Guerre en Ukraine : génocide, crime contre l'humanité, crime d'agression... Le lexique pour comprendre de quoi on parle
Les accusations se multiplient à l'encontre des troupes russes, depuis le début de l'invasion de l'Ukraine fin février. Et il existe des notions de droit international bien précises pour caractériser les exactions commises dans le cadre du conflit.
Crimes de guerre, crimes contre l'humanité, crime d'agression, voire génocide, comme l'a affirmé, mardi 12 avril, le président américain Joe Biden, un terme dont l'usage divise la communauté internationale. Plus d'un mois et demi après le début de la guerre en Ukraine, les accusations d'exactions s'accumulent à l'encontre de l'armée russe. Ces incriminations renvoient à quatre notions au cœur des compétences de la Cour pénale internationale (CPI), qui a ouvert une enquête dès le 3 mars. Ces concepts sont nés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en même temps que la mise en place du Tribunal international de Nuremberg qui a jugé les crimes nazis. Pour bien comprendre ce que recouvrent ces termes, franceinfo revient sur leurs définitions.
Crime de guerre
Les crimes de guerre sont définis comme des violations graves du droit international, commises à l'encontre de civils ou de combattants, à l'occasion d'un conflit armé, selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme. Homicide intentionnel, torture, traitements inhumains, destruction et appropriation de biens, détention illégale, déportation, prise d'otages... Les nombreuses infractions constitutives des crimes de guerre tiennent sur plus de cinq pages dans l'article 8 du Statut de Rome, le traité à l'origine de la création de la Cour pénale internationale en 1998.
"Toutes les attaques indiscriminées contre les populations civiles, qui doivent être protégées, sont des crimes de guerre", résume l'avocate Clémence Bectarte, qui représente la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et la coalition française à la CPI. "Les biens civils, comme les écoles ou les hôpitaux, ne devraient pas faire l'objet d'attaques ou de bombardements. De même que d'affamer les civils délibérément, ne pas envoyer les secours ou forcer la population à fuir : cela tend à être des crimes de guerre", ajoute-t-elle.
L'utilisation de gaz ou d'armes généralement interdites qui peuvent causer "des souffrances inutiles" ou "frapper sans discrimination" comme des bombes à sous-munitions est aussi considérée comme un crime de guerre. En temps de guerre, le sort des prisonniers est aussi regardé à la loupe. Ils "doivent être bien traités", d'après Clémence Bectarte. Dans le cas contraire, il peut s'agir d'un crime de guerre.
>> Guerre en Ukraine : on vous explique la notion de crime de guerre
Crime contre l'humanité
Ce crime se définit comme "l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout autre acte inhumain commis contre toute population civile, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs raciaux ou religieux", selon l'article 6 des statuts du Tribunal international de Nuremberg. Cette notion a ensuite été codifiée dans l'article 7 du Statut de Rome.
"Les crimes contre l'humanité sont des crimes commis dans le cadre d'une attaque systématique ou généralisée contre une population civile."
Clémence Bectarte, avocateà franceinfo
L'avocate donne en exemple "des viols ou des actes de torture", ou encore le meurtre, l'extermination, la persécution et tout autres actes inhumains, à condition qu'ils soient "menés dans le cadre d'une attaque". "Pour parler de crimes contre l'humanité, il faut une série d'actes criminels. Les crimes contre l'humanité sont définis comme une sorte de plan, ou de politique, qui consiste à s'attaquer aux populations civiles", détaille la juriste.
Génocide
Le terme de génocide a été utilisé, d'un point de vue juridique, pour la première fois, lors des procès de Nuremberg afin de désigner l'extermination des Juifs. Puis le crime de génocide a été créé en 1948, par une convention de l'ONU, et sa définition n'a pas changé depuis. Il désigne certains actes (principalement les meurtres) commis dans "l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux".
Cette définition étroite exclut donc de nombreux cas de figure. "Un génocide ne peut pas viser un groupe politique ou culturel", explique Yann Jurovics, maître de conférences en droit public à l'université Paris-Saclay, qui a collaboré au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) et à celui pour l'ex-Yougoslavie (TPIY). Il faut, par ailleurs, prouver "une politique qui vise à détruire le groupe comme tel, simplement parce qu'il existe". Les génocides dont la reconnaissance fait consensus se comptent sur les doigts d'une main, rappelle-t-il.
"Le test simple, pour déterminer s'il s'agit d'un génocide, est de se demander si la victime a le choix. Un Tutsi, par exemple, ne pouvait pas choisir de ne plus être tutsi."
Yann Jurovics, professeur de droit publicà franceinfo
Ainsi, selon lui, le crime de génocide ne correspond pas au contexte ukrainien, car le discours russe ne vise pas "un groupe biologique", mais les partisans d'une idée politique (qu'elle soit réelle ou non).
>> Massacre de Boutcha : peut-on parler d'un "génocide" comme le dit le président ukrainien ?
Crime d'agression
C'est le plus récent des quatre crimes sur lesquels la Cour pénale internationale peut enquêter – les 123 pays membres de la juridiction l'ont ajouté à ses compétences en décembre 2017. Le crime d'agression revient à reconnaître l'attaque de la souveraineté d'un pays par un autre. C'est-à-dire "la planification, la préparation, le lancement ou l'exécution par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l'action politique ou militaire d'un Etat, d'un acte d'agression" qui viole la charte des Nations unies.
Le crime d'agression sanctionne "le franchissement d'une frontière internationale par un Etat de manière militaire. C'est ce qui s'est passé. Ça n'est même pas nié par le gouvernement russe", commente sur franceinfo Jean-Maurice Ripert, vice-président de l’Association française pour les Nations unies et ancien ambassadeur de France en Russie. En ce qui concerne le conflit déclenché par Vladimir Poutine, "l'agression semble constituée", abonde Rachel Lindon, avocate à la CPI, interrogée sur France Inter, l'agression étant "évidemment d'être entré en Ukraine".
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