Conflit en Ukraine : les troupes russes à la frontière effraient "bien plus les Occidentaux que les Ukrainiens"
Des pourparlers entre Moscou et Washington, qui doivent officiellement démarrer ce lundi à Genève, visent à apaiser la situation tendue depuis plusieurs semaines à la frontière entre la Russie et l'Ukraine. Reportage à Kiev et Kharkiv, où ces tensions font partie du quotidien.
Difficile, à Kiev, de trouver quelqu'un qui se dise ouvertement effrayé par la concentration de troupes russes aux frontières de l'Ukraine. Pourtant, Moscou, qui exige que le pays n'entre jamais dans l'Otan et qu'aucun armement occidental n'y soit déployé, y fait planer la menace d'une nouvelle offensive militaire sur le pays avec le déploiement de 100 000 hommes. L'Ukraine est au menu de pourparlers américano-russes à partir de lundi 10 janvier, à Genève.
Boris, sous-officier de la Garde républicaine, rappelle que la guerre avec la Russie est déjà une réalité dans le Donbass ukrainien : "Le soldat qui est sur le front depuis 2014, il ne redoute pas la guerre. Il est en guerre depuis tout ce temps-là." Selon lui, les civils ukrainiens ne paniquent pas non plus face aux troupes de Moscou. "Quand on leur dit qu'il y a des Russes à la frontière, et que la guerre pourrait bien commencer maintenant... Mais qu'est-ce qu'on a fait, à votre avis, depuis sept ans ?", ironise-t-il.
Une situation habituelle pour les Ukrainiens
Cette concentration de soldats russes à la frontière ukrainienne n'inquiète pas non plus Volodymyr Fesenko, analyste politique à l'institut Penta de Kiev : "Le paradoxe, c'est que cela effraie les Occidentaux bien plus que les Ukrainiens", explique-t-il.
Nous sommes habitués à cette guerre sur notre frontière depuis 2014. La concentration de troupes russes, c'est entre 60 000 et 90 000 soldats en permanence depuis. En Crimée, à la frontière est, sur le nord de l'Ukraine, il n'y a jamais moins de 70 000 hommes", détaille Volodymyr Fesenko. "Et deux fois par an, au printemps et à l'automne, nous avons des manœuvres militaires. Et à ce moment-là, le nombre de soldats russes passe à 100 000", précise encore l'analayste politique.
"Il n'y a rien de nouveau pour nous : on connaît cette situation deux fois par an !"
Volodymyr Fesenkoà franceinfo
Même la perspective hypothétique d'une reprise des combats à grande échelle, avec une véritable opération d'invasion russe sur toute l'Ukraine orientale, n'effraie pas Boris, le sous-officier ukrainien. "Je ne vois pas de logique à une invasion... Pourquoi se charger d'un tel fardeau ?", s'interroge-t-il. "Admettons qu'ils occupent Kiev, par exemple. Ce territoire, il faudra bien le faire fonctionner économiquement, le remettre à niveau, trouver des fonds pour reconstruire... Il faudra beaucoup d'efforts pour y instaurer un nouveau pouvoir. À quoi ça servirait, tout ça ?"
Pour beaucoup d'Ukrainiens, le déploiement russe n'est donc qu'une menace fantôme, qui a surtout permis de forcer la main aux Occidentaux pour les amener à s'asseoir à une table de négociations.
Kharkiv, ville sous tension
À Kharkiv, deuxième ville du pays, située à 460 kilomètres de Kiev, "on est sous tension", résume Anastasia, une commerçante du centre-ville. En cas d'offensive russe, la ville située à 40 kilomètres de la frontière avec la Russie serait en première ligne. "Mais ce n'est pas seulement dû aux problèmes militaires, complète Anastasia. Il y a le Covid-19, la hausse des prix, les menaces de guerre... C'est toute une situation qui est tendue. Tout le monde est tendu !" Pour le million et demi d'habitants, malgré l'atmosphère de fête qui règne en ville – week-end de Noël orthodoxe oblige – il faut prendre du recul.
"Il faut savoir s'abstraire de cette atmosphère parce que si on passe son temps à regarder les infos à la télé, il y a de quoi se rendre malade et piquer une crise de nerfs !"
Anastasia, commerçante dans le centre-ville de Kharkivà franceinfo
Dans ce qui est – paradoxalement – la plus russophile des villes ukrainiennes, la fatigue est palpable. Les menaces de guerre, les contre-vérités flagrantes, la propagande agressive relayée par les médias russes mais aussi ukrainiens depuis les débuts de la guerre du Donbass il y a sept ans ont achevé de décourager les plus endurants. "Je fais comme l'escargot : je me suis caché dans ma coquille", raconte Anna, 70 ans, une Russe de Kharkiv qui refuse dorénavant d'allumer son poste. Je comprends ce qui se passe autour de moi, mais je ne peux rien y faire." Sa confiance en l'information s'est érodée. "Je ne crois pas aux mass médias. Quand la guerre a débuté et que les uns et les autres ont commencé à se jeter des ordures à la figure, je n'ai plus regardé la télé." C'était en 2014.
Ici, "la plupart" des habitants se sentent plus Russes qu'Ukrainiens, affirme Oleg, la soixantaine. C'est sans doute là la spécificité des Russes et russophiles de Kharkiv : ils peuvent aussi bien adorer la Russie mais être attachés à l'autonomie de l'Ukraine. "Je ne me sens pas Ukrainien mais nous avons voté pour l'indépendance de l'Ukraine", affirme ce Russe, ancien interprète du temps de l'URSS. C'est aujourd'hui devenu un défenseur de l'Ukraine, qui fait d'ailleurs parfaitement la différence entre la Russie et son régime. "Poutine n'est pas l'image de la Russie. Tôt ou tard, il va partir mais la Russie reste." Ce voisinage est parfaitement tolérable pour Oleg, pourvu que le régime moscovite se montre moins agressif.
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