On vous explique l'origine des tensions diplomatiques entre la France et l'Azerbaïdjan, en pleine COP29
Nouvel épisode dans les tensions entre Paris et Bakou. La ministre de la Transition écologique française, Agnès Pannier-Runacher, a annoncé, mercredi 13 novembre, qu'elle ne se rendrait pas à la COP29, après les attaques "inacceptables" du président azerbaïdjanais Ilham Aliev "contre la France et l'Europe". Le dirigeant a profité de la COP29, organisée dans son pays, pour lancer une diatribe contre Paris. "Le régime du président [Emmanuel] Macron a tué 13 personnes et blessé 169 personnes (...) pendant les légitimes protestations du peuple kanak en Nouvelle-Calédonie", a-t-il notamment déclaré, très applaudi au terme de son discours par une partie des représentants des îles.
Lors de la séance de questions au gouvernement, Agnès Pannier-Runacher a reproché à l'Azerbaïdjan d'instrumentaliser "la lutte contre le dérèglement climatique pour un agenda personnel indigne". Elle a ajouté que "les propos tenus par l'Azerbaïdjan en faveur des énergies fossiles [étaie]nt également inacceptables". llham Aliev avait jugé, mardi, que le pétrole et le gaz étaient un "don de dieu". Emmanuel Macron ne s'était pas déplacé ce jour-là, alors que plusieurs dizaines de dirigeants étaient venus prononcer des discours à Bakou pour cette COP. Les relations avec son homologue sont pour le moins compliquées, voire glaciales.
Paris dénonce la dérive autoritaire du pouvoir à Bakou
Le gouvernement azerbaïdjanais est régulièrement accusé de dérive autoritaire. Epinglé par le Conseil de l'Europe pour des atteintes aux libertés fondamentales, Ilham Aliev a récemment menacé de quitter l'organisation de défense des droits humains. Cette répression, qui existe "depuis plusieurs années", "s'intensifie depuis environ un an", écrivait l'ONG Human Rights Watch dans son dernier rapport, paru avant le début de la COP29. Elle dénonce la volonté, de la part des autorités, d'éradiquer "la société civile" en "méprisant les libertés publiques". Une trentaine de personnalités politiques françaises de tous bords avaient dénoncé, dans une tribune, l'organisation du sommet pour le climat dans ce pays, dénonçant "un régime autocratique, pollueur et corrupteur", aux "visées expansionnistes et déstabilisatrices".
La France soutient l'Arménie dans la guerre au Haut-Karabakh
L'Azerbaïdjan reproche à la France d'être un allié majeur de l'Arménie, qui a soutenu pendant trois décennies des séparatistes dans la région du Haut-Karabakh, que se disputent depuis trente ans les deux anciennes républiques soviétiques. Bakou avait remporté la guerre en 2020, avant d'obtenir la dissolution de la république autoproclamée en septembre 2023, après avoir provoqué l'exode de plus de 120 000 Arméniens. Paris, qui coopérait déjà militairement avec Erevan, avait signé à l'automne un nouvel accord de soutien prévoyant des livraisons d'armements. Inacceptable pour l'Azerbaïdjan.
Fin 2023, les tensions entre Paris et Bakou avaient culminé avec des expulsions croisées d'officiers du renseignement, selon les informations du site spécialisé Intelligence Online. "La France devrait cesser ses actes hostiles, comme la livraison d'armes à l'Arménie, alors que la paix reste fragile", commentait auprès du Monde Elchin Amirbayov, ancien ambassadeur d'Azerbaïdjan en France.
Bakou est accusé d'ingérence contre Paris en outre-mer
Depuis plusieurs mois et la création, en juillet 2023, d'un Groupe d'initiative de Bakou (GIB), l'Azerbaïdjan cible les territoires ultramarins français. Cette structure déroule un discours réduisant la Nouvelle-Calédonie, la Guadeloupe, la Martinique et la Corse aux colonies passées. En mai, avant le début des violences sur l'archipel, la présidente du Parlement azerbaïdjanais avait reçu à Bakou une élue du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, avec l'accord du président, pour signer un mémorandum de coopération. Ses collègues avaient appris la nouvelle dans la presse.
Quand les émeutes ont éclaté dans l'archipel français, le ministre de l'Intérieur d'alors, Gérald Darmanin, a accusé Bakou d'ingérence, dénonçant un "deal" entre une partie des indépendantistes et le pays du Caucase. La diplomatie avait vivement protesté, démentant l'existence de tout lien avec "les leaders de la lutte pour la liberté calédonienne". Il reste difficile de mesurer l'éventuel appui de Bakou à des militants indépendantistes.
Le drapeau de l'Azerbaïdjan a parfois flotté dans les cortèges, et certains participants étaient vêtus de tee-shirts floqués du logo du GIB. "Nous n'avons rien préparé, répondait à franceinfo son directeur exécutif, Abbas Abbasov – un ancien cadre du fonds pétrolier de l'Etat d'Azerbaïdjan. Nos collègues qui travaillent avec des ONG se sont entendus dire : 'Nous avons hissé votre drapeau dans nos manifestations à notre seule initiative'".
Bakou applique une stratégie de "représailles", expliquait à franceinfo l'analyste en relations internationales Bastien Vandendyck, spécialiste du Pacifique Sud. "Le but est de gêner la France dans sa souveraineté. L'Azerbaïdjan ne s'intéresse pas vraiment à la cause indépendantiste. Il soutient le FLNKS [Front de libération nationale kanak et socialiste] pour renforcer les dissensions sociopolitiques en Nouvelle-Calédonie." Ces pratiques se sont poursuivies durant l'été. En juillet, le GIB a soutenu l'organisation d'un congrès de représentants indépendantistes issus de Corse, de Nouvelle-Calédonie, de Guadeloupe ou de Martinique. La rencontre a validé la création d'un "Front international de libération des colonies françaises".
L'Azerbaïdjan est suspecté de mener des campagnes de désinformation ciblant la France
Sur le terrain numérique, Bakou semble également à l'origine d'une campagne de désinformation visant la France, avec la "diffusion massive et coordonnée" de montages "accusant la police de tuer des manifestants indépendantistes en Nouvelle-Calédonie". Viginum, l'organisme de lutte contre les ingérences numériques étrangères, était remonté, notamment, jusqu'à un certain Islam Bafadarov, consultant du parti présidentiel. En novembre 2023, ce service avait déjà accusé des acteurs liés à l'Azerbaïdjan d'être à l'origine de 1 600 publications en 24 heures – via 91 comptes – afin de contester la capacité de la France à organiser les Jeux olympiques.
Des ressortissants français sont inquiétés par les autorités en Azerbaïdjan
Dans un autre registre, les autorités azerbaïdjanaises ont également arrêté trois ressortissants français en moins d'un an : l'homme d'affaires Martin Ryan, tout d'abord, accusé d'espionnage au profit de Paris. Plus récemment, la justice du pays a condamné à trois ans de prison le Français Théo Clerc, arrêté pour un graffiti dans le métro. "Pour moi, c'est clairement un otage diplomatique. Il est enfermé là-bas parce qu'il est français", avait réagi l'un de ses amis. Paris rappelle au passage que les deux coaccusés dans cette affaire, d'une autre nationalité, avaient écopé d'une simple amende. L'homme d'affaires Anass Derraz, directeur chargé du Moyen-Orient pour Saur, entreprise du secteur de l'eau, est également placé en résidence surveillée depuis plusieurs mois.
La répétition de ces affaires a conduit le quai d'Orsay, début septembre, à déconseiller à ses ressortissants de se rendre dans le pays, "sauf raison impérative", en raison d'un "risque d'arrestation, de détention arbitraire et de jugement inéquitable". Rien ne laisse entrevoir à ce stade une amélioration des relations entre Paris et Bakou. Et l'organisation de la COP29 n'a pas permis de réchauffer le climat diplomatique.
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