Réchauffement climatique : "Il n'y a pas beaucoup de candidats à la présidentielle irréprochables dans leur compréhension du problème", constate Jean-Marc Jancovici
En collaboration avec Les Shifters, une association de bénévoles liée au groupe de réflexion The Shift Project, franceinfo publie une analyse des programmes des candidats au regard des objectifs climatiques de la France. Trois Shifters et le consultant et ingénieur Jean-Marc Jancovici font le bilan de ce travail.
Cet article fait partie d'une opération spéciale, en collaboration avec Les Shifters, une association de bénévoles qui accompagne le groupe de réflexion The Shift Project, spécialiste de la transition énergétique.
Les programmes des candidats à la présidentielle 2022 sont-ils compatibles avec l'accord de Paris ? Alors que le réchauffement climatique s'intensifie, c'est la question à laquelle franceinfo a voulu répondre, en collaboration avec Les Shifters, une association de bénévoles liée au groupe de réflexion The Shift Project, fondé par le membre du Haut Conseil pour le climat Jean-Marc Jancovici. Chacun des douze programmes a été analysé en détails. Comment ont-ils travaillé ? Quels sont les principaux enseignements de cette analyse ? Trois Shifters et Jean-Marc Jancovici détaillent leur démarche et dressent un premier bilan sur franceinfo.
Franceinfo : Comment avez-vous mené cette analyse des programmes ?
Marie Dumoulin, membre des Shifters : On a d'abord choisi un référentiel pour évaluer ces programmes : la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), qui est la traduction en France de l'accord de Paris et notre feuille de route, secteur par secteur. C'est un peu le b.a.-ba pour respecter nos engagements climatiques. Le futur président ou la future présidente devra engager ses réformes en lien avec cette stratégie.
Nous avons ensuite décidé de nous appuyer sur les propositions écrites, présentées par les candidats sur leur site ou dans leur programme, parce que ce sont celles qui les engagent le plus. Nous avons considéré toutes les propositions qui avaient un impact favorable ou défavorable sur le climat, peu importe qu'elles soient estampillées écologiques ou pas.
On a croisé avec la SNBC. L'idée était de regarder si cela allait dans le sens de cette stratégie ou si c'était antagoniste. Ensuite, on a cherché à qualifier les mesures, pour voir sur quels leviers les candidats s'appuyaient. On a par exemple regardé s'ils misaient sur la technologie ou la sobriété, sur l'incitation ou l'obligation. Une soixantaine de bénévoles a travaillé sur ce projet, pendant deux mois.
Qu'avez-vous retenu de ce travail ?
Laurent Mercey, membre des Shifters : Beaucoup de programmes parlent de décarbonation à l'horizon 2050, mais aucun ne couvre toutes les orientations de la SNBC. Avec le manque de précision sur les mesures et la façon dont ils comptent les mettre en œuvre, on peut encore largement se questionner sur la capacité des candidats à réaliser leur ambition. Est-ce qu'ils se sont donné les moyens de la mettre en œuvre ? Cela ne transparaît pas. A contrario, on identifie un certain nombre de mesures antagonistes les unes avec les autres. Cela montre que le sujet n'est pas pris d'une façon globale.
Jean-Marc Jancovici, président du Shift Project : Ce qui ressort de l'ensemble des programmes, c'est qu'il n'y a pas beaucoup de gens qui sont irréprochables dans leur compréhension du problème à traiter. Là où il y a des différences entre les uns et les autres, c'est sur la compréhension des enjeux liés au changement climatique. Par contre, sur la place de l'énergie dans notre économie et les enjeux de sobriété, ils sont tous au même niveau : ils n'ont pas bien compris. Après, je ne suis pas capable de faire la différence aujourd'hui entre ceux qui n'ont pas compris l'enjeu et ceux qui ont très bien compris, mais ne veulent pas le dire. C'est sans doute un mélange des deux.
On ne sent pas non plus chez les candidats la capacité à proposer un programme qui résiste à un ou deux gros coups du sort par mandat, comme une guerre en Europe ou un confinement. Ils continuent d'être dans un logiciel où la crise est la faute à pas de chance, alors que le changement climatique et l'approvisionnement énergétique en provoqueront. On voit bien aujourd'hui avec la Russie qu'il y a un sujet sur l'approvisionnement en énergies fossiles quand bien même elles ne provoqueraient pas de réchauffement climatique. Cet angle mort sur l'approvisionnement est encore plus fort chez les candidats que celui sur le climat.
En regardant votre analyse, on constate que les candidats misent davantage sur l'innovation technologique et l'incitation que sur la sobriété et l'obligation. Comment l'expliquez-vous ?
Jean-Marc Jancovici : D'une manière générale, les candidats ont beaucoup de mal à promettre "du sang et des larmes". C'est facile quand vous êtes au pouvoir, mais plus difficile quand vous êtes candidat. L'idée qu'il va falloir faire avec moins de moyens est très compliquée à mettre en avant dans le cadre d'une élection qui est quand même une surenchère de promesses. C'est difficile de dire "Je vous promets moins". Cela demande beaucoup de doigté et une connaissance très fine du problème à traiter.
Sur l'incitation et l'obligation, cela revient à se demander si on a le temps pour faire cette transition ou si on n'a pas le temps et qu'il faut planifier, donc contraindre un peu les gens. Planifier, c'est restreindre notre degré de liberté à court terme contre une augmentation de notre liberté et de notre sécurité à moyen-long terme. Nous avons tous fait une planification en faisant des études. Quand vous êtes enfant, on vous contraint pour aller à l'école : vous ne pouvez pas jouer au foot ou vous rouler dans la boue toute la journée. Vous allez à l'école en échange d'une liberté de choix plus grande pour votre vie d'adulte. C'est exactement la même chose pour notre société. Il faut qu'on accepte de se contraindre à court terme pour se donner plus de choix et de confort à plus long terme.
Quels sont les secteurs les moins traités par les candidats dans leurs programmes ?
Pierre-Louis Vernhes, membre des Shifters : Les candidats n'ont pas pris la mesure de l'enjeu important sur le secteur forêt-bois, sur la captation de carbone ou les matériaux du futur. L'autre élément qui ne transparaît pas dans beaucoup de programmes, c'est le fait de se dire qu'il faut un plan organisé pour résoudre cette question-là. La transformation doit se faire vite et demande une organisation. Un autre manque que l'on peut mentionner, c'est la formation. Ces changements vont nécessiter un nombre de reconversions professionnelles important, et on ne voit pas dans les programmes les moyens d'accompagner les secteurs qui vont devoir se reconvertir. Enfin, côté agriculture, peu de candidats ont conscience que la viande est la composante principale des émissions de gaz à effet de serre du secteur.
A l'inverse, quels secteurs sont les plus abordés ?
Pierre-Louis Vernhes, membre des Shifters : Pour le bâtiment, la rénovation thermique est présente dans la plupart des programmes. Pour les transports, la promotion de la voiture électrique est assez largement partagée. Plusieurs candidats proposent également d'investir dans le ferroviaire. Sur l'agriculture, il y a une prise de conscience sur le fait que la moitié de nos fruits et légumes sont importés et qu'il y a la possibilité de rapatrier cette production en France. La relocalisation industrielle est aussi présente pour beaucoup. Après, est-ce que cela couvre totalement ces sujets ? Non, c'est là où sont les limites.
Marie Dumoulin, membre des Shifters : Les secteurs traités sont ceux qui font un peu consensus, où il y a déjà une prise de conscience et qui sont les moins préjudiciables en termes de changement d'habitude. La mobilité, c'est hyper important autant en termes d'émissions qu'au quotidien. On a bien vu qu'on ne pouvait pas augmenter comme ça les prix du carburant. Il faut donc l'accompagner, mais les candidats sont très frileux sur ces questions-là.
En regardant ces programmes, êtes-vous optimiste sur le fait que la France atteindra ses objectifs climatiques ?
Laurent Mercey, membre des Shifters : Si on était complètement pessimistes, nous ne nous serions pas lancés dans ce travail. Mais ce n'est pas en regardant les programmes que nous sommes optimistes, c'est plutôt en regardant ce qui se passe autour. Le changement ne viendra pas tant du président ou de la présidente en place que de la pression qui va s'exercer sur elle ou lui, la pression de l'opinion publique ou des crises. Il faut garder espoir.
Retrouvez ci-dessous les analyses climatiques des programmes des candidats :
>> Les programmes de Nathalie Arthaud, Nicolas Dupont-Aignan, Anne Hidalgo, Yannick Jadot, Jean Lassalle, Marine Le Pen, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, Valérie Pécresse, Philippe Poutou, Fabien Roussel et Eric Zemmour sont-ils dans les clous des objectifs climatiques de la France ?
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