Ce que l'on sait de l'incursion de l'armée ukrainienne dans la région russe de Koursk, où l'état d'urgence a été déclaré

Article rédigé par franceinfo
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Les dégâts causés par les bombardements des forces ukrainiennes sur la ville de Soudja, dans la région russe de Koursk, le 6 août 2024. (GOUVERNEUR DE LA REGION DE KOURSK / AFP)
Des milliers de personnes ont été évacuées et des bombardements ukrainiens ont déjà fait plusieurs victimes parmi les civils russes, selon les autorités locales.

"Aujourd'hui, l'ennemi a de nouveau tenté de pénétrer sur le territoire de la région de Koursk." Le ministère de la Défense russe a annoncé, mardi 6 août, faire face à une incursion de l'armée ukrainienne dans la région de Koursk, frontalière avec l'Ukraine. Des combats étaient toujours en cours jeudi matin, malgré le repositionnement des forces armées russes. Franceinfo fait le point sur ce que l'on sait de l'offensive ukrainienne en territoire russe.

"Jusqu'à 1 000" soldats ukrainiens mobilisés

Le chef de l'état-major russe, Valéri Guérassimov, a affirmé mercredi que "jusqu'à 1 000" soldats ukrainiens participaient à l'incursion lancée dans la région de Koursk. Plus tôt, le ministère russe de la Défense estimait que l'incursion avait mobilisé quelque 300 soldats, ainsi que 11 chars et une vingtaine d'autres véhicules blindés. Le ministère russe a affirmé avoir détruit 16 véhicules.

Pour contrecarrer l'intrusion des forces ukrainiennes, la Russie a annoncé mardi avoir envoyé des forces de réserve, sans en préciser le nombre. Le lendemain, le chef d'état-major de l'armée russe a assuré à Vladimir Poutine que "l'avancée de l'ennemi en profondeur dans le territoire a été stoppée par des frappes de l'aviation et de l'artillerie", lors d'une séquence retransmise à la télévision. Des combats ont cependant toujours lieu "dans les zones immédiatement adjacentes à la frontière", selon le chef d'état-major.

Si les autorités russes évoquent jeudi une situation "stable et sous contrôle", le tableau dressé par des experts militaires est plus alarmiste. L'Institut pour l'étude de la guerre (ISW), qui siège aux Etats-Unis, a estimé dans son dernier rapport que les Ukrainiens avaient avancé jusqu'à 10 kilomètres dans le territoire russe, et pénétré à l'intérieur d'"au moins deux lignes de défense russes".

Selon plusieurs analystes interrogés par l'AFP, les soldats ukrainiens ont atteint Soudja, une ville russe d'environ 5 500 habitants située à une dizaine de kilomètres de la frontière et qui abrite une station de gaz fournissant toujours l'Europe via l'Ukraine. Mercredi soir, la chaîne Rybar, proche de l'armée russe, a affirmé que les forces ukrainiennes avaient "pris la moitié ouest de Soudja". Bien que l'ampleur de la progression des militaires ukrainiens ne soit donc pas claire, le géant Gazprom a déclaré jeudi continuer à assurer ses livraisons quotidiennes de gaz via sa station à Soudja.

Des milliers de personnes évacuées des deux côtés de la frontière

Le gouverneur par intérim de la région de Koursk, Alexeï Smirnov, a déclaré l'état d'urgence mercredi. Dans une vidéo publiée sur Telegram, il a annoncé que "plusieurs milliers de personnes" avaient évacué cette "zone de bombardement". Environ 3 000 personnes sont concernées, dont 1 500 ont été accueillies dans des centres d'hébergement provisoires, ont fait savoir les autorités régionales jeudi.

Cinq personnes ont été tuées mardi dans des frappes ukrainiennes visant la région de Koursk, selon les autorités locales de la région. Le bilan des blessés est de 28 civils, dont des enfants, selon un responsable de l'hôpital régional de Koursk, Andreï Loktionov, cité par l'agence officielle TASS.

L'Ukraine a également ordonné l'évacuation d'environ 6 000 personnes, dont 425 enfants, dans des zones frontalières près de la région russe de Koursk, a annoncé mercredi le gouverneur de la région de Soumy, Volodymyr Artioukh. "L'ordre que je viens de signer prévoit l'évacuation obligatoire de 23 localités", a-t-il précisé à la télévision.

Vladimir Poutine dénonce "une provocation à grande échelle"

Le président russe a réagi mercredi en dénonçant à la télévision russe "une nouvelle provocation à grande échelle" de la part de l'Ukraine, "en tirant de manière aveugle avec différents types d'armes, y compris des roquettes, sur des bâtiments civils, des habitations et des ambulances". Un porte-parole de la diplomatie américaine, Matthew Miller, a réagi aux propos de Vladimir Poutine, estimant "un peu fort d'appeler cela une provocation étant donné que la Russie a violé l'intégrité territoriale et la souveraineté de l'Ukraine".

Les autorités ukrainiennes ont de leur côté observé un silence quasi-total sur la situation dans la région de Koursk. Un conseiller de l'administration présidentielle ukrainienne s'est exprimé sur X, jeudi, estimant que cette incursion est une conséquence de "l'agression" russe en Ukraine depuis 2022. "La guerre est la guerre, avec ses propres règles, l'agresseur y paye inévitablement les conséquences correspondantes", a-t-il ajouté. Il n'a toutefois pas attribué clairement cette opération à Kiev.

La veille, dans son discours quotidien, le président ukrainien Volodymyr Zelensky avait félicité la "bravoure" des forces ukrainiennes, sans référence explicite à l'offensive en cours. "Plus nous mettons la pression sur la Russie, (...) plus nous nous rapprocherons de la paix", a-t-il ajouté.

Les Etats-Unis interpellent Kiev sur les "objectifs" de l'attaque

La Maison Blanche a expliqué, mercredi, qu'elle allait contacter Kiev afin d'en savoir plus sur les "objectifs" de l'incursion de troupes ukrainiennes. La porte-parole de la Maison Blanche, Karine Jean-Pierre, a précisé que Washington soutient les actions de "bon sens" menées par l'Ukraine pour arrêter les attaques des forces russes.

En mai, le président américain, Joe Biden, avait autorisé Kiev à utiliser de l'armement américain pour frapper des cibles sur le territoire russe proche de la région de Kharkiv (nord-est), soumise à une attaque russe. Mais le porte-parole du Conseil de sécurité nationale américain, John Kirby, a rappelé que "rien [n'avait] changé" dans la politique des Etats-Unis, qui s'opposent à toute frappe ukrainienne plus loin sur le territoire russe.

Une incursion stratégique pour forcer la Russie à repositionner ses troupes

L'incursion de l'armée ukrainienne en territoire russe force la Russie "n'est pas une conquête territoriale", estime le général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la Revue défense nationale, auprès de franceinfo. Il affirme que "l'objectif de Kiev n'est pas d'aller jusqu'à Moscou", mais que cette incursion "permet de déstabiliser le commandement russe". 

La région de Koursk est une "base logistique extrêmement importante, c'est un carrefour ferroviaire", souligne en effet le spécialiste. Mais "la région n'était pas protégée comme on peut le voir dans le Donbass". L'armée ukrainienne a donc pu "faire suffisamment de dégâts pour obliger les Russes à revoir leur dispositif" et "rappeler, par exemple, des troupes qui sont sur la ligne de front pour colmater les brèches" dans cette région stratégique qui ne peut pas être abandonnée aux ukrainiens.

"Je pense que l'un des objectifs [de Kiev] est de retirer les réserves [russes], de simplifier les actions de nos militaires dans le secteur de Kharkiv et peut-être dans d'autres régions", a pour sa part déclaré à l'AFP l'expert militaire ukrainien Serguiï Zgourets. La géographie de cette zone en Russie permet de "mener de façon efficace ce type d'actions dissuasives contre l'ennemi, avec un dispositif réduit, et c'est ce que fait probablement l'armée ukrainienne".

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