Crise du gaz : "Nous allons vers un hiver très compliqué", prévient un spécialiste de l'énergie
Pour Thierry Bros, il faut avant tout "regarder où est-ce que l'on peut trouver du gaz" autre qu'en Russie ou au Qatar, mais aussi "relancer un programme électronucléaire", pour ne pas souffrir de la crise énergétique cet hiver.
"Nous allons vers un hiver très compliqué. Nous sommes face à la plus grave crise énergétique qu'ait connu l'humanité", a prévenu mardi 16 août sur franceinfo Thierry Bros, spécialiste de l'énergie et professeur à Sciences Po Paris. L'Europe fait face à une crise énergétique due à la guerre en Ukraine et au risque d'une éventuelle pénurie de gaz qui provient essentiellement de la Russie. Thierry Breton, le commissaire européen au Marché intérieur, se voulait rassurant mardi matin sur franceinfo : "Avec ce que nous avons en réserve, nous avons de quoi passer 54 jours de l'hiver", a-t-il déclaré. "Je suis beaucoup plus inquiet", a réagi Thierry Bros.
franceinfo : Que pensez-vous du diagnostic de Thierry Breton ?
Thierry Bros : Je suis beaucoup plus inquiet. Je ne regarde pas les stocks par rapport à l'année dernière, puisque l'année dernière était une année un peu spéciale. Il faut regarder par rapport à l'historique des cinq dernières années, et nous sommes en retard par rapport au stockage que nous devrions avoir.
"Le prix du gaz, en ce moment, c'est l'équivalent de quatre fois le prix du pétrole en prix énergétique. Aujourd'hui, au prix actuel du gaz, aucune industrie gazo-intensive en Europe ne peut faire de profit. Voilà où nous en sommes."
Thierry Bros, spécialiste de l'énergieà franceinfo
Et quant à la solidarité entre États, ce que je vois dans la réglementation c'est que 12 états sur 27 sont déjà exemptés. Donc il n'en reste que 14 qui pourrait aider l'Allemagne, mais qui pourrait aussi demander une dérogation. Donc, je crois que nous allons vers un hiver très compliqué. En fait, nous sommes face à la plus grave crise énergétique qu'ait connue l'humanité.
Vous voulez dire, concrètement, que la sécurité d'approvisionnement européen est en danger ?
Oui, absolument ! Elle est entre les mains de Vladimir Poutine. Il a réduit les exportations à un niveau qui nous donne l'impression que nous sommes en capacité de remplir nos stockages mais en plein mois d'août, alors que tout le monde est en vacances. En septembre, certaines industries, comme celles du verre, de l'acier, de l'automobile ou de la chimie, voudront redémarrer mais ne pourront peut-être pas puisque, à ce moment-là, nous serons obligés de tirer dans nos stocks.
Que pensez-vous de la proposition du chancelier Allemand Olaf Scholz d'un pipeline qui relierait le Portugal à l'Europe central ?
Ce fameux pipeline n'a jamais été construit en une dizaine d'année [un projet de gazoduc avait été lancé en 2013 entre la Catalogne et le sud-est de la France mais n'a jamais abouti] et a très peu de chance d'être construit, car il va coûter très cher. Le chancelier fait cette proposition parce que ces terminaux de regazéification vont être en retard, ils devaient être mis en service à la fin de cette année : ils le seront l'année prochaine. Et donc, vous voyez, que pour l'hiver qui arrive, ça sera très compliqué.
Quelles sont, selon vous, les solutions que doivent prendre les États membres de l'Union européenne ?
Je crois que la première chose à faire, c'est de revenir au pragmatisme : il faut regarder où est-ce que l'on peut trouver du gaz. Du gaz, il y en a en Russie, mais on en veut plus. Il y en a au Qatar : le Qatar nous a fait des propositions, on ne les a pas voulues. Il y en a aux États-Unis et peut-être au Canada, voilà. Ensuite il faut relancer un programme électronucléaire et le plus vite possible. Cette crise énergétique est une crise qui va durer cinq ans au moins, et qui durera plus si nous n'avons pas des solutions pragmatiques.
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