Barrage de Sivens : les élus locaux nagent-ils en plein conflit d'intérêts ?
Au-delà des critiques émises sur le projet de barrage dans le Tarn, les opposants dénoncent depuis longtemps un système de gestion de l'eau où les élus sont juges et parties. Et où la loi est régulièrement contournée.
Après la mort de Rémi Fraisse à la suite des affrontements entre manifestants et forces de l'ordre, le 26 octobre, le barrage de Sivens (Tarn) est devenu un fardeau pour les autorités. Le sort de cet ouvrage contesté doit se décider à Paris, mardi 4 novembre, au ministère de l'Ecologie. Ségolène Royal réunit les élus locaux, notamment les présidents du conseil général du Tarn et du conseil régional de Midi-Pyrénées, le préfet, des responsables de l'Agence de l'eau Adour-Garonne, mais aussi des représentants des agriculteurs et ceux des ONG de protection de l'environnement. Vendredi, le conseil général du Tarn a entériné une suspension des travaux de ce barrage, qui depuis des années fait l'objet de recours juridiques contre son coût financier et environnemental et suscite la colère de nombreux habitants.
Surdimensionné, trop coûteux, nuisible à l'environnement... A l'ensemble de ces critiques s'ajoutent des accusations de conflits d'intérêts proférées par les opposants au projet. Au cœur de ces critiques, la Compagnie d'aménagement des coteaux de Gascogne (CACG). Il s'agit d'une société d'économie mixte qui emploie 200 personnes et "intervient dans la quasi-totalité des chantiers régionaux liés à la répartition de l'eau depuis une cinquantaine d'années", explique Le Monde (article payant). Un rapport d'audit qui visait la gestion d'un autre barrage du Tarn, celui de Fourogue, dénonçait (entre autres) en mars 2014 "l’absence de procédure de mise en concurrence", note Mediapart (article payant) qui évoque le "favoritisme" de la CACG.
Des élus juges et parties
A la tête du conseil d'administration de la Compagnie d'aménagement des coteaux de Gascogne, on retrouve des élus départementaux et régionaux, issus pour la plupart du PS et du Parti radical de gauche, des représentants des chambres d'agriculture, des représentants des banques... Un conseil d'administration à qui l'on reproche d'être à la fois juge et partie. La CACG est présidée par "Monsieur eau" : le divers-gauche Francis Daguzan, vice-président du conseil général du Gers en charge des dossiers de l'eau. Francis Daguzan est également vice-président du comité de bassin Adour-Garonne, une agence de l'eau.
Autre exemple, celui d'André Cabot (PS). Vice-président de la CACG, il est vice-président du conseil général du Tarn, lui aussi en charge des questions d'eau "tout en siégeant comme vice-président de la commission de l'agence Adour-Garonne, qui a eu à examiner la demande de 50 % de subventions pour la retenue de Sivens", précise Le Monde, qui évoque un système dont la "consanguinité [est] prononcée". S'il n'a pas pris part au vote concernant le barrage de Sivens, il aurait pesé de tout son poids en faveur du projet auprès des autres élus, selon les opposants.
Triple casquette
En 2001, la CACG a réalisé les études qui ont conclu à la nécessité du projet de retenue d'eau. En 2008, le département du Tarn lui concède l'équipement de service public. La CACG est maître d'ouvrage du barrage de Sivens, elle devra également gérer la ressource, si la construction du barrage aboutit. En clair, la CACG a une double casquette, voire une triple : elle réalise les études sur les besoins, elle est maître d'œuvre, puis elle exploite l'ouvrage dont elle a recommandé elle-même la taille et le coût final.
"Ils recommandent de faire des barrages et ce sont eux qui bénéficient du marché derrière, c’est ça qui pose problème", déplore Ben Lefetey, porte-parole du Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet. "La CACG s'est auto-désignée, il n'y a eu aucun appel d'offres (...). La délégation d'utilité publique qui lui revient est un summum d'incompétences, d'imprécisions et de contournements de la loi", explique Alice Terrasse, avocate du Collectif antibarrage, interrogée par Le Monde. Des opposants qui redoutent la reproduction du cas du barrage de Fourogue : bel et bien construit depuis quinze ans, l'infrastructure n'a plus d'existence légale (son utilité publique a été invalidée par la justice) et compte de nombreuses défaillances techniques.
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