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Guerre en Ukraine : ce que l'on sait de la destruction d'un barrage près de Kherson et de ses conséquences

Kiev affirme qu'une explosion a provoqué une brèche dans cet ouvrage stratégique, qui était sous contrôle russe. Des évacuations ont commencé.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La brèche ouverte dans le barrage de Kakhovka (Ukraine) sur des images de l'entreprise publique ukrainienne Ukrhydroenergo, le 6 juin 2023. (UKRHYDROENERGO / AFP)

Dans la litanie des dégâts provoqués par l'invasion russe en Ukraine, ceux-ci pourraient avoir des conséquences particulièrement graves : le barrage hydroélectrique de Kakhovka, à quelque 80 kilomètres de Kherson, a été partiellement détruit, ont affirmé mardi 6 juin la présidence ukrainienne et les autorités d'occupation installées par la Russie dans cette région du Sud.

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Kiev dénonce un  "crime de guerre" de l'armée russe. Des dizaines de localités en aval sont menacées d'inondations, et l'Ukraine a annoncé des évacuations. Franceinfo vous résume ce que l'on sait de la situation.

Une brèche est ouverte dans le barrage

Si l'Ukraine affirme que le barrage a été endommagé par une explosion, aucune image de celle-ci n'a émergé. En revanche, plusieurs vidéos attestent de l'ampleur des dégâts. A commencer par celle publiée sur Twitter par le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, manifestement tournée par un drone à l'aube.

On y voit une brèche sur une part importante du barrage en lui-même, mais aussi des bâtiments de la centrale hydroélectrique de Kakhovka, également endommagés et en partie plongés dans l'eau. Ils apparaissent aussi sur des vidéos relayées sur des canaux Telegram russes puis sur Twitter. 

Le barrage de Nova Kakhovka, aménagé sur le fleuve Dnipro dans les années 1950, a été pris par les forces russes au début de l'offensive russe. Cet ouvrage est crucial pour alimenter en eau la péninsule annexée de Crimée.

L'Ukraine accuse la Russie, qui contrôle l'édifice

Volodymyr Zelensky a attribué la destruction du barrage aux  "terroristes russes", accusant Moscou de "crime de guerre". Son conseiller Mykhaïlo Podoliak affirme que la Russie a "fait sauter" l'ouvrage pour  "créer des obstacles aux actions offensives des forces armées" ukrainienne, alors qu'une contre-offensive est annoncée. Ukrhydroenergo, la compagnie ukrainienne de gestion des barrages, affirme qu'une détonation a retenti vers 2h50 du matin "depuis l'intérieur de la salle des machines"  dans un communiqué.

Situés sur la rive est du Dniepr, le plus grand fleuve d'Ukraine, la centrale de Kakhovka et son barrage sont restés sous contrôle russe, y compris après la reprise de la rive ouest par l'armée ukrainienne en novembre. En octobre, lors d'une réunion du Conseil de l'Europe, Volodymyr Zelensky rapportait avoir des informations selon lesquelles les occupants russes avaient miné l'édifice.

Le maire installé par la Russie à Nova Kakhovka, ville où est situé l'édifice, avance de son côté une autre version. Vladimir Leontiev a d'abord qualifié de "non sens" les informations sur le barrage. Il a ensuite évoqué "de multiples frappes" nocturnes ayant détruit les robinet-vannes du barrage, provoquant une "jetée d'eau incontrôlable". Ces déclarations semblent contredites par l'ampleur des destructions observables sur les images, qui s'étendent aussi à la centrale elle-même. Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, a dénoncé un acte "délibéré" de "sabotage" de la part de l'Ukraine. Et l a commission d'enquête de Russie a ouvert une enquête pénale pour acte terroriste.

Le barrage avait déjà subi des dégâts, dont on ignore l'origine : la comparaison entre des images satellites du réseau Maxar prises le 28 mai et le 5 juin montre notamment qu'une route a été détruite dans l'intervalle. Une source contactée par l'agence russe Tass privilégie cette troisième option : elle assure qu'il n'y a pas eu d'explosion, mais que le barrage s'est effondré en raison de dégâts structurels antérieurs. 

Une inondation menace des dizaines de villes, des évacuations

Le barrage de Kakhovka, un des plus importants du pays, régule le flux de son principal fleuve, le Dnipro, en amont de la région de Kherson. Sa destruction menace les territoires en aval d'une montée des eaux potentiellement destructrice.

La zone potentiellement inondable après la destruction du barrage de Kakhovka. (HELOÏSE KROB / FRANCEINFO)

Selon le Premier ministre ukrainien, Denys Chmyhal, 80 localités risquent d'être inondées. Sur la rive contrôlée par l'Ukraine, "environ 16 000 personnes se trouvent en zone critique", a prévenu le chef de l'administration militaire locale, Oleksandre Prokoudine. Des opérations d'évacuations ont commencé mardi matin. Réuni mardi matin, le conseil de sécurité nationale ukrainien a également ordonné la fourniture en eau potable des populations qui étaient alimentées par le réservoir. 

Côté russe, le chef du gouvernement d'occupation, Andreï Alekseïenko, assure que les grandes villes seront épargnées, mais mentionne 14 localités menacées par la montée des eaux, où résident "plus de 22 000 personnes". Il ne présente pas l'évacuation comme une nécessité. Des habitants de 300 foyers de Nova Kakhovka ont cependant été mis à l'abri, selon le maire. Des images des autorités et de l'agence russe Ria Novosti montrent l'ampleur de la montée des eaux dans cette commune.

En ouvrant une enquête pour "écocide", le parquet général d'Ukraine a par ailleurs souligné les conséquences environnementales de la destruction de ce barrage. Selon Kiev,  "150 tonnes d'huile moteur" ont notamment été déversées dans le fleuve Dnipro. Un conseil de défense et de sécurité nationale d'Ukraine a été organisé en urgence, dans la matinée. Ses participants se sont mis d'accord pour lancer des appels aux ONG de protection de l'environnement.

Des interrogations sur le risque pour la centrale de Zaporijjia

La centrale nucléaire de Zaporijjia, située à 150 km au nord-est de Kakhovka, utilise l'eau retenue par le barrage pour refroidir son combustible. Sa destruction fait donc craindre une baisse du niveau en amont, qui ferait peser une nouvelle menace sur la sécurité du site. Le danger "augmente désormais rapidement", alerte Mykhaïlo Podoliak, le conseiller de la présidence ukrainienne.

Mais l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), qui dispose d'experts sur place, estimait mardi matin qu'il n'existait "pas de danger nucléaire immédiat". Le directeur de la centrale occupée par l'armée russe, Iouri Tchernitchouk, se veut aussi rassurant : le système de refroidissement peut être alimenté par "plusieurs sources alternatives", assure-t-il sur Telegram. Les six réacteurs du site sont à l'arrêt, "à froid" pour cinq d'entre eux, "à chaud" pour le dernier, a-t-il ajouté. Pour l'AIEA, le bassin de refroidissement "sera suffisant pour alimenter la centrale en eau pendant des mois", sans écarter un risque à plus long terme.

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