Crimes de guerre en Ukraine : "Jamais la justice internationale ne s'est mobilisée aussi rapidement", estime un juriste
La Cour pénale internationale a ouvert une enquête au début du mois de mars après des soupçons de crimes de guerre commis par des soldats russes en Ukraine.
"Jamais la justice internationale ne s'est mobilisée aussi rapidement" qu'après les soupçons de crimes de guerre par les soldats russes en Ukraine, souligne Reed Brody, membre de la Commission internationale de juristes et spécialiste de la défense des droits de l'Homme, vendredi 8 avril sur franceinfo. La Cour pénale internationale (CPI) a ouvert une enquête dès le début du mois de mars, au bout d'une semaine de conflit.
franceinfo : Comment qualifiez-vous les scènes vues en Ukraine, à Boutcha notamment ?
Reed Brody : On est tous révoltés, indignés par ces images de carnages. Ce sont des images de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité, c'est-à-dire des crimes commis à une grande échelle ou de façon systématique. On est face aussi, depuis le début, à un crime d'agression qui est le crime international suprême, une invasion injustifiée d'un autre pays en violation de la charte des Nations unies.
La CPI a ouvert une enquête dès le début du mois de mars. S'est-elle déjà mobilisée aussi vite sur un conflit ?
Jamais la justice internationale ne s'est mobilisée aussi rapidement que maintenant. La CPI, soutenue par 41 pays dont la France, a des enquêteurs sur place qui prennent des témoignages, des preuves. On a aussi 12 pays maintenant, dont la France aussi, qui font leur propre enquête, soit au nom de la compétence universelle qui veut que certains crimes dépassent les frontières ou, comme c'est le cas de la France, en défense des citoyens français qui ont été tués en Ukraine. Surtout, il y a le procureur général de l'Ukraine qui a ouvert des enquêtes sur son propre territoire et c'est en fait la justice qui est la plus avancée.
Est-ce difficile de recueillir des preuves en temps de guerre ?
Évidemment, il y a beaucoup de difficultés. Pour les témoins, il faut qu'on centralise un peu, mais il y a beaucoup de vidéos, il y a beaucoup d'objets, des munitions qu'il faut étudier, des insignes, des trajectoires, il y a des prisonniers russes, il y a des messages russes interceptés parce qu'ils n'ont pas un système de communication très sophistiqué. Hier, les services de renseignements allemands ont publié des conversations qui donnent l'impression que les atrocités perpétrées par exemple à Boutcha n'étaient pas des actes aléatoires ni le produit de soldats incontrôlables, mais que ça faisait partie de la vie quotidienne des troupes russes. On a entendu par exemple un soldat russe dire "vous interrogez d'abord les gens, puis vous les tuez". Toutes ces nouvelles preuves, il faut les recouper. On a aussi des milliers d'internautes dans le monde qui aident à recouper des vidéos en cherchant différents angles. Tous ces éléments, c'est très important maintenant qu'on les préserve, qu'on les garde.
Certains pays dénoncent des crimes de guerre en Ukraine mais ne soutiennent pas la CPI. N'est-ce pas paradoxal ?
Il y a beaucoup d'hypocrisie. Les États-Unis, par exemple. La crainte des États-Unis envers la Cour pénale internationale est justement qu'elle prétende avoir la compétence de juger des nationaux de pays qui ne sont pas membre de la CPI. Quand elle enquête sur les agissements des Américains en Afghanistan, hors de chez eux, les États-Unis disent qu'elle ne peut pas parce qu'ils ne font pas partie de la CPI. Mais ils veulent que les soldats de la Russie - qui ne fait pas non plus partie de la CPI - fassent l'objet d'une enquête pour des crimes commis en Ukraine. Donc il y a beaucoup d'hypocrisie.
Ce qu'on veut, c'est que cette mobilisation en faveur de la Cour de justice internationale s'universalise. Il y a beaucoup d'autres massacres dans le monde, au Mali cette semaine, au Yémen, en Palestine, en Éthiopie. Il faudrait qu'on ait la même solidarité, la même sensibilisation pour tous. Si on avait enquêté sur les mêmes crimes, commis par les mêmes généraux russes en Syrie ou à Grozny [capitale de la Tchétchénie prise par la Russie en 2000], peut-être que cette guerre se passerait différemment. Même si ça prend un an, deux ans, cinq ans ou dix ans, il faut que l'impunité cesse et que ceux qui commettent ces crimes soient amenés devant la justice.
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