Guerre en Ukraine : exclure la Russie du Conseil de sécurité de l'ONU est "inimaginable", selon le géopoliticien Frédéric Encel
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a exhorté l'ONU à agir "immédiatement" contre la Russie au regard de ses "crimes de guerre" commis selon lui en Ukraine.
Exclure la Russie du Conseil de sécurité de l'ONU, comme l'a demandé mardi 5 avril à l'ONU le président ukrainien Volodymyr Zelenski, est "inimaginable", a affirmé sur franceinfo Frédéric Encel, maître de conférences à Sciences-Po, docteur en géopolitique. Il rappelle que "des régimes politiques qui se sont livrés à de véritables génocides n'ont même pas été exclus de l'Assemblée générale des Nations unies". Si la Russie était exclue, "beaucoup d'autres États créeront une espèce d'ONU bis", ce qui nous ferait entrer, selon lui, dans "une ère extraordinairement dangereuse".
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franceinfo : Que peut faire l'ONU face aux atrocités dont est accusée la Russie ?
Frédéric Encel : La Russie est membre permanent du Conseil de sécurité, elle dispose d'un droit de veto. Elle en a fait d'ailleurs usage voilà déjà plusieurs semaines. Et par conséquent, on ne peut pas grand-chose en matière de tribunaux pénaux internationaux. Ou plus exactement, pour que la Cour pénale internationale puisse agir, il faut qu'elle soit mandatée. Et en tout cas, il ne faut pas que ces travaux soient bloqués par le Conseil de sécurité. De ce point de vue-là, pour l'instant on ne peut donc rien faire. D'ailleurs, Volodymyr Zelensky le sait très bien puisque dans son discours, il a indiqué qu'il fallait modifier cette instance de façon à ce qu'il ne puisse plus y avoir un droit de véto, c'est-à-dire un droit d'impunité.
Est-ce que la Russie peut être exclue du Conseil de sécurité comme l'a demandé le président ukrainien ?
C'est inimaginable pour une raison très empirique. Cela n'a jamais été fait depuis 1945. Et non seulement cela n'a jamais été fait mais même des régimes politiques qui se sont livrés à de véritables génocides – je pense évidemment au régime hutu rwandais en 1994 – n'ont même pas été exclus de l'Assemblée générale des Nations unies. Donc, à plus forte raison, la Russie ne peut pas être exclue, sans quoi on renverse la table. Et je pense qu'à ce moment-là, la Russie, la Chine et beaucoup d'autres États créeront une espèce d'ONU bis. Et là, on entre dans une ère totalement nouvelle qui, me semble-t-il, serait extraordinairement dangereuse.
Est-ce que c'est donc un aveu d'impuissance de cette organisation des Nations unies ?
Oui, elle a été pensée comme telle, d'ailleurs, en 1945. Parce que les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale ne voulaient bien évidemment pas pouvoir être ravalés au rang de "simples puissances", d'États comme les autres. Donc ils ont toujours constitué cette ossature [le Conseil de sécurité composé de 15 membres, dont cinq permanents, Chine, Etats-Unis, Fédération de Russie, France et Royaume-Uni] qui leur a permis une véritable impunité. Et concernant ces questions liées aux crimes contre l'humanité et au génocide, pensez qu'entre 1975 et 1979 il y avait au Cambodge un véritable génocide perpétré par les Khmers rouges. Mais il n'a jamais été reconnu comme tel. Pourquoi ? Parce que la Chine a toujours mis son veto.
"De ce point de vue-là, tant que l'on ne parvient pas à s'entendre entre les cinq grands, malheureusement il n'y a pas d'avancée possible en termes de lutte contre les principaux crimes contre l'humanité."
Frédéric Encel, docteur en géopolitiqueà franceinfo
Est-ce que l'on peut réformer l'ONU ? Et est-ce que son fonctionnement est dépassé ?
Cela fait longtemps que c'est dépassé. Parce que malheureusement, après 1945, il y a eu beaucoup de crimes contre l'humanité. Le Rwanda, le Cambodge, mais il y en a eu d'autres. Il y a eu récemment la Birmanie. Et la Birmanie, face aux Rohingyas, a été défendue par la Chine. Réformer l'ONU, cela a été tenté en 2005-2006. Et puis cela a échoué. Pourquoi ? Parce que la représentativité de l'ONU était bien évidemment contestée par des Etats qui ne sont pas membres permanents. Mais les membres permanents, eux, ne veulent bien évidemment pas se dessaisir de leur droit de veto, qui est une espèce de sésame, on le voit bien aujourd'hui. Et par conséquent, le blocage est réellement inhérent à l'existence de ce fonctionnement des Nations unies depuis 1945.
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