Espionnage américain : pourquoi la France est isolée en Europe
Paris veut inclure les révélations d'espionnage de la NSA aux discussions du sommet européen qui s'ouvre jeudi. Mais les autres pays de l'UE ne semblent pas sur la même longueur d'onde.
C'est un sommet européen qui tombe à point nommé. Jeudi 24 et vendredi 25 octobre, les chefs d'Etat et de gouvernement des 28 membres de l'UE se réunissent à Bruxelles pour aborder la question du numérique.
Cette réunion intervient trois jours après les dernières révélations du Monde sur l'ampleur de l'espionnage mondial d'internet pratiqué par la NSA, l'agence nationale de sécurité américaine. Des révélations qui ont poussé Paris à hausser le ton envers Washington. Mais la France, qui compte soulever le problème lors du sommet européen, semble bien seule pour mener cette croisade contre les grandes oreilles de l'Oncle Sam. Francetv info liste les raisons de cet isolement.
Parce que le soutien de l'Allemagne est trop timide
La France a reçu un appui de poids au lendemain des révélations du Monde. Guido Westerwelle, chef de la diplomatie allemande, a ainsi défendu la colère française vis-à-vis de Washington : "Toute cette affaire doit être tirée au clair car elle ne concerne pas que la France, mais aussi d'autres pays, à commencer par la République fédérale [d'Allemagne]. Il faudrait faire bien davantage pour que cela cesse." Très discrète jusque-là sur cette polémique, Angela Merkel s'est, elle, insurgée contre la possible surveillance de son téléphone portable. Des pratiques qui, si elles sont avérées, "devraient cesser immédiatement", selon la chancellerie.
Ce soutien de l'autre poids lourd européen paraît d'autant plus logique que, d'après Le Monde, l'Allemagne a subi plus d'interceptions de communications que la France. Mais, malheureusement pour Paris, les autorités allemandes ne sont pas vraiment prêtes à demander des comptes à Washington. Et pour cause : l'ancien employé des services secrets américains Edward Snowden a révélé que le renseignement allemand était au courant des pratiques de la NSA outre-Rhin, comme l'explique Time (en anglais). L'espionnage de la population est un sujet sur lequel Berlin reste prudent, tant il rappelle de mauvais souvenirs, estime le magazine.
Le seul véritable espoir de contestation vient des industriels allemands. Comme l'explique Myeurope.info, Deutsche Telekom, leader des télécommunications en Europe, travaille à la création d'un "internet européen" réservé aux pays membres de l'espace Schengen. Mais, s'il semble prometteur, ce concept coûterait très cher et, surtout, il ne pourrait pas bannir les sociétés de "big data", comme Google, Yahoo! ou Facebook, suspectées d'être impliquées dans l'espionnage des données.
Parce que les autres membres de l'UE gardent le silence
De Berlin à Paris, en passant par Moscou et Pékin, toutes les capitales ont scruté avec attention les révélations d'Edward Snowden. Pourtant, contrairement au Mexique ou au Brésil, aucune nation européenne n'a dénoncé fermement les pratiques de la NSA, mis à part la France.
En Espagne, par exemple, seul le député chargé de l'Amérique du Nord attend depuis le mois d'août des "clarifications" demandées aux autorités américaines, d'après El Pais (en espagnol). Même chose en Italie, où le Premier ministre, Enrico Letta, se contente de la réponse évasive du secrétaire d'Etat américain, John Kerry, lors de sa visite à Rome : "Les accusations sont à l'étude", comme le cite le Corriere della sera (en italien). Les services de renseignement italiens, eux, nient en bloc ou justifient sans ciller les accusations de collusion avec la NSA.
En Belgique, seule émerge pour l'heure l'idée de mieux lutter contre la cybercriminalité, d'après La Libre Belgique. Remettre en cause la NSA, partenaire privilégié des services de renseignement belges, n'est pas au programme. Enfin, aux Pays-Bas, le gouvernement a balayé les soupçons d'espionnage en affirmant que le principal réseau télécom, KPN, n'avait pas été espionné, comme l'explique ZDnet.com (en anglais).
Mais le principal obstacle à une mise en cause de Washington par l'Europe se situe à Londres. Non seulement parce que le service de renseignement électronique britannique, le GCHQ, serait aussi impliqué que la NSA. Mais aussi parce que le pouvoir politique défend le recours à l'espionnage, au nom de la lutte contre le terrorisme, souligne le Telegraph (en anglais). Un argument qui convainc la population d'accepter la surveillance de ses communications, comme l'explique Time (en anglais). Le Guardian, journal à l'origine des révélations d'Edward Snowden, est même accusé de mettre la sécurité nationale en danger. On est loin du gouvernement français "profondément choqué".
Parce que le pouvoir de l'UE est limité
"J'espère que de nombreux dirigeants européens vont faire suivre leurs déclarations par des actes lors de leur sommet, jeudi et vendredi." C'est avec cet espoir que Viviane Reding, la vice-présidente de la Commission européenne, a commenté, lundi 21 octobre, l'adoption d'un texte par la commission des libertés civiles du Parlement européen. Il s'agit d'une réforme de la réglementation européenne en matière de protection des données des citoyens, soutenue par Paris. Et, comme le détaille L'Expansion, elle vise à obliger les entreprises qui collectent des données auprès des internautes européens à demander leur accord avant de les communiquer à des serveurs extérieurs à l'Europe.
Ce projet de réforme est considéré comme une première réponse face à l'espionnage pratiqué par des entreprises ou des Etats. Mais des observateurs estiment déjà que le texte pourrait être inefficace, voire qu'il pourrait aggraver la situation. "Il est truffé de trous juridiques béants, dans lesquels les entreprises vont pouvoir s'engouffrer pour contourner leurs obligations", explique à francetv info Jérémie Zimmermann, porte-parole de la Quadrature du Net. Mais ce qui inquiète le plus ce collectif, c'est la négociation tripartite à huis clos entre le Parlement, la Commission et le Conseil européen. Ils décideront du texte que voteront ensuite les eurodéputés. "Dans ce cas, on sait que le Conseil a toujours le dernier mot, affirme Jérémie Zimmermann. Et vu l'hostilité à la protection des données, de la part de gouvernements comme ceux du Royaume-Uni ou de l'Irlande, on s'attend au pire : un texte vidé de son sens."
Au sommet européen, la France sera également seule sur un autre dossier : celui d'un impôt visant les géants du net adeptes de la défiscalisation, dit "taxe Google" européenne, comme l'explique Euractiv.fr. Cet isolement a poussé François Hollande à proposer mercredi une coopération bilatérale entre la NSA et les services français. Une façon détournée de reconnaître que Paris ne peut pas s'opposer seul à Washington. Et que la diplomatie européenne est encore loin d'être une réalité.
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