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Brexit : cinq choses à savoir sur John Bercow, le speaker de la Chambre des communes devenu la bête noire du gouvernement

Le conservateur de 56 ans devenu célèbre pour ses rappels à l'ordre ("Order!") a annoncé sa démission lundi. Elle prendra effet le 31 octobre. 

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
John Bercow siège en tant que président de la Chambre des communes, le 29 mars 2019.  (MARK DUFFY / AFP)

Jon Bercow jette l'épongeLe président de la Chambre des communes, John Bercow, a annoncé son départ lundi 9 septembre. La décision du célèbre speaker prendra effet au plus tard le 31 octobre. Nous lui avions consacré un portrait le 3 septembre. 


Imaginez. Le mois d'août touche à sa fin, le soleil brille, la vie est paisible. John Bercow, lui, profite tranquillement de ses vacances en famille, en Turquie. Quand soudain, c'est le drame : le Premier ministre britannique, Boris Johnson, annonce son intention de suspendre le Parlement pendant cinq semaines. A l'approche de la sortie programmée (pour le 31 octobre) du Royaume-Uni de l'Union européenne, la manœuvre fait bondir de son transat le président de la chambre basse du Parlement. Furieux, il rédige un communiqué pas piqué des hannetons, dénonçant une "violation du processus démocratique" et un "scandale constitutionnel".

Dans ce contexte électrique, John Bercow fait sa rentrée, mardi 3 septembre. Sa mission : empêcher cette suspension du Parlement et tenter d'éviter un Brexit sans accord, un scénario incertain craint par de nombreux députés, aussi bien chez les travaillistes que chez les conservateurs. 

Chargé de superviser les débats à la Chambre des communes, le bruyant speaker, devenu une star internationale en raison de sa façon très personnelle de réclamer le silence dans l'assemblée – "ORDEEEEER" – , s'est imposé comme l'un des personnages-clés de la bataille entre adversaires et partisans d'un "no-deal Brexit". A l'ouverture d'une semaine cruciale et pour mieux comprendre l'enjeu de ces quelques jours, franceinfo liste ce qu'il faut savoir de John Bercow.

1Il est prêt à tout (même les coups les plus tordus) pour défendre le Parlement

John Bercow n'a de cesse de marteler sa volonté de faire entendre la voix des parlementaires. Et pour ce faire, il est prêt à toutes les pirouettes constitutionnelles : en mars 2019, il invoque par exemple une convention vieille de plus de 400 ans (de 1604, pour être précis) pour interdire un troisième débat sur le plan de sortie de l'UE proposé par Theresa May et déjà rejeté deux fois par les députésLe gouvernement, pris de court, hallucine : "WTF" ("Mais p**** qu'est-ce qu'il se passe ?") envoie un ministre à un collègue sur WhatsApp, raconte the Huffington Post

En réalité, John Bercow vient simplement de rappeler le pouvoir "considérable" du speaker, relève le Financial Times (lien en anglais)"Il peut choisir quels amendements sont discutés, et se prononcer sur les motions elles-mêmes", détaille le site du quotidien. C'est ainsi que, le 25 mars, il permet au député conservateur Oliver Letwin de présenter une motion autorisant le Parlement à arracher des mains de la Première ministre le contrôle sur le processus du Brexit. Deux jours plus tard, la Chambre des communes donne en urgence son avis sur huit scénarios, allant du no deal à la tenue d'un référendum sur un possible nouvel accord. Si aucune de ces options ne trouve de majorité, John Bercow a fait passer le message au 10 Downing street : en bonne démocratie parlementaire, le Royaume-Uni n'ira nulle part (et certainement pas hors de l'UE) sans l'aval du Parlement. En tout cas, pas tant qu'il se tiendra au perchoir. 

2Il est de mèche avec des députés anti-Brexit

Dès mardi, John Bercow devrait donc logiquement reprendre sa mission de défenseur des parlementaires en permettant aux députés "anti-Brexit dur" de bloquer la suspension du Parlement ou de solliciter un débat et un vote en urgence (soit avant la suspension prévue cinq jours plus tard), via une procédure appelée Standing order 24 (ou SO4). De surcroît, il devrait à nouveau casser les usages en permettant aux députés d'amender cette fameuse motion, explique PoliticsHome (lien en anglais). Décisive, cette manœuvre permettrait aux députés de faire passer in extremis une loi interdisant un quelconque "no deal". 

Selon The Telegraph (lien en anglais, pour abonnés), John Bercow a profité de ses derniers jours de vacances en Turquie pour peaufiner plusieurs plans afin d'empêcher le "no deal", en collaboration avec son acolyte du mois de mars, le conservateur Oliver Letwin. Il pourrait ainsi autoriser la tenue d'un vote symbolique contre la suspension du Parlement ou encore "solliciter des dispositifs encore jamais utilisés au Parlement", écrit le quotidien. Par ailleurs, le biographe de John Bercow, cité par The Independent, imagine un scénario dans lequel le speaker prendrait la tête d'une "Parlement en exil", qui siégerait symboliquement en dépit de sa suspension.

3Il est bien accroché à son siège de speaker

En tant que président de la Chambre des communes, John Bercow se distingue par sa longévité : depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il est le premier président de la Chambre des communes à avoir servi sous la mandature de quatre Premiers ministres et à avoir été réélu trois fois. Pourtant, dès son élection en 2009, le speaker avait annoncé qu'il n'envisageait pas de s'éterniser à ce poste au-delà de l'année 2018. Mais le Brexit en a décidé autrement, le poussant à mener à leur terme les débats sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. 

Pourtant, ses détracteurs n'ont pas manqué de tenter de le déloger. En mars 2015, le député conservateur William Hague a introduit une motion demandant à ce qu'un vote à bulletins secrets soit tenu pour décider de l'avenir du président de la Chambre. Mais cette façon détournée de presser le départ du speaker n'a pas convaincu la majorité des députés, qui ont rejeté sa motion (228 voix contre, contre 202 voix pour). Une claque pour William Hague et un moment d'émotion pour John Bercow, qui retient visiblement quelques larmes à l'annonce des résultats, avant de rompre le tonnerre d'applaudissements par un tonitruant : "ORDEEEEEER". Ironie du sort pour cet ancien conservateur, les applaudissements les plus nourris proviennent du camp travailliste.

4Il est un ancien conservateur défendu par les travaillistes

John Bercow a fait ses armes chez les Tories, alors dirigés par Margaret Thatcher. Elu à la tête de la fédération des étudiants conservateurs en 1987, il échoue par deux fois à obtenir un siège de député, avant de remporter la mise dans la circonscription de Buckingham. Mais rapidement, ses positions sur des sujets de société tels que les droits des homosexuels ou la consommation de cannabis l'éloignent des consignes du parti. A tel point qu'en 2007, des rumeurs selon lesquelles il rejoindra le camp travailliste circulent. S'il ne passe jamais de l'autre côté, il opte pour un poste "neutre" en briguant la présidence de la Chambre des communes. Poste qu'il obtient à l'issue d'un vote à bulletins secrets.

Impopulaire dans les rangs de son parti, "il est généralement admis qu'il a été élu avec le soutien des travaillistes", écrit la BBC dans un portrait publié en 2017. Son ambition d'alors ne laisse que peu de place au mystère : "Renforcer l'implication des députés sans portefeuille et aider le Parlement à se relever et à reconnaître qu'il n'est pas une simple chambre d'enregistrement, mais peut, si nécessaire, contredire et dénoncer le gouvernement en place."

5Il est accusé de ne pas être neutre sur la question du Brexit

Pour ses détracteurs, c'est évident : la façon dont John Bercow mène les débats laisse penser qu'il n'est pas impartial, contrairement à ce qu'exige sa fonction. Pour ne rien arranger, il a reconnu publiquement en 2017 avoir voté contre le Brexit et s'est fait épingler en mars 2018 avec un autocollant "Bollock to Brexit" ("Merde au Brexit") collé à la vitre de son 4x4 (il se défend en arguant qu'il s'agit du 4x4 de son épouse, une ancienne figure de droite passée au Labour sur le tard). En janvier 2019, le 10 Downing Street décide de le punir d'avoir introduit un "biais anti-Brexit" à la présidence de la Chambre, en sous-entendant que la Première ministre d'alors, Theresa May, ne soutiendrait pas la nomination future de John Bercow à la Chambre des lords. Or, c'est là que, traditionnellement, les présidents de la Chambre des communes passent leurs vieux jours – du moins depuis Henry Addington, dernier speaker à se voir refuser ce transfert, il y a plus de 230 ans. 

Qu'à cela ne tienne. John Bercow assure "n'être biaisé qu'en faveur du Parlement" et fait savoir qu'il reporte son départ et restera en place possiblement jusqu'à 2022. Une date à laquelle un gouvernement futur pourra lui accorder, comme convenu, un siège au chaud dans la chambre haute. 

Naturellement, ces accusations de partialité ont ressurgi à l'approche de la rentrée parlementaire : samedi 31 août, le Daily Mail (lien en anglais) se fait l'écho d'un "complot" mené par "les alliés de Boris Johnson contre ce 'saboteur du Brexit'". Le plan : présenter un candidat conservateur dans sa circonscription de Buckingham dans le cas où des élections générales de dernière minute seraient organisées. Car, traditionnellement encore, le speaker de la Chambre est assuré de ne pas avoir d'adversaires contre lui. Présenter quelqu'un face à John Bercow dans sa circonscription afin de l'écarter constituerait donc un énième petit coup de théâtre constitutionnel outre-Manche. 

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