a pas de journalistes parce que l'Azerbaïdjan, aujourd'hui, est en train de commettre un crime contre l'humanité et ne veut pas qu'il y ait de témoins de ce drame. Cette agonie du peuple arménien du Haut-Karabakh s'accompagne aussi d'un silence. Sur les réseaux sociaux des Azéris, on voit les atrocités de masse. On voit les décapitations, des démembrements. On sait très bien que l'ancien président du Haut-Karabakh a été kidnappé. Il est aujourd'hui à Bakou. Son sort est inconnu. Les Arméniens du Haut-Karabakh risquent le pire.

Que vous inspire l'impuissance européenne ?

Il y a une impuissance. Il y a une incapacité de la communauté internationale d'empêcher ce crime. Les signes avant-coureurs, précurseurs, étaient bien là. Aujourd'hui, nous constatons avec beaucoup de regrets cette impuissance, cette incapacité. 

Ce peuple a déjà subi un génocide en 1915. Un siècle plus tard, nous sommes toujours dans l'incapacité de prévenir des atrocités de masse, une épuration ethnique. On ne peut pas ne pas avoir de colère.

Hasmik Tolmajian

à franceinfo

C'est la Turquie qui est à la manœuvre, selon vous ?

Vincent Duclert, l'historien et spécialiste des génocides, avait alerté il y a quelques jours dans une tribune publiée dans Le Monde. Il s'agit d'une entreprise délibérée turco-azerbaïdjanaise pour la destruction d'une terre arménienne et l'élimination d'un peuple qui est composé de rescapés du génocide arménien. Aujourd'hui, ce qui se passe, si ce n'est pas la continuité du génocide arménien, c'est au moins la conséquence de l'impunité des crimes de 1915. L'Azerbaïdjan n'a payé aucun prix depuis la guerre d'agression de 2020 qui était quand même bien documentée. Ils avaient utilisé les bombes au phosphore, les bombes à sous-munitions pourtant interdites par la communauté internationale, qui étaient accompagnées de décapitations. Depuis, l’Azerbaïdjan n’en a payé aucun prix. C'est ce sentiment d'impunité qui favorise la récurrence de crimes.

L'Azerbaïdjan, c'est du gaz et du pétrole très utiles pour les Européens. Êtes-vous victimes de la realpolitik ?

Si j'ai choisi ce métier de diplomate, c'est parce que je crois en la capacité de la communauté internationale de rester fidèle à ses valeurs, à ses principes. Si tout peut être expliqué au nom du pragmatisme, alors à quoi servent toutes ces organisations internationales ? L'Ukraine, en l'occurrence, a été agressée par la Russie. On voit très bien cette solidarité internationale s'installer. La communauté internationale n'hésite pas à appliquer des sanctions pour mettre fin à l'impunité. Je ne veux pas affirmer qu'il s'agit de deux poids, deux mesures. Mais tout le monde sait que le gaz azéri est en très grande partie le gaz russe qui transite juste par les tuyaux azéris et qui arrive ici. On boycotte le gaz russe et au contraire, au lieu de sanctionner, on donne un prix à l'Azerbaïdjan en signant et en multipliant les contrats de gaz. 

Il y a une immense hypocrisie ?

Je ne dirai pas le contraire.

S’il n'y a pas de sanctions et une parole très forte, cette guerre peut-elle s'étendre ?

Quand on est face aux autocrates, ce sont les actions fortes qui peuvent changer la donne. Il faut toujours écouter avec beaucoup d'attention les autocrates parce qu'ils disent clairement ce qu'ils font. Il ne faut jamais penser qu'ils disent ça pour un usage interne. Ilham Aliyev, depuis des années, disait que son objectif stratégique, c'est de prendre Erevan, la capitale de l'Arménie. Il avait dit qu'il allait chasser les Arméniens, comme des chiens du Haut-Karabakh. À plusieurs reprises, il a annoncé avec fierté qu'il a tenu sa promesse. Il faut l'écouter quand il dit qu'il va dépecer le territoire de l'Arménie. Il faut l'écouter, il faut être vigilant et il faut surtout opposer une action.  

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