Guerre en Ukraine : comment les Russes sont-ils tenus informés de l'incursion inédite de l'armée ukrainienne dans la région de Koursk ?

L'Ukraine mène depuis une semaine une attaque surprise en Russie. Cette manœuvre militaire d'ampleur fragilise le discours du Kremlin, qui tente de rassurer la population à travers les médias proches du pouvoir et de minimiser l'opération ukrainienne sur son sol.
Article rédigé par franceinfo
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Le président russe, Vladimir Poutine, lors d'une réunion consacrée à la situation dans la région de Koursk, le 12 août, dans sa résidence de Novo-Ogaryovo, à l’extérieur de Moscou (Russie), alors que l'armée ukrainienne poursuit son incursion militaire. (GAVRIIL GRIGOROV / POOL / AFP)

Voilà huit jours que les regards sont braqués sur la région russe de Koursk, frontalière de l'Ukraine, cible d'une incursion de l'armée ukrainienne qui a surpris le Kremlin. L'offensive, lancée le 6 août, a déjà provoqué le départ de plus de 120 000 habitants, selon les autorités locales. Pour le moment, au moins 12 civils ont été tués et plus de cent blessés, d'après le pouvoir régional. Du quotidien Kommersant au journal Moskovski Komsomolets, en passant par Fontanka, les principaux médias russes consacrent logiquement leur une à cet événement inédit, mais le plus souvent pour minimiser les progressions ukrainiennes et pour dénoncer une opération terroriste appuyée par l'Occident.

Le correspondant de guerre russe Alexander Kots a également affirmé, dans le Komsomolskaïa Pravda, que les troupes ukrainiennes commencent à s'essouffler et que la ligne de front se stabilise déjà, que des renforts russes sont en route et qu'ils vont bientôt renverser la tendance. Les médias, plus largement, évoquent de lourdes pertes supposées du côté des forces ukrainiennes. "Les territoires frontaliers de la région de Koursk sont jonchés de cadavres de combattants ukrainiens et transformés en cimetières de véhicules blindés ennemis incendiés", assure ainsi le tabloïd Arguments et Faits .

Mercredi matin, de nombreux titres ont largement diffusé les propos d'Apti Alaudinov, commandant de la division tchétchène Akhmat. Le militaire y affirmait que les troupes ukrainiennes voulaient capturer la centrale nucléaire de Koursk, sans aucun début de preuve. Il démentait également la perte de la localité de Soudja par l'armée russe, au moment-même où une chaîne de télévision ukrainienne diffusait un reportage tourné dans la ville. L'armée russe, de son côté, a également déclaré avoir "repoussé" des attaques ukrainiennes qui visaient à "pénétrer en profondeur" dans la région frontalière de Koursk, grâce à des troupes appuyées par l'aviation, des drones et l'artillerie.

Unité, calme et confiance dans les autorités

Difficile d'évaluer le crédit de ces déclarations. Le ministère de la Défense russe a publié, samedi, des images censées attester du succès de frappes ménées contre les forces ennemies engagées dans l'incursion. Sauf qu'il s'agissait d'une ancienne vidéo tournée en Ukraine, comme l'a démontré le média russe d'investigation The Insider dès le lendemain. L'incursion est toujours dans une phase dynamique et l'armée ukrainienne a adopté le mode "silence radio", ce qui complique encore l'analyse de la situation.

Les autorités régionales russes, en attendant, coordonnent sur les réseaux sociaux les évacuations, tout en partageant régulièrement des alertes aériennes, afin que les habitants se mettent aux abris. Elles les appellent également à ne pas divulguer d'informations personnelles, même pour retrouver des proches disparus. Le tout, en évitant d'apeurer les populations. Le gouverneur régional de l'oblast de Koursk, Alexeï Smirov, tente ainsi de vanter les solidarités locales et de montrer le calme des évacuations. Mercredi, il a par exemple partagé cette vidéo sur Telegram du chef du village de Tyotkino, qui conduit plusieurs habitants à l'abri, dans la bonne humeur.

Sergueï Prizenko, chef du village russe de Tyotkino, évacue des habitants dans son véhicule, selon des images partagées par le gouverneur régional sur Telegram. (CAPTURE ECRAN / ALEXEÏ SMIRNOV / TELEGRAM)

"La principale information mise en avant dans les médias proches du Kremlin est que l'incursion ukrainienne est stoppée, que l'unité de la société russe se renforce dans cette épreuve difficile, qu'elle fait confiance aux autorités, et surtout, qu'elle ne panique pas", explique dans une vidéo sur YouTube Katarzyna Chawrylo, experte pour le think tank basé en Pologne, Center for Eastern Studies. L'incursion ukrainienne est ainsi qualifiée "d'opération terroriste", plaçant la Russie en victime d'un ennemi hostile aux règles du droit international.

Les équipes du Kremlin ont demandé aux journalistes d'éviter "toute couverture sensationnaliste" des événements en cours dans la région de Koursk, révélait jeudi le média indépendant Meduza. Il leur est également demandé de ne pas évoquer l'ouverture d'un "nouveau front" dans ce secteur, et de ne pas mentionner l'avancée potentielle vers la ville de Kourtchatov, où se trouve une centrale nucléaire. Et enfin, d'insister sur les efforts fournis par les autorités, y compris par Vladimir Poutine, pour aider les populations.

L'Occident encore et toujours pointé du doigt

Le président russe a-t-il réellement pris la mesure de cet événément ? Au tout début de l'incursion, il avait simplement évoqué "une provocation à grande échelle", selon le lexique qui lui est cher. Le Kremlin, en tout cas, n'a pas décrété la loi martiale mais un régime d'opération antiterroriste (CTO) dans les régions de Koursk, Briansk et Belgorod. Sans doute afin de minimiser l'ampleur de cette incursion, analysait samedi l'Institut pour l'étude de la guerre, un groupe de réflexion américain, et pour éviter de déclencher un sentiment de "panique ou une réaction violente à l’intérieur du pays". Le CTO avait déjà été décrétée pendant une journée, en mai 2023, lors d'un raid conduit par des combattants russes opposés à Vladimir Poutine. Mais l'affaire, cette fois, est bien plus sérieuse.

A ce stade, il est toutefois impossible d'évaluer ses conséquences dans l'opinion russe. "Ils bombardent ? On ne sait même pas ce qu'il se passe. Ça ne nous intéresse pas", confiat mardi un habitant de Moscou à franceinfo. Un autre tentait d'évaluer les objectifs d'une telle opération : "C’est probablement une manœuvre de diversion parce que le New York Times et tous les médias disent que, sur le plan militaire, ça n’a aucun sens." Et si les commentateurs peinent à définir un objectif précis dans cette attaque, cela accrédite à leurs yeux le caractère "terroriste" de cette attaque.

Vladimir Poutine a également accusé "l'Occident, [qui] est en guerre contre nous", d'être derrière cette opération, lors d'une réunion télédiffusée lundi, aux côtés de responsables des forces de sécurité. Washington avait pourtant expliqué ne pas avoir été informé de cette attaque à venir. "Non seulement les Etats-Unis et le Royaume-Uni étaient au courant, mais ils ont également coordonné cette attaque planifiée", a commenté le journaliste russe Igor Korotchenko sur la chaîne Rossiya 1, dans l'émission de la propagandiste Olga Skabeïeva. C'est également l'avis de Roman, un Russe de 41 ans interrogé par l'AFP à Moscou. Selon lui, seul un "petit groupe de saboteurs" s'est introduit dans la région, armé par l'Occident et l'Otan. L'armée russe "les tuera, et c'est tout".

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