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Vidéo "Les Allemands ne sont pas dans un processus de célébration béate" : 30 ans après, Hermann raconte son mur de Berlin

Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin tombait. 30 ans après, franceinfo est allé à la rencontre d'Allemands qui racontent leur mur, leur histoire et leur pays. Hermann Lugan, 41 ans, petit fils d'un sous-marinier d'Hitler, est franco-allemand et vit à Berlin.

Article rédigé par Franck Ballanger - Antoine Deiana
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Hermann est franco-allemand et il habite Berlin Est depuis 2 ans. (FRANCK BALLANGER - RADIO FRANCE)

Hermann Lugan est né en France, d’un père français et d’une mère allemande. Plus inattendu, Maryse, sa compagne, est belge et leurs deux enfants possèdent donc la triple nationalité française, allemande et belge. En y réfléchissant un peu, il était donc finalement assez logique qu’Hermann nous donne rendez-vous dans un restaurant russe de Berlin pour se raconter.

Hermann avait onze ans quand le mur de Berlin est tombé, en 1989. Il vivait alors en France et l'image qui lui est resté de la chute du régime communiste, c'est l'émotion de sa mère, en larmes devant la télévision, n'étant pas bien sûre de comprendre ce qui était réellement en train de se passer. 30 ans après, Hermann a fini par vivre à Berlin et ce n’est donc pas tout à fait anodin. Il travaille dans les services culturels de l’ambassade de France depuis bientôt deux ans et il aime sa vie dans la capitale allemande, entre l’Est et l’Ouest, entre son appartement de Prenzlauer Berg et la porte de Brandebourg où se trouve son bureau. Hermann affirme que ce parcours très européen relève des "hasards de la vie", mais explique aussi qu’il a toujours voulu comprendre pourquoi ses deux grands-pères "auraient pu s’entretuer pendant la Deuxième guerre mondiale". 

La porte de Brandebourg, juste à côté de l'Ambassade de France où travaille Hermann (FRANCK BALLANGER - RADIO FRANCE)

Jan, son fils de 7 ans et Zélie, sa fille de 11 ans, jouent tous les deux au foot et vont à l’école dans un quartier qu’on pourrait penser "fait pour les enfants". Dans un pays où la natalité est en berne, le quartier berlinois de Prenzlauer Berg possède la plus forte densité d'enfants d’Allemagne et cela se voit dans les rues. Hermann n’a donc pas choisi de faire vivre sa famille à l’Est de la ville pour des raisons historiques ou politiques : seulement pour des raisons pratiques. "Même si Prenzlauer Berg était à Berlin-Est, le quartier s’est considérablement 'gentrifié' depuis la chute du mur. Á Paris, on parlerait de quartier bobo. Je voulais que toute la famille puisse se sentir bien dans notre nouvelle vie". Autrement dit, quitte à vivre dans une ville extraordinaire, autant vivre dans un quartier qui l’est aussi.

Un regard critique sur la réunification

Passer son temps au "paradis" ne veut pas dire être déconnecté des réalités plus brutales de la ville ou du pays. Devant sa bière et son assiette de bœuf Strogonoff, Hermann explique qu’il se considère comme un "acteur culturel". À 41 ans, il vit sa carrière comme un choix et s’il s’est "engagé" dans la culture, c’est pour que des artistes puissent "s’exprimer et proposer une vision alternative du monde".

Depuis sa "bulle berlinoise", comme il aime la qualifier, Hermann reste un observateur attentif de la ville et de l’Allemagne d’aujourd’hui : "Ces derniers temps, on parle beaucoup du 30e anniversaire de la chute du mur, mais j’ai le sentiment que les Allemands ne sont pas dans un processus de célébration béate. Nous portons tous un regard très critique sur ce qu’ont été ces 30 dernières années, notamment pour les Allemands de l’Est. On analyse les effets qu’a pu avoir le rouleau compresseur capitaliste."

Hermann Lugan : "On parle beaucoup du 30e anniversaire de la chute du mur, mais j’ai le sentiment que les Allemands ne sont pas dans un processus de célébration béate" (FRANCK BALLANGER - RADIO FRANCE)

L’Ouest a quasiment 'acheté' la totalité de l’Est et aujourd’hui, les Allemands s’interrogent beaucoup sur l’avenir. Du coup, nous regardons un peu moins naïvement cette libération qu’a pu être… ou paraître la chute du mur.

Hermann Lugan

à franceinfo

Hermann ne croit pas pour autant que les Allemands veuillent reconstruire un mur et diviser de nouveau le pays, mais ne veut pas nier que certains de ses compatriotes se sentent "laissés-pour-compte" et succombent donc à "des idéologies rances et fascisantes"Les résultats récents de l’AfD (Alternative für Deutschland, un parti d'extrême droite) le prouvent, notamment dans les Länder de l’Est. Là où les taux de chômage sont les plus élevés, l'AfD a confirmé son statut et cela effraie Hermann.

Un grand-père dans un sous-marin d'Hitler

On parle beaucoup de la montée en puissance de la droite extrême, de néo-nazisme et cela le renvoie à une partie de l'histoire familiale d'Hermann : son grand-père maternel était sous-marinier durant la Deuxième guerre mondiale. Un soldat de niveau 2 sur l'échelle des responsabilités des nazis établie par les Alliés, juste derrière les SS. Résultat, une fois le conflit terminé, il a dû passer trois ans dans une sorte de camp de dénazification dans le nord de l’Angleterre. Il y a appris la langue. Quand il évoque ce grand-père, en l’espace de deux secondes, Hermann redevient un enfant assis sur une chaise trop grande. Hermann ne fait plus vraiment son 1,93 m et sa voix forte se fait naturellement plus douce. "J’ai voulu faire des études d’histoire pour me confronter à son histoire. Il reste pour moi un modèle, un exemple d’humanisme, un homme d’une grande ouverture qui, une fois rentré en Allemagne, a créé la première association germano-polonaise. Elle avait pour but le rapprochement des peuples et non pas la contestation des frontières héritées de la guerre."

"Check point Charly", l'un des points de passage obligés entre l'Est et l'Ouest pendant les 28 années du Mur. (FRANCK BALLANGER - RADIO FRANCE)

La serveuse vient à peine de lui apporter sa deuxième bière qu’Hermann enchaîne sur "l’européanité" de ce grand-père qui a beaucoup œuvré pour que ses enfants voyagent et pour qu’ils apprennent des langues (le russe, le français ou l’anglais). Avec le temps, son grand-père avait fini par ne plus savoir comment et pourquoi il avait succombé à l’idéologie nazie.

Donc oui, voir cette pensée resurgir en force aujourd’hui est "une douleur" pour Hermann : "C’est déstabilisant et on se rend compte, à cette occasion, qu’en Europe, pendant 10 ou 20 ans, on a été plus soucieux de combattre le danger supposé de la radicalisation religieuse que de s’attaquer ou de comprendre l’ultra-droite qui a pu, de ce fait, prospérer. Nous en subissons les contrecoups aujourd’hui en Allemagne… et de manière assez forte !"

Pendant tout le repas, Hermann aura tenté de rationaliser, de ne pas se laisser déborder par ses émotions, de parler de sa famille de la manière la plus neutre possible, d’évoquer sobrement son bonheur de vivre à Berlin dans une "ville monde" et "ouverte", mais au moment du dessert aux pommes, il s’est quand même laissé rattraper par ses peurs de voir son Allemagne retomber dans le chaos.

Ils racontent leur mur de Berlin

Alors que le mur de Berlin est tombé il y a 30 ans, le 9 novembre 1989, quels souvenirs gardent ceux qui ont vécu l'événement ? Quel regard portent-ils sur l'Allemagne d'aujourd'hui ? franceinfo vous propose une série de portraits.

• Peter : "Je n’avais plus d’autre solution que de m’enfuir"
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