: Enquête franceinfo A La Chaîne météo, un prévisionniste climatosceptique et une direction accusée de "laisser faire"
C'est un article en apparence banal. Le 3 janvier, sur le site de La Chaîne météo, premier média privé d'information météorologique, Régis Crépet revient sur les températures anormalement élevées que connaît la France en ce début d'année 2023. "Pourquoi est-ce qu'il ne fait pas froid ?" se demande le météorologue, employé du groupe depuis 22 ans. Cette interrogation, partagée par de nombreux médias, dont franceinfo, est ici traitée très différemment. Malgré une année 2022 marquée par les manifestations du réchauffement climatique en France et alors que les climatologues interrogés ailleurs font le lien avec le climat, le sujet n'est pas du tout abordé. Les vagues de chaleur comme celle-ci sont pourtant rendues plus fréquentes et plus intenses par ce changement climatique.
Cet oubli du film climatique dans lequel s'insère l'image de cette vague de douceur ne doit rien au hasard. "Quand un article est signé Régis Crépet, vous savez qu'il n'apportera pas cette information, alors qu'il aurait dû le faire d'un point de vue journalistique", cingle l'un de ses anciens collègues. Côté face, Régis Crépet est l'un des visages de La Chaîne météo, régulièrement interviewé dans Le Figaro (propriétaire de la chaîne) et de nombreux médias ( Les Dernières Nouvelles d'Alsace , L'Est républicain , Le Républicain lorrain , Le Parisien , Le Point , Le Télégramme , RTL, L'Express et même... franceinfo).
Côté pile, les professionnels de la météo et du climat le considèrent comme l'un des derniers climatosceptiques du secteur depuis le licenciement par France Télévisions de Philippe Verdier en 2015 . Un présentateur à rebours de ses collègues, de plus en plus préoccupés par ce problème. Régis Crépet annonçait ainsi, en 2014, un "refroidissement climatique" sur la base d'une courbe farfelue, et se demandait en 2016 si le réchauffement était terminé. Resté en ligne pendant neuf ans, le premier contenu a été supprimé quelques heures après notre entretien avec la direction de La Chaîne météo.
"Il fait l'impasse sur ce qui ne conforte pas son opinion"
"C'est un charlatan", résume l'agroclimatologue Serge Zaka, qui s'est souvent disputé sur Twitter avec l'intéressé. "Il ne peut pas se dire climatologue, il n'a publié aucune étude scientifique", poursuit-il, en référence à la biographie de Régis Crépet sur le réseau social. Et le spécialiste de souligner la pratique du "cherry-picking" (picorage) du présentateur : "Il va chercher le moindre petit truc qui va conforter son opinion et il fait l'impasse sur tout le reste."
"Le changement climatique, ce n'est pas 'je pense que'. C'est 'on a démontré que'. Je ne vois pas pourquoi on écouterait Régis Crépet qui nous dit : 'Je pense que'."
Serge Zaka, agroclimatologueà franceinfo
Son compte Twitter, fermé quelques heures après notre entretien avec la direction de La Chaîne météo, illustre ce picorage. En 2022, année la plus chaude jamais enregistrée en France, le météorologue a surtout parlé de froid et de neige, très peu de canicule ou de sécheresse, comme l'avait déjà relevé un internaute.
Dans des e-mails envoyés après notre entretien avec sa direction, Régis Crépet reconnaît qu'il n'est pas climatologue. Il assure également être d'accord avec le consensus scientifique sur l'origine humaine du réchauffement climatique, "même s'il m'est parfois arrivé de tenir des propos qui ont pu laisser croire ou penser l'inverse". "Le domaine du climat est très vaste, ce qui peut susciter des questionnements et des approfondissements, ce qui n'est pas synonyme de remise en cause", nous écrit-il, en démentant avoir défendu la thèse d'un refroidissement climatique. Entre les lignes, Régis Crépet raconte avoir changé, "depuis que les chiffres du réchauffement climatique sont consolidés par la modélisation, notamment ces dernières années où l'évolution climatique est rapide (en particulier en Europe)".
Une volte-face qui fait beaucoup rire une source proche de l'entreprise. "C'est une réponse diplomatique, ce n'est pas trop ce qu'il fait ressortir. Il a dû se dire : 'Je vais lui répondre ce qu'il a envie d'entendre'", commente cette personne, qui décrit, comme d'autres témoins, un homme porté par "l'esprit de contradiction". De fait, de récents postes sur les réseaux sociaux – dont certains ont été supprimés après notre échange avec Régis Crépet – font douter de la sincérité de ce revirement.
Sur Facebook, où il anime le groupe public "Le météo groupe", il annonçait par exemple le 12 janvier 2023 en lettre majuscule que "l'Europe se refroidira au cours des 15 à 20 prochaines années" sur la base d'une "nouvelle étude" de Fritz Vahrenholt, un climatosceptique notoire (en anglais). A propos de la responsabilité de l'homme dans le réchauffement climatique, un fait solidement établi par la communauté scientifique, il jugeait début décembre 2022 que ce n'était pas "clairement démontré" et assurait en octobre de la même année que ce "réchauffement serait principalement dû à l'activité solaire".
"Des opinions qui ne reflètent en rien les positions de la chaîne"
Dans l'un de ses e-mails, Régis Crépet assure également ne relayer, "à titre professionnel", que "ce qui est validé par les pairs [un critère fondamental pour juger du sérieux d'une étude scientifique] afin de ne pas véhiculer des informations qui seraient en partie fausses". Dans le groupe Facebook "Le climat, c'est cyclique", il élaborait pourtant en juillet 2021 la théorie suivante : "Nous savons, sans se mentir, que les publications validées par les pairs sont inféodées par le Giec [le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat], car sinon, les auteurs n'auraient aucune chance d'être publiés, alors que c'est leur souhait le plus cher ! Donc, oui, les comités de lecture = Giec = pensée unique."
De temps en temps, le météorologue est encore plus direct, qualifiant sur les réseaux sociaux ses contradicteurs (Météo France, l'institut européen Copernicus, certains climatologues...) de "réchauffiste", "escrolo" ou encore "khmer vert". Parfois, ce discours se faufile jusque sur le compte Twitter de son employeur, géré à tour de rôle par les prévisionnistes, comme dans une série de messages de juillet 2021 – supprimés depuis – où le lien entre le réchauffement climatique d'origine humaine et la fonte des glaciers est contesté.
Auprès de franceinfo, Florent Schindler, directeur de l'information de La Chaîne météo, assure que le média "ne remet absolument pas en question le réchauffement climatique et ses effets". " C'est une réalité dont nous sommes tous les jours les témoins et dont nous nous faisons le relais depuis des années", poursuit-il, en citant quelques articles comme celui-ci ou celui-là. Florent Schindler reconnaît que, occasionnellement, "des sujets et opinions personnelles qui ne reflètent en rien les positions de La Chaîne météo" ont été postés sur les supports officiels de la chaîne. "Lorsque cela s'est produit, et que nous en avons eu connaissance, des sanctions ont été prises", assure Florent Schindler.
"Ce n'est pas notre fonds de commerce"
Une ligne de défense qui peine à convaincre les professionnels du secteur et les anciens salariés que nous avons interrogés. Un prévisionniste, qui n'est jamais passé par la chaîne, estime que "la ligne éditoriale de La Chaîne météo reste largement influencée par Régis Crépet". Il pointe l'absence de contenus consacrés aux derniers rapports du Giec, parus entre l'été 2021 et le printemps 2022, et relève que la responsabilité humaine de ce réchauffement est rarement évoquée dans les articles de La Chaîne météo. De fait, pour justifier leur bonne couverture du sujet, la direction nous a envoyé une liste de seulement neuf contenus, publiés entre 2009 et 2022. Soit même pas un par an.
"Quand j'étais à La Chaîne météo, je devais faire trois ou quatre articles par jour, purement météo, parce que c'était le plus rapide à faire."
Un ancien prévisionniste de La Chaîne météoà franceinfo
Des témoins estiment que la direction aurait fermé les yeux par intérêt. "La société n'est pas climatosceptique", reconnaît un ancien présentateur, mais "La Chaîne météo a toujours cherché à faire le buzz". Il se souvient d'un dirigeant qui estimait qu'il fallait que l'on parle du média, peu importe si c'était en bien ou en mal. "C'est difficile pour La Chaîne météo d'exister, le câble et le satellite sont de moins en moins regardés, analyse notre source. Aujourd'hui, ce sont les applis, les sites et ce n'est plus la prévision qui amène du trafic, ce sont les infos qui font du bruit, qui soulève des débats." Et de conclure qu' "il y a un créneau à prendre" sur le climato-scepticisme. "Le buzz ne fait partie ni de la culture de l'entreprise, ni de notre ligne éditoriale, ce n'est pas notre fonds de commerce", se défend Florent Schindler, le patron de la chaine, évoquant de "l'aigreur et de la jalousie".
"Ils ont laissé faire et profitent de la notoriété qu'ils peuvent en tirer, sans chercher à voir plus loin", appuie un autre ancien. Ce prévisionniste pointe également un manque de contrôle : "Les gens qui supervisent viennent de la télévision, pas de la science, ce que les prévisionnistes peuvent publier sur le site ou diffuser dans leurs bulletins n'est pas supervisé." Selon plusieurs témoignages, Régis Crépet aurait tout de même été convoqué à plusieurs reprises et reçus des avertissements pour ses propos sur les réseaux sociaux.
"Un employé lambda serait déjà dehors avec tout ce qu'il a fait, mais ils ont besoin de lui, parce que c'est une vitrine."
Un ancien prévisionniste de La Chaîne météoà franceinfo
L'influence de Régis Crépet va au-delà des 6 millions de visiteurs par mois sur leur site revendiqués par Florent Schindler. Elle déteint aussi logiquement sur certains des journaux qui lui ouvrent leurs colonnes, même s'il y adopte un ton plus policé, parfois en ligne avec le consensus scientifique. Mais Régis Crépet y minimise souvent les éventuels liens avec le réchauffement climatique. Par exemple, en mai 2022, la France était frappée par une vague de chaleur précoce et intense. Sur franceinfo, un météorologue de Météo France avait rappelé le contexte de réchauffement climatique et souligné que "les mois de mai [étaient] en moyenne plus chauds qu'il y a cinquante ans". L'article des quotidiens régionaux ( ici, là et là) dans lesquels Régis Crépet était interrogé commençait à l'inverse par le constat suivant : "Rien d'étonnant pour un mois de mai." L'intéressé assure que la question ne lui a pas été posée.
En réponse à l'article ci-dessus, la direction de la Chaîne Météo a tenu à apporter les précisions suivantes :
· La Chaîne Météo est un site spécialisé dans les prévisions météorologiques. Créée en 1995, elle doit uniquement sa "notoriété" au travail de ses équipes et à la qualité de ses productions diffusées sur l'ensemble de ses canaux. Son audience n'est pas le résultat d'une recherche de "buzz" par ses contenus éditoriaux, étant précisé que les articles et l'actualité représentent moins de 10% de nos audiences, et que 75% de nos internautes accèdent à notre site par une page de prévisions météorologiques.
· La ligne éditoriale de la chaine météo n'est en rien "climatosceptique" et n'est pas "largement influencée par Régis Crépet", qui n'est pas journaliste. Par ailleurs, nous contestons que l'appréciation de notre ligne éditoriale soit basée sur les seules prétendues opinions personnelles d'un de nos prévisionnistes. Cette dernière se compose des productions de l'ensemble de la rédaction, placée sous la responsabilité du directeur de l'information.
Droit de réponse de Régis Crépet
J'entends répliquer par le présent droit de réponse à l'article de France Info du 10 février 2023 me mettant en cause, me qualifiant notamment de "prévisionniste climatosceptique".
Tout d'abord, cette qualification est basée sur une vidéo ancienne de sept ans, par laquelle, loin de remettre en cause le réchauffement climatique, je m'appliquais à mettre en perspective différents scénarios futurs, comparant les cycles naturels des évolutions climatiques que le monde a connu avec des projections du GIEC- organisme dont je ne me ferais pourtant, aux termes de cet article, jamais le relais.
Plus globalement, la diversité des contenus que j'ai produit au cours d'une carrière de 22 ans ne sont en aucun cas susceptibles de me qualifier de climatosceptique. Se focaliser sur mes réactions et ma volonté de débattre du climat sur ma page Twitter – laquelle n'engage en aucun cas mon employeur – ne saurait suffire à qualifier ma prétendue influence sur la ligne éditoriale de la rédaction. Ainsi, les échanges et les qualificatifs de chacun- "charlatan" me concernant comme le rapporte France Info – sont à replacer dans une logique de débat porté par des acteurs d'un secteur de niche et concurrentiel, dont certains participent aujourd'hui anonymement à l'élaboration peu flatteuse de mon portrait.
Quant à mon obligation d'apporter une information "d'un point de vue journalistique", je tiens à rappeler que je n'exerce pas la profession de journaliste, mais de prévisionniste. C'est pour cette raison que l'immense majorité de mes productions, à l'instar de la question "Pourquoi est-ce qu'il ne fait pas froid ?" est abordée sous un angle météorologique, et non climatique.
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