Crise politique en Allemagne : comment l'indéboulonnable Angela Merkel a échoué à former une coalition
Depuis 1949, jamais le pays ne s'était retrouvé sans majorité pour gouverner après une élection. Or, les conservateurs de la chancelière, les libéraux et les écologistes n'ont pas réussi à s'entendre pour former une coalition.
C'est une première depuis la création de la République fédérale allemande en 1949. Après des semaines de négociations dans la foulée des législatives du 24 septembre, les conservateurs d'Angela Merkel (CDU-CSU), les libéraux (FDP) et les écologistes n'ont pas réussi à s'entendre pour former un gouvernement de coalition. Dans la nuit du dimanche 19 au lundi 20 novembre, le FDP a jeté l'éponge, jugeant les "positions communes et de confiance mutuelle" insuffisantes. Le pays n'a donc pas de majorité pour être gouverné.
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Un échec cuisant pour la chancelière, qui a acté l'échec des négociations, le visage fermé, lundi. Faute d'alternative, la première puissance économique européenne se prépare à des semaines ou mois de paralysie, sur le plan national comme en Europe. Comment Angela Merkel, qui dirige le pays depuis douze ans, en est-elle arrivée là ? Retour sur la plus grave crise politique à laquelle la "mutti" ("mère) de l'Allemagne est confrontée.
1Angela Merkel n'obtient pas la majorité aux législatives
Tout commence au soir des élections législatives du 24 septembre dernier : la CDU/CSU remporte une victoire au parfum de défaite. Avec 33% des voix, les conservateurs obtiennent un score historiquement bas. Faute de majorité, la chancelière inamovible doit donc chercher un ou plusieurs nouveaux partenaires pour former le prochain gouvernement, qui devra se faire sans les sociaux-démocrates (SPD).
Emmené par l'ex-président du Parlement européen, Martin Schulz, le SPD n'a récolté que 20,5% des voix. Jamais dans son histoire d'après-guerre, le parti n'était descendu aussi bas. Après cette défaite historique, le parti annonce ne plus vouloir former de coalition avec les conservateurs dans le futur gouvernement d'Angela Merkel. Le résultat du vote "est un rejet de la grande coalition", déclare le chef du groupe parlementaire du plus vieux parti d'Allemagne, Thomas Oppermann.
La CDU doit donc se tourner vers les libéraux du FDP, qui ont enregistré un peu plus de 10%. Insuffisant pour constituer une majorité. Seule solution : élargir la coalition aux écologistes, une première au niveau national. Mais réussir à convaincre les libéraux et les Verts – deux partis que beaucoup de sujets opposent – de coopérer relève de la gageure.
2La coalition "jamaïcaine" se solde par un échec
Cette alliance improbable est baptisée "coalition jamaïcaine", en référence aux couleurs du drapeau jamaïcain (noir, couleur de la CDU-CSU de Merkel, jaune, couleur du FDP, et vert, pour les Verts). Elle s'annonçait comme un casse-tête, tant les divergences de fond entre les écologistes, le FDP et l'aile la plus conservatrice de la CDU étaient importantes. Les tractations butent principalement sur la question de l'immigration et sur les suites à donner à la politique généreuse d'accueil des demandeurs d'asile d'Angela Merkel en 2015, qui a suscité beaucoup de critiques. Les partis n'arrivent pas à s'entendre sur un plafonnement du nombre de demandeurs d'asile, ni sur la question de savoir si tous les réfugiés, ou seulement une partie, doivent avoir droit au regroupement familial en Allemagne. Les questions environnementales constituent l'autre grand sujet de discorde entre les écologistes et les autres partis.
"C'était une coalition des impossibles, qui a opposé non seulement la CDU [chrétiens démocrates] et la CSU [centre droit] qui, sur des questions migratoires, ont connu pas mal de divergences, mais surtout, les libéraux et les Verts", analyse pour franceinfo Hans Stark, secrétaire général du Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l'Ifri. Les libéraux, aujourd'hui, se situent clairement à droite et les Verts viennent de la gauche, d'une gauche parfois plus idéologique encore que le SPD, même si les écologistes auraient aimé participer à ce gouvernement. C'était la quadrature du cercle et ça n'a pas fonctionné."
3Le SPD refuse à nouveau d'entrer dans "une grande coalition"
Pour de nombreux observateurs, dont Hans Stark, "Angela Merkel n'a pas d'autre choix que de se tourner vers le SPD". Reste que ses anciens alliés sociaux-démocrates, qui ont gouverné de 2013 à 2017 avec le bloc chrétien-démocrate, ont de nouveau refusé toute coalition sous l'égide de la chancelière lundi.
"Compte tenu des résultats des élections du 24 septembre, nous ne sommes pas disponibles pour entrer dans une grande coalition", peut-on lire dans un projet de résolution préparé pour une réunion de l'exécutif du SPD.
On est dans une situation très difficile, inédite en Allemagne. (...) Merkel a vraiment échoué.
Jakob von Weizsäcker, eurodéputé allemand, membre du SPDsur franceinfo
4Le président repousse de nouvelles élections
En l'état actuel des choses, des élections anticipées semblaient la solution la plus probable, Angela Merkel ayant exclu un gouvernement minoritaire. Les Allemands pourraient donc retourner aux urnes début 2018, alors qu'ils venaient d'élire leurs députés fin septembre. Mais le président Frank-Walter Steinmeier, qui joue un rôle institutionnel clé pour mettre en œuvre une dissolution, a laissé entendre dimanche qu'il prendrait son temps, ce scénario n'ayant pas ses faveurs.
Il a confirmé sa position lundi, lors d'une allocution télévisée, exhortant la classe politique à retourner à la table des négociations et repoussant dans l'immédiat des législatives anticipées au nom de la stabilité de l'Allemagne et de l'Europe.
J'attends de tous (les partis) qu'ils soient disponibles pour le dialogue afin de rendre possible, dans un délai raisonnable, la formation d'un gouvernement.
Frank-Walter Steinmeier, président de l'Allemagnelors d'une allocution télévisée
Et pour cause. Si de nouvelles élections étaient organisées, rien ne garantit que le résultat du nouveau scrutin serait différent du précédent. Selon plusieurs sondages, le parti d’extrême droite AfD, qui est entré pour la première fois au Bundestag depuis la fin de la seconde guerre mondiale, pourrait même continuer à progresser. L'AfD, qui a placé au cœur de son programme un discours anti-migrants, anti-islam et anti-Merkel, devrait capitaliser sur l'échec de la chancelière, dont l'avenir s'assombrit.
A tel point que selon Der Spiegel, "la méthode Merkel – un pragmatisme sans limite et une flexibilité idéologique maximale – est arrivée à sa fin". La chancelière n'est pas pour autant prête à raccrocher. Elle a annoncé lundi à la télévision publique qu'elle était prête à être de nouveau candidate en cas d'élections législatives anticipées, "une voie préférable" à la mise sur pied éventuelle d'un gouvernement minoritaire.
Je suis prête à gouverner quatre années supplémentaires.
Angela Merkelà la télévision publique
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